RƒSEAUX, PYRAMIDE ET PLURALISME

ou

Regards sur la rencontre de deux aspirants-

paradigmes de la science juridique

 

 

Jacques Vanderlinden

Professeur ŽmŽrite ˆ lĠUniversitŽ libre de Bruxelles

Professeur associŽ ˆ lĠUniversitŽ de Moncton

 

(paru dans RIEJ 49, p 11-36)

 

 

                  Dans leur dernier ouvrage[1], Franois Ost et Michel van de Kerchove nous entra”nent une fois encore dans un cheminement intellectuel dont quiconque les a lus antŽrieurement sait quĠil leur rŽvŽlera des richesses de lui insouponnŽes. Et il nĠappartient pas ˆ quelquĠun dĠaussi dŽmuni que le soussignŽ de prŽtendre ne serait-ce que remettre en question tel ou tel point dĠune dŽmarche de pareils orfvres en leur matire. Les cinq regards qui suivent sont donc nŽcessairement non-, si ce nĠest im-pertinents; que le lecteur veuille bien pardonner ˆ leur auteur.

 

1. RŽseaux et actualitŽ - En ce qui me concerne la dŽcouverte de lĠimportance du rŽseau il y a longtemps dŽjˆ[2] est liŽe ˆ mon exploration des voies dĠun pluralisme qui ne me semblait pas tre le mien[3]. En effet Sally Falk- Moore[4] dŽfinissait son pluralisme par rapport ˆ des champs sociaux. DĠemblŽe le terme champ mĠavait paru inadŽquat. Dans la mesure o il Žvoquait pour moi -- et peut-tre ˆ tort -- un espace relativement bien dŽfini, support matŽriel de lĠactivitŽ sociale[5]. La lecture contemporaine de lĠOrdinamento giuridico de Santi Romano[6] mettait en Žvidence lĠexistence de sociŽtŽs (de lĠEglise ˆ la mafia) dont je concevais mal que le systme normatif fut limitŽ ˆ un espace. CĠest alors que, souhaitant trouver un terme qui convenait mieux aux rŽalitŽs que jĠobservais ou surtout au sujet desquelles dĠautres mĠinstruisaient, je choisis dĠadopter le terme rŽseau pour dŽsigner lĠobjet de mes rŽflexions. Il semblait notamment me permettre dĠenglober des ensembles moins complexes que ceux couverts par le mot sociŽtŽ et moins structurŽs que ceux dŽsignŽs par le terme groupe social. Ma rŽflexion nĠallait gure au-delˆ de cela.

                  Le texte de Franois Ost et Michel van de Kerchove, mais aussi la lecture rŽcente de deux ouvrages, de nature semblable en ce quĠils constituent des synthses de vulgarisation au plus haut sens du terme, mĠont confirmŽ dans le bien fondŽ de lĠusage du terme rŽseau, particulirement pour un pluraliste.

                  La premire de mes lectures rŽcentes[7] comprend un chapitre consacrŽ au passage de la sociŽtŽ franaise Òdes classes aux rŽseauxÓ. Mendras constate que le capital social (lĠensemble des ÒrŽseaux de relations sociales dont un individu sĠentoure et qui lui fournissent des ressources dĠaides et dĠinformations et de soutien identitaire : parentle[8], voisinage, amitiŽs, relations professionnelles, militances religieuses, politiques, idŽologiques ...) des Franais a cru de faon exponentielle au cours des dernires dŽcennies. Il nĠen veut pour preuve que le dŽveloppement exceptionnel des associations sans but lucratif, dites en France Òde type loi de 1901". Il sĠagit certes de rŽseaux sĠinscrivant dans la pyramide Žtatique, mais leur gestion au quotidien et les rgles internes qui prŽsident ˆ leur fonctionnement, mme si elles sont couchŽes dans des statuts dŽposŽs auprs des pouvoirs publics, Žchappent presquĠentirement au contr™le de ceux-ci. Mendras, souligne Žgalement que ces rŽseaux Òenjambent les clivages traditionnels de la sociŽtŽ pour surmonter les divisions et  relier entre eux les individusÓ[9]. Enfin, il met en Žvidence lĠimportance des rŽseaux familiaux centrŽs en un point, aussi rŽduit fžt-il quĠun appartement ˆ Barcelone ou un sauna sur les bords de la Baltique[10]. Je ne puis mĠempcher de penser, mutatis mutandis, les mouvements des rŽseaux lignagers Tiv centrŽs sur la case du descendant du lignage fondateur ŽvoquŽs par Etienne Le Roy dans son texte. 

                  Dans la seconde, consacrŽe au Nouvel esprit de famille[11],  C. Attias-Donfut, N. Lapierre et M. Segalen abordent cette institution chŽrie des anthropologues sociaux (qui est aussi un ÒrŽseau de parentsÓ Òpour le dire ˆ la faon des ethnologuesÓ) en tant quĠҎlŽment de la modernitŽÓ[12] (et pourquoi pas, compte tenu de lĠactualitŽ de leur propos, de la post-modernitŽ, comme diraient certains amateurs de paradigmes). Centre par excellence de cette ÒrŽgulation socialeÓ[13] en tant que Òlieu dĠinjonction des codes, lieu de reproduction dĠun ordre socialÓ[14], la famille contemporaine consacre ÒlĠexistence dĠun ensemble de droits et dĠobligations instituant entre ses membres des liens de solidaritŽÓ[15]. Resterait alors, en route dans notre qute de de droit ou de juridicitŽ[16], ˆ analyser, peut-tre de manire diffŽrente de celle adoptŽe par les auteurs, cette phrase qui, envisageant les rŽsultats des inŽvitables tensions familiales dŽclare que celles-ci "ne connaissent pas de sanctions, sinon morales ... mais ... ont un prix affectif, celui de la souffrance, du rejet, de la solitudeÓ[17]. La sanction doit-elle nŽcessairement tre physique ? Depuis longtemps Žgalement je nĠen suis pas convaincu[18]. Et de qui doit-elle Žmaner ? Autre redoutable problme auquel lĠanthropologue, lĠhistorien ou le comparatiste est confrontŽ. Ne peut-elle prŽcisŽment Žmaner de ces rŽseaux que sont les familles. CĠŽtait certainement vrai de la famille patriarcale romaine et de ses survivances jusquĠau sicle dernier, voire aujourdĠhui. Micro-rŽpliques de lĠEtat, elles faisaient partie de ce maillage dĠordres normatifs divers et multiples qui le soutenaient, voire le remplaaient et dont les rgles internes permettaient, en tout cas ˆ un certain ÒmondeÓ de se gouverner en marge du code civil, voire du ode pŽnal. LĠEtat de son c™tŽ, tout en leur dŽniant toute capacitŽ de production du Droit, les protŽgeaient, allant mme jusquĠˆ dŽcourager lĠintrusion de ce Droit dans leur univers clos alors quĠelle se justifiait pleinement, mais risquait dĠŽbranler une structure aussi fondamentale[19].  

                  Pour le reste je renvoie ˆ ce quĠen Žcrivent Franois Ost et Michel van de Kerchove[20] auquel je souscris trs largement. Le rŽseau, dans ses infinies diversitŽ et complexitŽ est lˆ et bien lˆ, et ce depuis longtemps aussi bien pour les anthropologues que pour les historiens. Je souhaitais seulement souligner que pour moi, comme sans doute tout pour tout pluraliste radical, il est lˆ depuis bien avant quĠon y pense en termes de paradigme Žventuel et quĠen aucun cas je ne me sens visŽ par leur Òmise en garde ŽpistŽmologique fondamentaleÓ relative ˆ une Žventuelle confusion entre mon appareil conceptuel -- qui a toujours pour toutes espces de raisons en rapport avec mon parcours acadŽmique -- ŽtŽ plus que rŽduit[21] et les rŽalitŽs que jĠobserve. Ce sont celles-ci qui mĠont conduit ˆ lĠimage du rŽseau il y a bien longtemps; jĠai pris connaissance de lĠidŽe quĠelle puisse, aux yeux de certains, devenir un paradigme ˆ lĠoccasion de cette rencontre en lisant lĠintroduction au colloque de mes deux amis.  

 

2. RŽseaux et territoire - Pour Henri Mendras, lĠun des caractres essentiels du rŽseau est quĠil est ÒlĠantithse du territoire et de la frontireÓ[22]. Cette affirmation que je partage se heurte de front ˆ ce quĠen Žcrit ƒtienne Le Roy dans la premire version de sa contribution ˆ nos travaux[23], mme sĠil se rŽfre prudemment ˆ une Žventuelle dimension ÒvirtuelleÓ du rŽseau. Je ne puis malheureusement le suivre sur ce point. Par contre je me sens moins embarrassŽ -- mais ˆ quels jeux de mots ne sommes-nous pas soumis en raison de la polysŽmie de nos vocabulaires -- lorsque F. Ost et M. Van de Kerchove Žcrivent que le rŽseau nĠest quĠune des formes du champ juridique. Va pour la forme, mais la rŽfŽrence au champ du droit me ramne ˆ S. Falk-Moore et aux rŽticences que suscitait chez moi cette formule, il y a un instant. Elle me para”t prŽcisŽment contradictoire avec lĠidŽe, essentielle ˆ mes yeux et semble-t-il affirmŽe par ƒtienne, que formule le dictionnaire en dŽfinissant le rŽseau comme lĠorganisation de plusieurs ÒpointsÓ. Si nous admettons cette prŽmisse, rien nĠest plus diffŽrent que le point et lĠespace, quĠŽvoque pour moi le champ, mme si mon dictionnaire mĠapprend que le point est la plus petite portion dĠespace concevable. Le rŽseau, bien loin dĠtre une nouvelle dimension de la spatialitŽ, serait, au contraire, le modle (oserais-je dire le paradigme ?) de lĠa-spatialitŽ ou ˆ tout le moins de la limite de lĠespace, celle o celui-ci serait Žgal ˆ zŽro et cesserait donc dĠexister.

                  Comme lĠa si bien montrŽ Paul Bohannan[24], la relation des Tiv ˆ la terre nĠest pas dŽterminŽe tellement par un espace gŽomŽtriquement dŽfini, mais bien par le rŽseau existant au sein de leur sociŽtŽ sur base du lignage fondateur. Ce lien nĠest pas territorial, mais bien personnel et la trame ainsi formŽe sĠarticule effectivement, comme le dit Le Roy, autour de lĠun de ses points, la case de la lignŽe de lĠanctre fondateur. Nous sommes bien hors dĠune reprŽsentation spatiale, cartographique, cadastrale, propre aux sociŽtŽs occidentales contemporaines (et peut-tre -- pourquoi pas ? -- ˆ certaines sociŽtŽs dĠautres continents) dont lĠimpensŽ projette immŽdiatement cette vision dans les mondes extŽrieurs[25]. Mais pas seulement dans les mondes extŽrieurs ˆ travers la dimension spatiale de la comparaison. Sa dimension temporelle, celle de lĠhistoire nous pousse Žgalement dans ce sens. Heureusement que certains historiens rŽagissent contre cette tendance ˆ lĠanachronisme qui nous guette sans cesse. Dans son monumental ouvrage relatif aux fonctionnaires des bailliages de France[26], Gustave Dupont-Ferrier nous propose une carte des bailliages mŽdiŽvaux qui ne leur trace pas de limites, mais indique par des flches les juridictions allant en appel au sige de chaque bailliage. Dans ce cas de nouveau la vision nĠest pas territoriale, mais personnelle, ou, plus prŽcisŽment, institutionnelle. LĠensemble de lĠorganisation judiciaire de la France est constituŽe dĠun certain nombre de rŽseaux  formŽs des juridictions locales, des tribunaux de bailliages et des parlements sans quĠy soit associŽe une reprŽsentation territoriale. Ceci ne veut pas dire que les cartographes nĠaient pas ultŽrieurement appliquŽ leur vision du monde aux bailliages et cartographiŽs ceux-ci. Il nĠempche que dans lĠesprit du moyen ‰ge, centrŽ sur les liens personnels, le bailliage Žtait, du point de vue judiciaire et peut-tre au-delˆ, un rŽseau davantage quĠun espace. Le terme semble dĠailleurs tardif (dŽbut du XIVe sicle) dans son sens dĠŽtendue sur laquelle sĠexerce le pouvoir du bailli.

                  Ceci pour les apports respectifs de lĠanthropologie et de lĠhistoire.  Je ne crois pas utile dĠŽlaborer longuement sur les relations contemporaines qui peuvent ou non opŽrer au dŽpart dĠun point central, voire revtir lĠaspect dĠune pyramide sans pour autant le faire ˆ lĠintŽrieur dĠun espace dŽfini (je ne considre pas le monde comme un espace dŽfini). Les exemples quĠŽvoque Mendras dans La France que je vois sont clairs de ce point de vue, mme si ce nĠest pas cet aspect de notre problŽmatique quĠil aborde : rŽseau mafieux ou ecclŽsial, jŽsuite ou trotskyste, des syndicats ou de la RŽsistance, sportifs ou intellectuels, de charitŽ ou de profit, lignagers ou consensuels, secrets ou publics, autant dĠexemples de ces ÒsociŽtŽsÓ dont le r™le et lĠinfluence sur les rapports sociaux sont considŽrables et qui, au sens du pluralisme radical[27], sont susceptibles de gŽnŽrer du droit.

                  Je voudrais Žgalement souligner combien le territoire est, dans la construction juridique qui est la n™tre, rattachŽ ˆ lĠEtat, au point dĠen constituer un ŽlŽment essentiel au sens le plus strict du terme. Ainsi pendant la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements en exil, ˆ Londres notamment, ne pouvaient tre considŽrŽs comme des Etats faute dĠun territoire sous leur contr™le. Il en rŽsulte une corrŽlation Žtroite entre le territoire et le droit ˆ travers prŽcisŽment lĠEtat : pas dĠEtat sans territoire et pas de droit sans Etat. Et si lĠEtat est Žventuellement prt ˆ reconna”tre dans certaines limites dĠŽventuels statuts personnels, ds lors que lĠordre public est en cause le Code civil ne nous apprend-t-il pas que les Òles lois de police et de sžretŽ obligent tous ceux qui habitent le territoireÓ.

                  Les rŽseaux constituent donc le domaine par excellence des droits a-spatiaux et cĠest dire mon embarras devant toutes les analyses qui semblent persister ˆ traiter dĠun droit qui serait pluraliste (Chevalier) ou polycentrique (Eriksson, Hirvonen, Minkinen et Pšyhšnen). En effet, ces approches semblent demeurer enfermŽes, sur un point au moins, dans le cadre classique des analyses juridiques positivistes, celui de lĠEtat et donc dĠun territoire dŽterminŽ. CĠest prŽcisŽment ce cadre quĠil faut cesser de considŽrer comme le terme de rŽfŽrence par excellence, mme sĠil peut voir cohabiter pyramides et rŽseaux, voire rŽseaux en forme de pyramides.

 

3. RŽseaux et pyramide - Disons-le dĠemblŽe : tout mon apprentissage de la vie scientifique depuis un demi-sicle -- mĠa convaincu de ne jamais penser en termes de paradigmes, si ce nĠest celui de lĠimmense relativitŽ de tout savoir et de la nŽcessitŽ de sans cesse le remettre en question. CĠest dire que jĠobserve avec une considŽrable mŽfiance ceux qui sĠavancent dans cette direction et que le point dĠinterrogation que mes collgues et amis de Saint-Louis ont jugŽ bon dĠadjoindre au titre de leur ouvrage mĠa ravi. En effet, le paradigme Ñ en tant que conception thŽorique dominante qui a cours ˆ une certaine Žpoque dans une communautŽ scientifique -- est une telle source de reproduction de lĠordre Žtabli, de conformisme ˆ lĠŽgard du Òscientifiquement correctÓ, de fermeture des esprits, que je prŽfre essayer de mĠen passer plut™t que dĠy succomber.

                  Aussi suis-je enclin ˆ croire davantage ˆ un monde fait dĠentrelacs[28] de rŽseaux et de pyramides -- ce qui correspond, en ce qui me concerne, au constat dŽjˆ fort ancien de lĠexistence des rŽseaux -- quĠˆ une vision que je qualifierais -- sans doute trop sŽvrement -- de simpliste qui exclut lĠun au profit de lĠautre. JĠai eu lĠoccasion de prŽciser ce point de vue dans des textes rŽcents relatifs aux perspectives qui sĠouvrent au dŽveloppement du droit en Afrique[29]. Le constat de lĠaffaiblissement, voire lĠŽcroulement de lĠEtat africain contemporain en de nombreux endroits du continent et lĠefflorescence des rŽseaux divers qui se sont substituŽs ˆ lui pour permettre aux populations de survivre imposent, ˆ mon sens, de reconstruire un autre Žtat de droit fondŽ sur le pluralisme et caractŽrisŽ prŽcisŽment par la reconnaissance des rŽseaux. Mais la pyramide Žtatique demeure aussi nŽcessairement partie prenante ˆ cette reconstruction dans laquelle personne ne pourrait la remplacer ˆ lĠheure actuelle dans certaines de ses activitŽs. DĠune part, mme battue en brche, elle demeure encore le centre de la reprŽsentation internationale des sociŽtŽs nationales[30]; dĠautre part, en raison de cette fonction, elle serait, dans certains cas, susceptible de mieux dŽfendre certains intŽrts de ses citoyens face aux dangers de la mondialisation que certains rŽseaux qui ambitionnent de prendre sa place[31]. Le pluraliste ne rve donc pas dĠune destruction complte des pyramides. Si quarante sicles ont pu nous contempler depuis leurs sommets, cĠest dans doute que, dans une certaine mesure, elles avaient, ˆ certains moments un r™le ˆ jouer;  lĠhistoire nous apprend quĠelles lĠont fait parfois avec une redoutable efficacitŽ.  Le pluraliste demande seulement que lĠEtat ne sĠattribue pas le monopole de la production du droit, particulirement en des temps o le citoyen a particulirement pris conscience de lĠintŽrt de sa participation ˆ ce processus[32].

                  Car, si nŽcessitŽ il y a en Afrique, intŽrt il y a dans dĠautres parties du monde o un double phŽnomne se manifeste. DĠune part la trs grande difficultŽ pour le droit positif ˆ encore remplir les t‰ches -- notamment dans le domaine de lĠadministration non seulement du droit, mais encore de la justice (que je distinguerais, contrairement ˆ lĠusage courant, de celle du droit) -- qui sont traditionnellement les siennes et dĠautre part la prise de conscience par les citoyens -- en grande partie sous lĠinfluence dĠassociations se prŽsentant sous la forme de rŽseaux -- de lĠimportance de leur implication dans la production du droit. DĠo le phŽnomne de la mŽdiation non seulement contr™lŽe par lĠEtat, comme en France, mais surtout celle, pratiquŽe notamment au Canada, dans laquelle le rŽsultat atteint par les parties avec ou sans la participation du mŽdiateur produit ses effets (de droit ?) sans intervention de lĠEtat.

                  JĠai eu lĠoccasion de mĠen rendre compte ˆ lĠoccasion dĠun colloque relativement rŽcent consacrŽ par le notariat quŽbŽcois en partenariat avec le notariat rhodanien et les universitŽs McGill et de MontrŽal[33], dans la synthse duquel je constatais, aprs certains participants plus qualifiŽs que moi : ÒParalllement (ou peut-tre consŽcutivement) ˆ cet effondrement de la justice institutionnelle se manifeste parmi les citoyens un double mouvement : dĠune part, il y a leur demande, voire leur exigence, de cesser dĠtre des sujets (mme de droit) pour devenir partie prenante ˆ lĠŽlaboration de leur devenir et dĠautre part, leur souci de restaurer, voire de crŽer, des points de solidaritŽ anciens ou nouveaux afin de revenir ˆ un minimum de bases sociales susceptibles de garantir un certain ordre dans des agglomŽrats dĠindividus tendant irrŽsistiblement vers ce quĠil est convenu dĠappeler la jungle quand on se rŽfre ˆ sa loi. Les parties dŽues dans leurs attentes lŽgitimes sĠefforcent de construire un autre lieu dans lequel leur problme pourra se rŽsoudre par la nŽgociation[34] sans que la solution en soit la victoire de lĠun sur lĠautre, sans que sur le terrain ne subsistent deux ennemis dont lĠun au moins pense ˆ une Žventuelle  revanche. Cette qute aboutit ˆ, quel que soit le nom quĠon lui donne, une justice contractuelle.Ó

                  Ma seule tentation, un an aprs avoir Žcrit ces lignes, est dĠen mettre de nombreux mots au pluriel. En effet ce nĠest pas un lieu, mais plusieurs lieux pas plus que ce nĠest un modle de nŽgociation,  mais plusieurs modles que les individus rŽinventent, en fonction prŽcisŽment des nouveaux points de solidaritŽ quĠils se donnent au sein de rŽseaux. Ces multiples justices cohabiteront de manire autonome, avec la justice pyramidale de lĠEtat pour autant que celui-ci se rŽsolve, ce qui ne semble pas encore le cas partout, au compromis indispensable qui est peut-tre la condition mme de sa survie.

                  Le problme est sans doute lˆ. Le systme existant peut-il se rŽsoudre ˆ un compromis clair dans lequel pyramide et rŽseaux cohabiteraient et ne seraient plus perus comme des rivaux, comme cĠest souvent le cas actuellement particulirement dans le chef des partisans du tout-pyramidal ? Peut-tre le moment nĠest-il pas encore venu pour ces derniers qui sĠillusionnent encore  en sĠimaginant avoir ŽchappŽ au danger ˆ travers une transmutation (du vin neuf dans une vieille bouteille ou du vieux vin - aigre - dans une nouvelle bouteille ?) conduisant ˆ quelque chose de nouveau tout en conservant les apparences dĠune rassurante continuitŽ[35]. Pareils replis stratŽgiques, inspirŽs du judo, ne peuvent cependant masquer la dŽsaffection de fractions de plus en plus grandes de la population, que ce soit dans le monde rŽputŽ dŽveloppŽ ou lĠautre, ˆ lĠŽgard de lĠEtat et plus particulirement de son administration du droit. Ces fractions de la sociŽtŽ sont-elles prtes en outre ˆ accepter un Etat Òqui, renonant ˆ sa fonction instituante, se contenterait [de leur] ouvrir des espaces de nŽgociationÓ? Sans doute oui, si lĠEtat nĠen tire pas prŽtexte pour contr™ler ces espaces et donc pour les inclure dans le sien dans ce que jĠai appelŽ un pseudo-pluralisme; ˆ mon sens, non dans le cas contraire.

                  Avant que le dialogue puisse sĠouvrir entre les deux conceptions, il est toutefois essentiel que tous ceux qui sont tentŽs de voir les choses avec un certain recul contribuent ˆ clarifier au maximum lĠŽtat des choses. CĠest ainsi que lĠargument au pire du chaos, au minimum de lĠinsŽcuritŽ juridique rŽsultant de lĠŽcroulement de la pyramide doit tre sŽrieusement mis en doute. Je lĠai Žcrit ailleurs[36] : lĠŽcroulement de lĠEtat en Afrique nĠest pas nŽcessairement corrŽlŽ ˆ ce quĠon appelle trop facilement la loi de la jungle dans la mesure o prŽcisŽment les rŽseaux se sont substituŽs en nombre de cas ˆ lĠEtat dŽfaillant pour rŽguler la vie quotidienne dĠune grande fraction de la population. Dans leur Introduction, Michel van de Kerchove insistent sur ÒlĠambigu•tŽ du thme de la rŽgulationÓ[37]. En ce qui concerne le premier sens, jĠy vois une application concrte du phŽnomne de rŽcupŽration auquel les thurifŽraires de lĠEtat ÒmoderneÓ menacŽs dans leurs intŽrts, se sont attelŽs avec un certain succsou un succs certain -- cĠest selon -- depuis quelques dŽcennies[38]. On ne peut que les rejoindre dans le second sens quĠils donnent au terme rŽgulation ds lors quĠil sĠagit des Etats africains contemporains. A ceci prs toutefois que je nuancerais, dans ce cas, leur propos, dŽjˆ citŽ, au sujet de lĠouverture par lĠEtat-rŽgulateur dĠespaces de nŽgociation; en Afrique, aujourdĠhui, les espaces de nŽgociation se sont ouverts dans les faits sans que lĠEtat joue dĠautre r™le dans cette ouverture que de laisser involontairement, mais nŽcessairement, le champ libre aux acteurs sociaux en raison de son effondrement. On est donc dans lĠhypothse ŽvoquŽe par nos collgues, selon laquelle les acteurs sociaux se sont dŽjˆ appropriŽ la rgle sociale, voire lĠont dŽpassŽe pour en crŽer une nouvelle mieux adaptŽe ˆ leurs besoins. Ceci sur le plan de la garantie de lĠefficacitŽ du droit ˆ travers lĠadministration de la justice.

                  Si, en outre, il est question de la sŽcuritŽ juridique au sens des garanties quĠoffre un droit connu de tous quant ˆ lĠissue dĠun Žventuel conflit, quĠon me permette de douter de la sŽcuritŽ quĠoffrent mme les systmes juridiques rŽputŽs dŽveloppŽs. Je ne puis en consŽquence rejoindre Ost et van de Kerchove lorsquĠils Žvoquent Òla disparition possible des valeurs positives associŽes au modle pyramidalÓ en prŽcisant que Òcelle de la sŽcuritŽ juridiqueÓ est lĠune de celles quĠils souhaitent mettre en exergue. Empiriquement, je ne puis croire ˆ cet idŽal avec lequel Jeremy Bentham mĠa familiarisŽ ds le dŽbut de mes travaux relatifs ˆ la codification il y a tout juste cinquante ans[39]. Chaque jour le droit devient de plus en plus incertain et le dŽveloppement rŽcent de la place prŽpondŽrante confŽrŽe aux concepts flous revtus du label constitutionnel et sĠimposant ˆ toutes les branches du droit ne fait quĠamplifier cet Žtat de choses. Est-ce dĠailleurs bien de droit, tel que lĠarticulent sur base de ces concepts flous, la Cour suprme du Canada ou la Cour des droits de lĠhomme de Strasbourg, dont les sujets rvent ? Ou de justice ? Et donc de solutions hautement relativisŽes susceptibles de recueillir un maximum dĠadhŽsions au sein des rŽseaux dans lesquels elles naissent. Ce qui nous ramne ˆ lĠanthropologie juridique, ˆ lĠimportance quĠelle constate du maintien de lĠintŽgritŽ des tissus sociaux, au peu dĠintŽrt -- ˆ supposer quĠil existe -- manifestŽ dans nombre de sociŽtŽs pour la notion de faute, et au caractre Žminemment collectif du processus de rŽconciliation, tous aspects dĠune autre conception du droit.

                  De nouveau, il sĠagit lˆ de nouvelles Žtiquettes sur de vieilles bouteilles. Ce type de rŽgulation ou de gouvernance Žtait bien connu des anthropologues du droit et on dŽcouvre aujourdĠhui des phŽnomnes connus par eux depuis une demi-sicle. Certes, ils ignoraient ces termes ŽsotŽriques et au contenu encore peu clair encore que rŽgulation Žtait mieux onnu que gouvernance. Ils parlaient simplement -- et il ne sĠagissait pas nŽcessairement du fond du panier de la profession -- de Òtribus (et oui !) sans gouvernantsÓ. Parmi eux[40] se trouvaient Paul Bohannan et sa femme Laura, auxquels leurs travaux sur les Tiv allaient apporter une aura incontestable. Mais aussi celui qui osait Žcrire quĠӈ proprement parler les Nuer nĠavaient pas de droitÓ -- il sĠagit, bien entendu dĠE.E. Evans Pritchard. Et dĠautres encore dont John Middleton qui dirigeait lĠouvrage avec David Tait. Face au caractre ouvertement collectif de ces sociŽtŽs aucun dĠentre eux ne sĠimaginait avoir retrouvŽ le paradis perdu sauf ˆ avoir -- ce qui nĠŽtait pas le cas de ceux que jĠai citŽ -- une propension marquŽe ˆ lĠangŽlisme. Derrire les interventions de la collectivitŽ existaient dĠune part des mŽcanismes complexes et sophistiquŽs destinŽs ˆ assurer lĠŽquilibre social -- on dirait peut-tre aujourdĠhui la bonne gouvernance -- ˆ travers des mŽcanismes de rŽgulation des tensions rŽsultant de la vie en sociŽtŽ, et dĠautre part des luttes pour le pouvoir, plus ou moins masquŽes et jouant sur tous les registres susceptibles dĠexister en la matire. ÒRien ne garantit que les ajustements [qui en rŽsultent, quĠil sĠagisse de rŽgulation ou de gouvernance] produisent des solutions ŽquilibrŽes et ŽquitablesÓ Žcrivent trs justement Ost et van de Kerchove[41]. Mais peut-on raisonnablement dire que lĠŽtat actuel de la rŽglementation et du gouvernement conduise ˆ de telles solutions ˆ travers le monde ? Il est sŽrieusement permis dĠen douter, mme en nĠŽtant pas un pessimiste-nŽ.

                  Ceci dit, je rejoins entirement Ost et van de Kerchove sur plusieurs points. Tout dĠabord lorsque, dŽfendant une Òscience critique du droitÓ Òsans prŽtendre ˆ une (impossible) neutralitŽÓ, ils refusent Òde rŽduire la complexitŽ des phŽnomnes observŽs en les ramenant ˆ lĠune des deux interprŽtations en conflitÓ mais, au contraire, souhaitent Òles maintenir en tensionÓ dans une constante dialectique fondŽe sur une Òsuperposition de paradigmes plus [quĠune] substitution [de ceux-ci]Ó[42].           

 

4. RŽseaux et pluralisme - Dans sa contribution ˆ un prochain Bulletin du LAJP ˆ para”tre cet ŽtŽ, Isabelle Nianogo met dĠemblŽe en Žvidence la polysŽmie du syntagme pluralisme juridique. Je dirais simplement que, pour un pluraliste, cela nĠa rien dĠŽtonnant; il y a certainement encore plus de conceptions du droit. Ceci posŽ, celui que je prŽsente est le mien et le succs relatif quĠa pu avoir sa premire mouture en raison de son inclusion, par la gr‰ce de Jean-Guy Belley, dans le Dictionnaire encyclopŽdique de thŽorie et de sociologie du droit dĠArnaud ne lui confre aucune validitŽ particulire ˆ mes yeux; la preuve en est que jĠai compltement renversŽ cette conception vingt ans plus tard et que jĠai ainsi glissŽ sur une pente qui mĠa fait, aux yeux dĠune collgue et amie canadienne, rejoindre Rod Macdonald dans une catŽgorie trs choisie, puisque nous nĠy sommes que deux : celle des pluralistes radicaux. Ayant ŽtŽ le premier ˆ en tre informŽ tout ˆ fait par hasard, je transmis la nouvelle ˆ Rod, qui me rŽpondit, avec un clin dĠoeil que cela valait bien une mention dans le dictionnaire dĠArnaud puisque radical avait pour Žtymologie radix , en latin la racine. Lui et moi remontions ainsi ˆ la racine mme du phŽnomne ! De son c™tŽ Rod parle de son pluralisme comme dĠun pluralisme ÒcritiqueÓ. Enfin, dans lĠenthousiasme -- souvent injuste -- qui me caractŽrise jĠai souvent parlŽ de ma premire version -- celle que jĠai bržlŽe aprs lĠavoir adorŽe -- comme dĠun faux pluralisme ou dĠun pseudo-pluralisme. Ce sont lˆ -- disons-le nettement -- Žcarts de langage qui ne conviennent pas dans ma bouche dans la mesure o jĠai appliquŽ ces termes ˆ ceux qui avaient, pendant vingt ans, ŽtŽ mes compagnons de route -- et ils sont trs nombreux -- dans cette voie que jĠai abandonnŽe aujourdĠhui. Dans ce texte[43], il ne sera question que de ma position actuelle telle quĠelle appara”t avec certaines nuances entre eux dans mes deux textes des annŽes Quatre-vingt dix[44] et aussi telle quĠelle a pu Žvoluer depuis suite ˆ mes contacts avec un complice de coeur et dĠesprit, Rod Macdonald[45].

 

                  Le pluralisme juridique selon JV2002 implique nŽcessairement :

 

- lĠabandon de la notion de systmes normatifs (et pourquoi pas de droits ?) semi-autonomes dans la mesure o, en analyse ultime, la reconnaissance nŽcessaire dĠordres juridiques autres a pour effet de les incorporer ˆ lĠordre juridique qui les reconna”t. Le cas des droits originellement africains (appelŽs le plus souvent et ˆ tort selon moi les droits coutumiers) qui servaient de point de dŽpart ˆ M.B. Hooker[46] dans sa rŽflexion sur le pluralisme juridique[47] est particulirement convaincant de ce point de vue. Ils sont reconnus certes en certaines matires, mais cette ÒreconnaissanceÓ aboutit en fait ˆ leur insertion dans lĠordre juridique prŽvalant sur le territoire o ils sont ainsi applicables puisque leur application est soigneusement contr™lŽe par le colonisateur ˆ travers des dispositions de caractre trs gŽnŽral invoquant lĠordre public, les bonnes moeurs, la bonne conscience, etc tels que les expriment lĠordre juridique colonial.  Le raisonnement me semble identique dans le cas o lĠapplication dĠun droit Žtranger est reconnue en droit international privŽ (celui-ci met effectivement en prŽsence des ordres juridiques que lĠon peut rŽputer autonomes); cette reconnaissance est toujours subordonnŽe ˆ certains principes -- mme minimaux -- relevant de la souverainetŽ Žtatique.  JĠen conclus donc que les droits, dĠune manire ou dĠune autre, ne tolrent pas, dans les limites de leur sphre dĠaction, lĠexistence dĠautres ordres juridiques qui soient ˆ proprement parler autonomes;

 

- lĠabandon du cadre dĠune sociŽtŽ dŽterminŽe, cadre affirmŽ dans le pluralisme selon JV1972 et dans de nombreuse dŽfinitions classiques du droit dans la mesure o il nĠexiste dans chaque sociŽtŽ, comme je viens de lĠŽcrire, quĠun seul droit prŽtendant absorber tous les ordres juridiques, voire normatifs, susceptibles dĠexister dans les limites de sa sphre dĠaction, en lĠoccurrence le territoire. Ë chaque sociŽtŽ correspond un droit autonome et un seul ayant vocation ˆ reprŽsenter la norme juridique pour les membres de cette sociŽtŽ quelle quĠelle soit sa nature, son mode de formation ou sa dimension. Ceci ne veut pas dire que ce droit soit fermŽ et impermŽable aux influences des autres droits. Au contraire, il existe entre tous les droits des interactions multiples et diverses qui conditionnent, en grande partie et selon une dialectique complexe, leurs Žvolutions respectives[48].

 

- lĠabandon de la rŽfŽrence au territoire (et, dans une certaine mesure -- tout est affaire de mots -- au champ) dans la mesure o de nombreux droits ne sont pas limitŽs ˆ un territoire dŽterminŽ mais chevauchent des espaces divers et multiples sans dĠailleurs nŽcessairement dŽfinir leur champ dĠaction de cette manire. Le cas des rŽseaux est exemplaire de ce point de vue et je ne crois pas nŽcessaire de revenir dessus.

 

- suite aux Žliminations successives qui viennent dĠtre mentionnŽes, un recentrage des droitS sur le seul point de leur rencontre : lĠindividu. Celui-ci est en effet soumis, volontairement ou non, ˆ une multiplicitŽ de systmes juridiques autonomes entre lesquels il tend ˆ rŽaliser un Žquilibre qui lui convient sur base de principes qui lui sont personnels, mais dŽpendent aussi de la mesure dans laquelle chaque systme juridique autonome sĠimpose ˆ lui. CĠest ce que jĠappelle le magasinage de droit et de for, Žtant entendu que tout magasinage, mme portant sur les vtements ou lĠalimentation, est fonction dĠune multitude de paramtres hautement relatifs.

 

                  JĠen arrive ainsi ˆ un regard diffŽrent sur la rŽalitŽ juridique et ˆ une perception du pluralisme juridique comme Žtant Òla sujŽtion simultanŽe de lĠindividu ˆ plusieurs droitsÓ. Je lĠaffirme typographiquement en Žcrivant non plus sujet de droit, mais sujet de droitS[49].

              Je fournis immŽdiatement trois exemples de cette sujŽtion multiple qui me paraissent Žclairants, ma dŽmarche se voulant essentiellement pragmatique et fondŽe sur la vie du droit.

 

                  A) Au cours de mes travaux relatifs ˆ lĠhistoire du droit en Acadie franaise[50]., jĠai eu le sentiment quĠen nombre de circonstances, le paysan acadien se trouvait confrontŽ, que ce soit sous la colonisation anglaise ˆ partir de 1710 ou avant celle-ci sous la colonisation franaise, ˆ des systmes normatifs multiples, divers et parfois contradictoires entre lesquels il devait, au sens propre du terme, naviguer (je dirais aujourdĠhui, magasiner). Quels Žtaient-ils ?

                  Le gouverneur, reprŽsentant de la Couronne en matire militaire et administrative et le plus souvent en conflit ouvert avec le lieutenant gŽnŽral, surtout si celui-ci exerait en outre une dŽlŽgations de lĠintendant de la Nouvelle-France lui permettant de contr™ler lĠusage fait par le gouverneur des maigres finances publiques de la colonie.

                  Le lieutenant civil et criminel dit aussi lieutenant gŽnŽral, chargŽ par le Roi de lĠadministration de la justice; souvent absent, devant couvrir un ressort sĠŽtendant sur dĠimmenses Žtendues, peu praticables une fois lĠhiver venu, cĠest-ˆ-dire au moins quatre mois par an, pratiquement sans force publique ˆ sa disposition, quand il nĠŽtait pas prisonnier des Anglais. Autant dire un magistrat plus nominal que rŽel;

                  Le seigneur du lieu qui tenait le plus souvent, des lettres lui concŽdant son fief, basse et moyenne justice, quand la haute justice ne lui Žtait pas accordŽe. Heureusement, cĠŽtait souvent un seigneur absent, mais certains de ceux qui Žtaient lˆ faisait parfois sentir leur poigne ˆ ceux qui vivaient sur leurs terres.

                  Le clergŽ, compŽtent en toutes affaires matrimoniales, mais se mlant de tout et surtout souvent dŽsespŽrŽment soucieux de faire rŽgner au moins un minimum de moralitŽ parmi ses ouailles ˆ grands coups dĠanathmes prononcŽs au prche du dimanche, mais en tout Žtat de cause impuissant sur le plan juridique compte tenu du fait que le tribunal ecclŽsiastique le plus proche se trouvait ˆ 500 kilomtres.

                  Le chef de famille, vŽritable patriarche ˆ la romaine, rŽgnant sur une famille Žtendue dans laquelle une demi-douzaine dĠenfants constituait ˆ peine une moyenne acceptable et Žtait complŽtŽe par leurs femmes et enfants. LĠensemble de ces chefs de famille Žtait garants dĠune tradition juridique coutumire remontant au moment o les premiers dĠentre eux avaient quittŽ la France.

                  Voilˆ quatre ordres normatifs autonomes quĠon me permettra provisoirement de considŽrer comme juridiques. Parmi eux je serais tentŽ de dire que deux dĠentre eux au moins, ceux du clergŽ et du chef de famille sĠinscrivent dans un rŽseau. Mais que se passait-il en cas de conflit entre deux personnes ? Nombre de ces rŽseaux sĠestimaient vite compŽtents, mme si, strictement parlant ce nĠŽtait pas le cas. Quant aux parties, vŽritables sujets de droitS, dans la mesure o elles disposaient dĠun minimum de capacitŽs dĠaction, elles essayaient de se retrouver ˆ la fois devant le for lato sensu et face au droit, tout aussi lato sensu, applicable qui leur semblaient le plus susceptibles de leur tre favorable.

 

                  B) RŽcemment la presse a fait Žtat de propos dŽsobligeants tenus par un joueur de tennis professionnel ˆ lĠŽgard, si mes souvenirs sont bons, dĠun juge de ligne aborigne au cours dĠun tournoi se dŽroulant en Australie. LĠincident fit grand bruit dans le petit monde du tennis professionnel et des grands tournois. Le joueur aurait pu  tre poursuivi pour injures ˆ caractre racial en vertu de la lŽgislation locale (ˆ condition quĠelle le prŽvoie ce que jĠignore); il pouvait tre condamnŽ ˆ une lourde amende par lĠAssociation des Joueurs professionnels (ce qui lui arriva); et le club o se dŽroulait lĠŽvŽnement aurait pu le dŽclarer persona non grata sur ses terrains pour conduite indigne dĠun gentleman (ˆ condition que son rglement le prŽvoie ce que jĠignore).

 

                  De nouveau deux de ces ordres me paraissent se prŽsenter sous forme de rŽseaux, lĠun dĠentre eux ayant en outre un point central de ralliement : le club-house.

 

                  C) Je prends lĠexemple[51] dĠun la•c, de foi catholique, professeur de lĠenseignement libre ayant atteint un niveau certain de respectabilitŽ et de responsabilitŽs dans lĠenseignement secondaire, mais aussi dans la vie publique du pays (il est sŽnateur) et impliquŽ dans une affaire de moeurs ˆ lĠoccasion de son enseignement, celui-ci sĠexerant paralllement ˆ ses responsabilitŽs administratives et ˆ son activitŽ dans des mouvements de jeunesse. Les faits qui lui sont reprochŽs sont justiciables, chacun ˆ sa manire, dĠordres juridiques (puisque nous admettons que nous sommes dans le domaine du juridique) contr™lŽs par  :

 

- lĠEtat belge, qui examinera par la voie du parquet lĠopportunitŽ de le poursuivre en justice;

- le pouvoir organisateur du rŽseau dĠenseignement dans lequel il fonctionne qui aura ˆ sa disposition diverses rŽactions, de la discrŽtion, Žquivalent du non-lieu, ˆ lĠexpulsion du rŽseau;

- le SŽnat en fonction de ce que peut prŽvoir en pareil cas ses rgles propres;

- le mouvement de jeunesse dans lequel il est impliquŽ jusquĠau plus haut niveau, auquel il consacre une partie importante de son temps libre et qui reprŽsente pour lui peut-tre davantage que ses activitŽs professionnelles;

- les divers groupements, professionnels ou autres, dont il est membre et qui prendront ou non attitude ˆ son Žgard;

- deux lignages, le sien propre et celui de sa femme, qui, sĠils possdent la cohŽsion nŽcessaire ˆ cet effet, prendront ˆ son Žgard des dŽcisions pouvant aller jusquĠˆ lĠexclusion sĠils dŽcident de lui Òfermer leur porteÓ rendant par lˆ mme sa vie familiale plus difficile;

- ses proches immŽdiats enfin, ˆ commencer par son Žpouse, avec laquelle il forme, pour le meilleur et pour le pire une sociŽtŽ fondŽe sur un contrat soumis ˆ leur commune interprŽtation pour toutes les clauses floues quĠil contient.

 

                  Ces exemples mettent en cause un certain nombre de mŽcanismes plus ou moins normatifs et contraignants au niveau du comportement de lĠindividu. JĠinsiste sur le fait quĠil suffit de la convergence de deux mŽcanismes de ce type pour justifier un pluralisme minimal. Ainsi des cas, sans aller jusquĠˆ ceux de lĠEtat et de la mafia, de lĠoccupant et de lĠoccupŽ, dont le monde actuel nous fournit tant dĠexemples, mais aussi lĠhistoire de toutes les colonisations dans lesquelles le rebelle de lĠun est le hŽros de lĠautre.  Ainsi de celui qui assassine ou blesse (ou fait justice, cĠest selon) un mŽdecin pratiquant des interventions volontaires de grossesse (ces cas se sont produit aux Etats-Unis et au Canada); il enfreint sciemment la loi du pays dont il est un citoyen, mais sĠestime en rgle face ˆ la loi de Dieu quĠil invoque, avec lĠappui des communautŽs (voire de leur hiŽrarchie), pour justifier son acte.   Et je pourrais ainsi multiplier les exemples concrets.

                  JĠaboutirais ainsi ˆ un nouveau paradigme de la science juridique, celui du pluralisme qui me para”t personnellement -- mais je suis ˆ lĠŽvidence biaisŽ -- au moins aussi intŽressant et autrement dŽrangeant pour les tenants du monisme que le passage de la pyramide au rŽseau. En effet  les exemples fournis ˆ lĠappui de la thse pluraliste heurtent de plein fouet le postulat aux termes duquel il nĠest de droit quĠau sein des mŽcanismes normatifs placŽs sous le contr™le de lĠEtat. Tous les autres ne relvent pas du juridique. Ou bien alors ils font partie de ce ÒdroitÓ que lĠon qualifie de mou au mieux, de sous-droit[52] au pire. Ils sont significatifs, intŽressants, contraignants (mme plus que le droit), mais ils ne sont pas du droit. Ceci mĠamne au point final et sans doute central des rŽactions que mĠont inspirŽ la dŽmarche de Franois Ost et Michel van de Kerchove, les rapports entre les rŽseaux et le droit.

 

5. RŽseaux et droit - De quelle branche du savoir parle-t-on  ? A lĠŽvidence de celle qui est le principal objet, sinon de notre ressentiment, du moins de notre intŽrt : le droit .De celui-ci on commence par constater que jusquĠau milieu du XXe sicle, il Žtait positif et Žmanait nŽcessairement de lĠEtat. CĠest difficilement contestable et vite dit. Mais encore. A lĠoccasion de lĠŽcriture de ce texte je me suis rendu compte quĠune distinction dont jĠai lĠimpression quĠelle est particulirement pertinente mĠavait jusquĠˆ prŽsent ŽchappŽ. Je ne distinguais pas ma dŽmarche en tant que pluraliste de ma dŽmarche en tant que pluraliste de celle que jĠadopte en tant que  comparatiste ou historien.

                  Le pluraliste, dans la mesure o il a dŽjˆ fait un choix entre une lecture moniste et une lecture pluraliste du phŽnomne juridique se trouve confrontŽ en ce qui concerne lĠidentification du juridique devant une alternative, celle consistant ˆ adopter une conception essentialiste ou non-essentialiste du droit, pour reprendre le vocabulaire de Tamanaha qui habille ainsi une idŽe extrmenent proche de celle avancŽe par Macdonald trois ans plus t™t sous lĠŽtiquette du pluralisme critique sans apparemment se rendre compte de la similitude Žvidente de leur rŽflexion[53]. JĠavoue  que, pour des raisons que je prŽciserai dans un instant, je me suis longtemps rangŽ dans le camp des essentialistes, cĠest-ˆ-dire de ceux qui estimaient quĠune certaine idŽe du droit Žtait un prŽalable indispensable ˆ toute recherche portant sur le pluralisme juridique. Je mĠengageais ainsi sur la pente savonneuse dĠune dŽfinition ҎlargieÓ du droit[54] qui mĠŽtait familire en tant que comparatiste et en tant quĠhistorien, comme je le montrerai dans un instant. Bien avant que je lise Tamanaha, Rod  Macdonald mĠavait convaincu, au cours dĠentretiens qui Žtaient, eux aussi critiques, que je nĠallais pas assez loin dans la remontŽe vers les racines du pluralisme et quĠil fallait admettre finalement quĠŽtait juridique ce que les parties choisissant dĠinscrire leur action dans un groupe social quel quĠil fžt considŽraient comme Žtant du droit.

                  Rod mĠacculait ainsi ˆ accorder avec ma conception du pluralisme une rŽflexion que je menais depuis longtemps sur la nature des sources du droit et dans laquelle jĠaboutissais ˆ la conviction que le contrat Žtait autant source de droit que la loi et que la distinction classique entre droit objectif et droit subjectif Žtait non fondŽe[55]. Reprenant ainsi hors contexte et dans son sens littŽral le prescrit de lĠarticle 1134 du Code civil jĠavanais que toute convention lŽgalement (au sens o les parties et non le droit positif entendaient cet adverbe) constituaient le droit (et non la loi, seule source vŽritable de droit dans le droit positif classique) des parties[56]. Laissons donc aux parties le soin de dŽfinir la nature juridique ou non des actes quĠils posent. JĠai conscience que nous ouvrons en pareil cas ce que les juristes classiques appelleront facilement une bo”te de Pandore. Mais nĠest-ce pas ce que la vie du droit nous apprend chaque jour ? Et le droit est-il ce droit mort qui est enfoui dans les livres ou ce droit vivant dont on nous rebat les oreilles en nous disant que lui seul est le vrai droit ! Exit le pluralisme quĠil soit critique, non-essentialiste ou radical.

                  Entrent en scne lĠanthropologue (du droit, certes), le comparatiste (des droits, Žvidemment) et lĠhistorien (du droit, bien entendu). Pour ceux-ci le problme se pose, me semble-t-il, en termes diffŽrents de ceux auxquels est confrontŽ le pluraliste. Se sŽparant dĠune approche holistique des sociŽtŽs que prŽconisent anthropologues (certainement), comparatistes (certes moins et ˆ tort) et historiens (autant que les premiers), ces trois personnages ont choisi dĠisoler le juridique dĠautres aspects du social. Or, personne ne semble remarquer, depuis fort longtemps dŽjˆ, que, quĠil soit anthropologue, comparatiste ou historien, ds quĠil sortait de la pyramide, reprŽsentation graphique parfaitement acceptable de ce droit moniste, ce personnage se trouvait frŽquemment dans un paysage dĠo Žtaient absents lĠEtat pour commencer, donc, nŽcessairement, la pyramide et ... le droit. Or chacun autour de lui et lui bien sžr persistaient ˆ parler de droit, quĠil soit :

- anthropologue du droit observant, comme Paul Bohannan, les Tiv ou E. Evans Pritchard, les Nuer; lĠun comme lĠautre annonaient un petit volume dĠessais auquel dĠailleurs ils allaient participer, Tribes without Rulers que dirigereaient John Middleton et Richard Tait[57]. Ainsi Žmergeaient les sociŽtŽs acŽphaliques, dont il fallait bien constater quĠelles nĠŽtaient pas Žtatiques. A ce moment le dilemme Žtait en principe simple et Evans-Pritchard, dans The Nuer[58], lĠavait bien compris, mais il sĠen tirait par une pirouette lorsquĠil Žcrivait ÒThe Nuer, properly speaking, have no lawÓ. Pirouette admirable, en vŽritŽ[59] ! Mais qui ne peut satisfaire ni les uns ni les autres. Bohannan, de son c™tŽ, intitulait son ouvrage, devenu classique, Justice and Judgment among the Tiv[60], Žvitant ainsi soigneusement le mot droit. Comme dans les trains, il est dangereux de se pencher au dehors et, ˆ lĠŽvidence lĠanthropologue se mŽfiait de la fentre grande ouverte sur la pente savonneuse de la dŽfinition du droit, dont il ne savait pas o elle pouvait lĠentra”ner.

 

- comparatiste sĠŽgarant dans un monde ÒexotiqueÓ, encore quĠil soit fort proche et le premier dĠentre eux ˆ avoir intŽressŽ les comparatistes, celui de lĠIslam. QuĠapprend-t-il ? Que le droit y est fort proche mais distinct de la religion, quĠil y est identifiŽ par un mot et que celui-ci se transcrit en franais : chariĠa. Poussant plus loin son dŽsir de connaissance, le comparatiste se penche sur trois ouvrages classiques dĠiuintroduction au droit musulman pour voir ce quĠest exactement cette chariĠa. Et il trouve : 1) la chariĠa est le sentier ouvert par le CrŽateur; en le suivant les hommes trouveront le bien-tre moral et matŽriel; 2) la chariĠa rŽglemente de manire fort dŽtaillŽe les actes des individus les uns par rapport aux autres et par rapport ˆ la communautŽ; elle comprend tous les devoirs de lĠhomme envers Dieu et ses frres les hommes; flottant au-dessus de la sociŽtŽ musulmane comme une ‰me dŽsincarnŽe, libŽrŽe des courants et des vicissitudes du temps, elle reprŽsente lĠidŽal Žternellement valide vers lequel la sociŽtŽ doit aspirer; 3) le droit sacrŽ de lĠIslam (chariĠa) est un corpus comprŽhensif de devoirs religieux, la totalitŽ des commandements de Dieu (Allah) ] qui rŽglementent la vie de tout Musulman dans tous ses aspects; elle comprend sur un pied dĠŽgalitŽ des ordonnances concernant lĠadoration et le rituel aussi bien que des rgles politiques et juridiques (au sens Žrtoit du mot)[61]. Du droit, cela ? Vous avez dit du droit ? En tout cas pas ce que moi jĠappelle du droit !

 

- historien du droit franais sĠaventurant dans les campagnes de son pays au lendemain des invasions barbares lorsque lĠadministration romaine sĠest effondrŽe ou ˆ lĠaube de la fŽodalitŽ alors que lĠempire carolingien ne correspond plus ˆ aucune rŽalitŽ. En ces moments troublŽs de lĠhistoire de ces rŽgions qui deviendront la France est-il possible raisonnablement dĠencore parler dĠEtat ? Et pourtant il ne viendrait ˆ personne de dire quĠˆ lĠŽpoque il nĠy a pas de droit et que les travaux de lĠhistorien du droit (je souligne) sont devenus au sens propre Òsans objetÓ.  LĠalternative est simple : soit il nĠy a plus de droit et alors ne parlons plus de cette branche de lĠhistoire, soit le droit existe bien et alors on remet en cause sa dŽfinition positiviste et donc sa relation indiscutable ˆ un Etat par ailleurs inexistant ˆ ces moments de lĠhistoire. Il est inutile de dire quel est mon choix entre ces deux branches.

 

                  Dans tous ces cas o le mot droit Žtait employŽ personne ne semblait se poser une question simple et ŽlŽmentaire : mais de quoi parlons-nous ? Quelle logique sous-tend le fait que nous avons dŽcidŽ dĠappeler ce que nous dŽcrivons du droit et donc de le faire entrer dans le champ de nos disciplines respectives ? Tout simplement nous avons extrapolŽ trs (ou plut™t trop) approximativement des ŽlŽments de notre dŽfinition Žtatique qui, ˆ lĠŽvidence nĠont pas de place dans les lieux ou les Žpoques o nous nous situions. Nous avons pratiquŽ une dŽmarche que nous reprocherait certainement L. Assier-Andrieu lorsquĠil Žcrit que Òle droit est le produit des sociŽtŽs qui lĠont spŽcifiŽ comme telÓ[62], ce qui nous rappelle le non-essentialisme dŽjˆ rencontrŽ chez Tamanaha lorsquĠil nous parlait du pluralisme. Je ne puis les suivre dans cette voie. En effet, si les rapports normatifs ne sont du ÒdroitÓ que si les gens situŽs ˆ lĠintŽrieur dĠune arne[63] sociale les caractŽrisent conventionnellement en termes de ÔdroitĠÓ, comme lĠŽcrit Tamanaha, cela suppose quĠil y ait, dans chaque sociŽtŽ un terme dont nous dŽcidons quĠil correspond exactement ˆ notre  ÒdroitÓ[64]. Mais que fait-on des sociŽtŽs situŽes dans lĠespace et le temps au sein desquelles pareil terme nĠest pas identifiable ou plut™t ne lĠest que parce que nous y recherchouns le mot qui corresponde ˆ notre vision essentialiste du droit ?

                  LĠexemple du choix de traduction fait pour chariĠa est Žloquent ˆ cet Žgard au plan de la mŽthode comparative et je pourrais lĠextrapoler ˆ lĠhistoire ou ˆ lĠanthropologie : comment les habitants de la Gaule barbare ou les Zande[65] appelaient-ils le droit dans leur langue ? Mystre ! Vous avez dit mystre ? Le raisonnement dĠAssier-Andrieu et de Tamanaha ne peut sĠappliquer quĠaux sociŽtŽs dans lesquelles les populations se sont faites une idŽe du droit au sens positiviste du terme et appliquent, par Žquivalence, le terme droit utilisŽ dans leurs propres sociŽtŽs ˆ une certaine rŽalitŽ normative quĠils choisissent dĠainsi qualifier. Mais au-delˆ de ce contexte prŽcis, le critre non-essentialiste risque de laisser de nombreuses populations en dehors du champ de la communication par dŽfaut de langage commun. En outre, il nĠest pas certain que pour chacun des acteurs en prŽsence dans lĠarne sociale prŽvale une vision identique du phŽnomne en cause. Nous en revenons ainsi ˆ un autre problme essentiel, apparemment tout aussi impossible ˆ rŽsoudre  : celui de la communication[66]. Sous rŽserve dĠun examen plus approfondi dont la place nĠest pas ici, je ne crois pas que cette manire de rŽsoudre le problme nous conduise bien loin.

                  Le problme demeure donc entier. Si le rŽseau peut se distinguer de la pyramide par nombre de ses caractres, en quoi est-il juridique ? Pour Franois Ost et Michel van de Kerchove la rŽponse semble aller de soi, encore que nous puissions avoir lĠaudace de les souhaiter plus explicites lorsquĠils Žcrivent quĠune fois lancŽs sur la pente savonneuse de la dŽfinition du droit le risque est grand de Òla dilution de la normativitŽ juridique dans la rŽgulation sociale globaleÓ. DĠautres lĠont exprimŽ plus rudement : ÒOu bien tout est droit ou bien rien nĠest droitÓ. Sauf, bien entendu -- et cĠest la solution du plus grand confort -- ˆ revenir au paradigme dominant assimilant le droit ˆ lĠEtat. Le choix des mots et la substitution de rŽgulation ˆ normativitŽ, comme celle de sociale ˆ juridique (je prŽfŽrerais personnellement, par souci de clartŽ et afin que la comparaison gagne en rigueur remplacer juridique par Žtatique puisque la comparaison porte sur lĠorigine de la rŽgulation ou de la normativitŽ) et de globale ˆ .... (puis-je suggŽrer partielle par opposition ˆ globale ?) ne changent rien ˆ lĠaffaire. LĠune se diluerait dans lĠautre jusquĠˆ dispara”tre et plus rien ne serait droit. On ferait alors, par consŽquence, lĠŽconomie de lĠadjectif juridique qui nous cause tant de souci.

                  Nous en revenons ainsi ˆ la tarte ˆ la crme dont chacun dĠentre nous est entartŽ et dont aucun dĠentre nous ne parvient ˆ tout ˆ fait se nettoyer[67]. On peut certes distinguer Droit[68] et juridicitŽ, comme le fait Etienne Le Roy au terme du jeu des lois; je dirais seulement que le premier, symbolisŽ par la pyramide, ne mĠa jamais intŽressŽ que marginalement, et que seule la seconde -- que je rechercherais personnellement plus volontiers dans la trame complexe que forment les rŽseaux -- mĠa -- comme dĠailleurs Etienne -- vraiment intŽressŽ. On peut aussi distinguer rgles et processus[69], opposant ainsi une dŽmarche de civiliste ˆ une dŽmarche de common lawyer ; nĠest-ce pas dĠailleurs, consciemment ou inconsciemment, ce que font Ost et Van de Kerchove lorsquĠils opposent normativitŽ ˆ rŽgulation, la premire impliquant davantage un Žtat et la seconde une dŽmarche, un processus ?A lĠune comme ˆ lĠautre distinction, celles dĠƒtienne comme celle de Franois et Michel jĠadhŽrerais volontiers si elles ne me laissaient sur ma faim. Mais, celle-ci est-elle justifiŽe ?

                  Nous sommes les hŽritiers de gŽnŽrations qui ont progressivement dŽgagŽ cette normativitŽ particulire quĠest la normativitŽ juridique de la rŽgulation globale quĠest la rŽgulation sociale. Ce faisant nous avons Žgalement progressivement donnŽ ˆ cette normativitŽ une forme, celle de la pyramide. Certains dĠentre nous, sous lĠinfluence de lĠanthropologie, de la comparaison ou de lĠhistoire en sont venus ˆ sĠintŽresser davantage ˆ la rŽgulation sociale globale. Leur seul malheur rŽside dans le fait quĠils ont souvent ŽtŽ formŽs au droit, donc ˆ la normativitŽ juridique et que, qui plus est, ils y ont ŽtŽ formŽ dĠune manire tellement dogmatique quĠils peuvent difficilement se dŽbarrasser de ce credo qui rŽsonne triomphant dans nos facultŽs :ÒEt unum, sanctum, catholicum et apostolicum IusÓ sur le modle du credo de lĠEglise. Cette conception du droit est en effet une, sacrŽe, universelle et objet dĠune diffusion paradigmatique ˆ travers le monde.

                  Comme telle, elle est cependant hautement relative et minoritaire face ˆ de nombreux et divers modes de rŽgulation sociale. En ce qui me concerne et de manire essentialiste et  totalement temporaire, jĠai cru pouvoir cerner le juridique dans un article rŽcent dŽdiŽ ˆ Michel Alliot. Je le concluais en Žcrivant : ÒNous voilˆ, ˆ travers la conviction de la multiplicitŽ des droits, revenus au droit dans sa singularitŽ[70].  Celui-ci serait identifiable ds que nous rencontrons des mŽcanismes de contrainte mis en oeuvre par la sociŽtŽ elle-mme afin dĠexercer sur ses membres un pouvoir quĠelle sĠattribue.  Dans cette perspective, comme le dit si bien Michel Alliot : ÔIl nĠy a pas dĠopposition de nature entre les droits europŽens et les droits traditionnels dĠautres continents.  Ceux qui ont opposŽ mentalitŽ logique et mentalitŽ prŽ-logique, droit et prŽ-droit, ou plus rŽcemment sociŽtŽs chaudes et sociŽtŽs froides, ont ŽtŽ victimes dĠune illusion dĠoptiqueĠ[71].  Et me voilˆ ainsi parvenu, au terme de ce cheminement trs bref et peu nuancŽ dans sa brivetŽ, au bas de la pente savonneuse de ma dŽfinition -- pour ce que le mot veut dire -- du droit. Est-elle opŽrationnelle ?  Seule la confrontation aux faits de la vie en sociŽtŽ permettra de le dire.  Car, en dŽfinitive, ce sont eux qui sont ˆ lĠorigine des dŽfinitions et non le contraire.Ó Pour le moment, je ne renie rien de ces propos. Le devoir du roseau pensant est de sans cesse les remettre en question.



[1] De la pyramide au rŽseau ? Pour une thŽorie dialectique du droit, Bruxelles, FacultŽ universitaires Saint-Louis, 2002, 597 pp.

[2] Sans bien entendu que jĠaie jamais rvŽ dĠy voir un quelconque paradigme; tout au plus un Žlargissement du champ de mes investigations au-delˆ de la pyramide.

[3] Je reviens sur ce point sub 4 ci-dessous.

[4] Law as a Process, An Anthropological Approach, London, Henley and Boston, 1978.

[5]  Je reviens sur ce point sub 2 ci-dessous.

[6] Firenze, Sansoni, 1977, lĠŽdition originale datant de 1918.

[7] H. Mendras, La France que je vois, Paris, Editions Autrement, 2002.

[8] Voir le second de ces ouvrages lus rŽcemment, ci-dessous.

[9] Idem, 50.

[10] Idem, 87.

[11] Paris,Odile Jacob, 2002.

[12] Idem, 9.

[13] Je reviens sur cette formule, que F. Ost et M. Van de Kerchove opposent ˆ la ÒnormativitŽ juridiqueÓ, sub 5 ci-dessous.

[14] Le nouvel esprit de famille, 11.

[15] Ibidem.

[16] Je reviens sur ce point de la juridicitŽ, chre ˆ Etienne Le Roy, sub 5 ci-dessous.

[17] Le nouvel esprit de famille, 182.

[18] Voir mon ÒLa peine. Essai de synthse gŽnŽraleÓ, La peine, Recueils de la SociŽtŽ Jean Bodin, Bruxelles Deboeck-Wesmael 1991, 435‑512. Comme jĠai eu lĠoccasion de le prŽciser lors de ma prŽsentation orale, je suis un incorrigible dilettante qui butine les fleurs du droit depuis un demi-sicle sans parvenir ˆ mĠarrter en un lieu de prŽdilection. Il en rŽsulte un caractre trs superficiel et toujours inachevŽ de mes propos. Le hasard a voulu que je trouve dans cette rŽunion un bonheur particulier, car il mĠa remis ˆ lĠesprit nombre de fruits de cet incessant butinement auxquels jĠaurai lĠoccasion de me rŽfŽrer. JĠen demande pardon au lecteur en le mettant en garde contre de trop grandes espŽrances sĠil lui advenait de sĠŽgarer dans ces textes.

[19] Voir mon ÒLe code pŽnal belge entre 1830 et 1867", MŽlanges Robert Legros, Bruxelles Bruylant 1985, 707‑734.

[20] De la pyramide au rŽseau ?, ÒIntroductionÓ, 23-26.

[21] Ceux qui me lisent doivent sĠen rendre compte !

[22] Idem, 47. Je reviens sur ce point sub 2 ci-dessous.

[23] ÒLe rŽseau est dĠabord un espaceÓ, in ÒLa dimension spatiale de la structure du rŽseauÓ, ci-dessus pp. ??-??.

[24] ÒLand, Tenure and Land TenureÓ, African Agrarian Systems, Oxford, O.U.P., 1963, 101-111. JĠai eu le privilge de participer ˆ ce sŽminaire de lĠInternational African Institute et dĠentendre Paul dans cette communication qui fut lĠun des grands moments de mon parcours initiatique sur le chemin du savoir.

[25] Henri Mendras Žcrit a sujet de notre ÒfŽtichisme du territoire et de la frontireÓ une brve synthse ˆ laquelle je ne puis que renvoyer le lecteur.Op. cit., 47-48.

[26]  Gallia regia : ou Žtat des officiers royaux des bailliages, sŽnŽchaussŽes et les institutions monarchiques locales en France ˆ la fin du Moyen Age, 7 vol., Paris, Imprimerie nationale, 1942-1966..

[27] Je reviens sur le sens de cet adjectif sub 4 ci-dessous.

[28] Dans leur Introduction, Ost et van de Kerchove parlent dĠenchevtrements.

[29] ÒQuo vaditis iura africana ?Ó, Jahrbuch fŸr afrikanisches Recht, 8 (1997), 145-161; ÒLes droits africains entre positivisme et pluralisme, Bulletin des sŽances de lĠARSOM, 46 (2000), 279-292; ÒProduction pluraliste du droit et reconstruction de lĠEtat africainÓ, Afrique contemporaine, (211) 2001, 78-84.

[30] Encore que sur ce point, elle soit Žgalement battue en brche par une reconnaissance Žventuelle de la capacitŽ de traiter au plan international dĠentitŽs infra-Žtatiques, comme, en Belgique les communautŽs et les rŽgions ou au Canada les provinces.  

[31] Voir sur ce point mon ÒHarmonie et dissonance - Langues et droit au Canada et en Europe ou De lĠutilitŽ des synthsesÓ, Revue de la common law en franais, 3 (1999-2000), 217-278. Encore que lĠefficacitŽ des rŽseaux face ˆ la mondialisation semble avoir ŽtŽ rŽcemment mise en Žvidence. 

[32] Voir, sur ce point, mon ÒË propos de la vocation de notre temps ˆ la rŽvision de la thŽorie des sources de droit et des instruments de justiceÓ, Sources du droit et instruments de justice en droit privŽ (N. Kasirer et P. Noreau, dir.), MontrŽal, Themis, 2002.

[33] Ibidem.

[34] De ce point de vue lĠexpression droit nŽgociŽ me para”t adŽquate, encore que je ne sois pas certain que cette forme de production du droit soit nŽcessairement la caractŽristique du rŽseau.

[35] Sur ce point voir les nombreuses stratŽgies quĠils sont suceptibles de mettre au point dans De la pyramide au rŽseau ? ÒIntroductionÓ, et aussi C. Varga, ÒArtificiality, Relativity and Interdependency of Structuring Elements in a Practical (Hermeneutical) ContextÓ, Projet de Rapport national hongrois pour le XVIe Congrs international de droit comparŽ (Brisbane 2002).

[36] Voir notamment ÒVilles africaines et pluralisme juridiqueÓ, Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, 42 (1998), 245-274.

[37] De la pyramide au rŽseau, 26-28, particulirement 28.

[38] Supra, note 35.

[39] Voir mon ÒCode et codification dans la pensŽe de Jeremy BenthamÓ, Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, 1964, 4-78.

[40] Je cite de mŽmoire, nĠayant pas lĠouvrage sous la main.

[41] De la pyramide au rŽseau, 31.

[42] Idem, 37-39. Ost et van de Kerchove parlent dĠune science du droit critique et, espŽrant les avoir bien compris, je prŽfre inverser la place de lĠadjectif.

[43] Ë la demande dĠEtienne Le Roy, jĠai rŽservŽ pour un prochain Bulletin du LAJP (ŽtŽ 2002) lĠhistoire de mes ÒTrente ans dĠune  longue marche sur la voie du pluralisme juridiqueÓ.

[44] Ce sont ÒReturn to Legal Pluralism ‑ Twenty Years LaterÓ, Journal of Legal Pluralism, (28) 1991, 149‑157 et ÒVers une conception nouvelle du pluralisme juridiqueÓ, Revue de la Recherche juridique - Droit prospectif, 1993, 573-583.

[45] On en trouve des traces dans divers Žcrits peu achevŽs qui ne sont peut-tre pas exempts de contradictions entre eux et qui tŽmoignent de mes perplexitŽs devant un problme qui est loin, pour moi, dĠtre rŽsolu.

[46] Legal Pluralism, Clarendon Press, Oxford. 1975.

[47] Le sous-titre de son ouvrage est parlant ˆ cet Žgard : An Introduction to Colonial and Neo-colonial Laws.

[48] Je souligne combien cette conception est proche de celle de Franois Ost et Michel van de Kerchove dans leur approche des pyramides et des rŽseaux.

[49] Cette pratique Žtonne certains dont Isabelle Nianogo-SerpantiŽ qui, sĠy rŽfŽrant dans son article prŽcitŽ, fait suivre ce syntagme dĠun (sic!) vigoureux.

[50] ÒLa double colonisation juridique de l'Acadie aux XVIIe et XVIIIe siclesÓ, Bulletin des SŽances de l'AcadŽmie royale des Sciences d'Outre-Mer, 1993, 361-384; ÒA la rencontre de l'histoire du droit en AcadieÓ, Revue de l'UniversitŽ de Moncton, 1995, 47-80; Manitoba Law Review, 1995, 79-102; ÒAlliances entre familles acadiennes pendant la pŽriode franaiseÓ, Cahiers de la SociŽtŽ historique acadienne, 27(2-3) 1996, 125-148; ÒUne colonisation atypique - La France en Acadie (1604-1713)Ó, Bulletin des sŽances de lĠAcadŽmie royale des sciences dĠoutre-mer, 43 (1997), 517-541; Ò(Avec StŽphane LeBlanc)Pauvre en France, riche en Acadie - Ë propos des patrimoines pendant la pŽriode franaiseÓ, Cahiers de la SHA, 29 (1-2) (1998), 10-33; Se marier en Acadie franaise (XVIIe-XVIIIe sicles), Moncton, ƒditions de lĠAcadie, 1998 et surtout, Le lieutenant civil et criminel - Mathieu De Goutin en Acadie franaise, ˆ para”tre.

 

[51] Cet exemple est le fruit de lĠamalgame de situations multiples dont jĠai eu personnellement connaissance au cours de ma carrire, dont chacune comprenait au moins un chevauchement dĠordres normatifs et dont toutes auraient pu se retrouver rŽunies sur un individu.

[52] Je suis particulirement allergique ˆ cette qualification, quĠemploie notamment Jean Carbonnier, depuis quĠelle a ŽtŽ utilisŽe pour dŽsigner une catŽgorie dĠhommes.

[53] Voir M.-M. Kleinhans et R. Macdonald, ÒWhat is Critical Legal Pluralism ?Ó, Revue canadienne Droit et SociŽtŽ, 12 (1997) 25-46 et B.Z. Tamanaha, ÒA Non-Essential Version of Legal PluralismÓ, Journal of Law and Society, 27 (2000) 296-321. 

[54] Cet Žlargissement sĠimposait dĠailleurs bien au-delˆ de la dŽfinition du droit en tant que tel; elle embrassait tous les aspects du champ couvert par celui-ci.

[55] Au sujet de mon cheminement difficile dans cette direction, voir ÒLe juriste et la coutume, un couple impossible ? (bis) ou, Ë propos de MŽthode dĠinterprŽtation et sources, contrepoint au dŽpart dĠune image franaise de la loi et du jugeÓ, Franois GŽny, mythe et rŽalitŽs, Bruxelles/MontrŽal/Paris, Bruylant/Blais/Dalloz, 2000, 55-100.

 

[56] Voir, sur ce point, J.-P. Chazal, ÒDe la signification du mot loi dans lĠarticle 1134 alinŽa 1er du Code civilÓ, Revue trimestrielle de droit civil, (2001) 265-283.

[57] London, Routledge and Kegan, 1970.

[58] London, Oxford University Press, 1940.

[59] Comme celle du clown dans ÒLe saut du tremplinÓ de ThŽodore de Banville.

[60] London, Oxford University Press, 1957.

[61] Ces traductions personnelles sont extraites respectivement de H. Afchar, ÒThe Muslim Conception of LawÓ, International Encyclopedia of Comparative Law, Vol. II, The Legal Systems of the World, Chap. I - The Different Conceptions of Law (R. David, dir.), TŸbingen, Mohr, 1975, 86; N.J. Coulson, A History of Islamic Law, Edinburgh, Edinburgh University Press, 1964, 2; et J. Schacht, An Introduction to Islamic Law, Oxford, Clarendon Press, 1964, 1.Voir, sur ce point, mon ÒReligious laws as systems of law : a comparatist's viewÓ, Religion, Law and Tradition : comparative studies in religious law (A. Huxley, ed.), London, Taylor and Francis, 2002, 165-182.

[62] ÒLe juridique des anthropologuesÓ, Droit et sociŽtŽ, (5) 1987, 102.

[63] Je lui laisse la responsabilitŽ du terme; peu dĠespaces sont en effet aussi fermŽs quĠune arne.

[64] Et encore ! Dans son texte relatif au droit canon dans  Religion, Law and Tradition : comparative studies in religious law, prŽcitŽ en note 61, S. Ferrari sĠinterroge un bref instant au sujet de la similitude de sens entre ius et droit lorsquĠil est question de ius canonicum. 

[65] Dont jĠai ŽtudiŽ le droit il y a quelque 45 ans.

[66] Voir les quelques pages que jĠy consacre dans mon Anthropologie du droit, Paris, Dalloz, 1996..

[67] Le Chapitre V de De la pyramide au rŽseau sĠintitule : ÒLa dŽfinition du droit : une question sans rŽponse ?Ó. Il compte quelque 40 pages et sa discussion serait dŽplacŽe en ce lieu. 

[68] La capitalisation du mot nĠest pas de moi; je ne lĠutilise que dans le contexte, bien particulier de cette phrase.

[69] La formule Law as a Process de S. Falk-Moore est Žloquente ˆ cet Žgard.

[70] Voir, pour une formulation dans cette ligne de pensŽe R. Verdier, ÒLe droit au singulier et au plurielÓ, Droits, (11) 1990, 74.

[71] ÒLes transferts de droit ou la double illusionÓ, Bulletin de liaison du LAJP, no 5, 1983, pp. 122-131, p. 125.