L’UTOPIE PLURALISTE,

SOLUTION DE DEMAIN AU PROBLÈME DE CERTAINES MINORITÉS ?

(paru dans L’utopie pluraliste, solution de demain au problème de certaines minorités ?, Minorités et organisation de l’État, Bruxelles, Bruylant,1998, 665-675.)

Jacques Vanderlinden

(vanderj@UMoncton.CA)

L'hypothèse pluraliste est à la mode. Bien davantage sans doute sur le plan théorique, au niveau des discussions dans des cénacles divers, que dans un aménagement concret des systèmes juridiques afin de transformer la théorie en pratique. De quelle théorie s'agit-il d'ailleurs, puisqu'il y a sans doute autant de pluralismes juridiques qu'il y a de personnes qui s'y intéressent ? Participant personnellement à ces jeux de l'esprit, je me situerai donc par rapport à ma perception de ce que devrait ou pourrait être un système juridique pluraliste pour essayer de voir ensuite dans quelle mesure cette approche présente ou non un intérêt en ce qui concerne l'organisation institutionnelle du statu des minorités.

I. Le pluralisme juridique

Le pluralisme juridique, "selon Vanderlinden", postule l'existence d'une multiplicité d'ordres normatifs susceptibles de revendiquer la qualification de "juridiques" et de s'appliquer simultanément au comportement d'un individu. En ce sens, le pluralisme ne s'inscrit pas, comme on a pu le croire et on le pense encore souvent, dans une société déterminée. Il se situe essentiellement -- et c'est capital -- au niveau de l'individu en tant que point de convergence d'ordres qu'il considère comme juridiques et qui sont produits par des sociétés dont, à un titre ou un autre, volontairement ou non, il relève. Il doit, dès lors, être considéré non plus comme un sujet de droit, mais bien un sujet de droitS.

Certains ont voulu y voir l'apogée sans limitations aucune de l'individualisme, la destruction de la société, l'élimination de la dimension sociale du droit et que sais-je encore. Ce n'est à l'évidence pas le cas. Que le droit soit un phénomène dans lequel la dimension sociale est essentielle, il n'est pas question de le nier. Il n'est pas davantage question de croire que l'individu est le siège unique de la création du droit. Bien au contraire. Plus modestement, le pluralisme constate la très fréquente -- je me méfie de l'universalité ou de la généralité que certains revendiquent au bénéfice de certans phénomènes sociaux -- insertion de l'individu dans de multiples sociétés et donc dans de multiples ordres juridiques à l'élaboration, au développement et à la mise en oeuvre desquels il participe dans des mesures et à des titres divers.

Le problème est que ces ordres juridiques peuvent avoir des visions différentes de la manière dont ils entendent contrôler le comportement des individus qui en sont les sujets. À ce moment, il est fréquent, mais pas nécessaire, que l'individu se trouve confronté à un choix entre aussi bien le for devant lequel porter le conflit dans lequel il est impliqué qu'entre les droits susceptibles de gouverner le fond de ce même conflit. Son rôle dans l'élaboration de ce qui est sur le point de devenir le droit tel qu'il s'appliquera à lui est alors déterminant. À proprement parler, c'est lui et lui seul qui, à ce moment, par le choix qu'il effectue entre diverses potentialités, fait le droit.

Bien sûr ce droit est fort loin de cet "ensemble de règles dont l'application est garantie par le pouvoir et qui gouvernent le comportement des individus membres d'une société déterminée" pour reprendre, de manière très générale les éléments constitutifs de nombreuses définitions du droit telles qu'elles figurent dans les manuels classiques. En effet la solution adoptée par le sujet de droitS au sein de celles que lui offrent les systèmes juridiques dont il relève lui est personnelle. Elle découle d'un choix qui, bien entendu, n'est pas entièrement libre -- quel choix offert à l'homme l'est ? -- mais qui n'est pas davantage celui que lui impose la seule et unique société à laquelle les définitions classiques postulent qu'il appartient. Et rien ne permet de prévoir d'une part que ce choix sera toujours identique et d'autre part que d'autres sujetS de droit placés devant un choix identique adopteraient la même solution.

Pareillle conception a nécessairement pour corollaire qu'à toute situation conflictuelle donnée, il n'y a pas qu'une, mais bien des solutionS. Et qu'entre celles-ci, ce n'est pas l'une ou l'autre des sociétés en présence (voire les deux de commun accord) qui tranche nécessairement entre les options possibles, mais bien l'individu rétabli dans sa dignité d'acteur et dégagé de sa sujétion, même si, pour mieux marquer la différence avec le système moniste, je l'appelle encore sujet par référence à ce que j'ai appelé ailleurs le caractère totalitaire des systèmes juridiques.

L'exemple le plus courant en est le sportif professionnel. Celui-ci est souvent régi par un cadre normatif contraignant qui canalise ses comportements de telle sorte qu'une infraction aux règles fixées par la société à laquelle il appartient entraîne des sanctions pécuniaires, des suspensions d'activité, voire des exclusions, extrêmement contraignantes sur le seul plan de sa survie économique, alors que le droit étatique auquel il est personnellement ou localement rattaché est indifférent à ces mêmes comportements. Jusqu'au jour où, estimant ce système qu'il a accepté pendant parfois fort longtemps, le sportif -- qui est aussi le citoyen d'un État -- s'avise de ce que le droit étatique, voire un droit supraétatique, comme celui défini dans des conventions européennes, pourrait fort bien lui offrir une solution susceptible de mieux lui convenir. Il fait, à ce moment, un choix entre trois ordres juridiques, ceux du monde sportif, de l'État ou, par exemple, de l'Europe.

Mais le sportif n'est pas le seul à se trouver au coeur d'un débat constant entre divers ordres qui s'imposent à lui et le forcent parfois à des choix extrêmement difficile. Le militant anti-avortement qui se réclame de la loi de Dieu ou encore le médecin profondément catholique, conscient de la primauté de principe de l'enseignement de l'Église sur le droit des hommes, peuvent être amenés à poser des actes parfois fort graves résultant d'un choix entre des ordres juridiques dont les prescrits sont contradictoires. De même, pendant longtemps, l'objecteur de conscience estimait devoir obéir à un ordre juridique différent de celui de l'État et acceptait des sanctions extrêmement dures s'il persistait à se considérer comme davantage lié par celui-là que par celui-ci.

Enfin, dans les pays du Tiers-Monde, particulièrement dans ceux où l'ordre étatique s'est affaibli au point de devenir inopérant, coexistent de nombreux ordres juridiques de nature fort diverse, dont nombre sont qualifiés d'informels, mais représentent la réalité du vécu juridique des populations alors que le droit de l'État, malgré sa prétention à réglementer la plupart des comportements de ses citoyens, n'est plus qu'une coquille vide ne réglementant qu'une fraction infime des rapports juridiques des individus. Ceux-ci sont effectivement devenus des sujets de droitS et non plus de droit.

II. Les minorités

Bien qu'il soit extrêmement difficile de définir une minorité, il ne vient plus à l'idée de personne d'en nier l'existence. Je dirais simplement qu'il s'agit de personnes acceptant de faire partie d'une société, mais estimant devoir échapper, en raison de leur appartenance à une autre société, à une partie du droit que la première entend leur imposer. Le plus souvent la première de ces sociétés est de type étatique et la seconde de type socio-culturel. La place n,est pas ici de s'interroger sur la validité d'autres critères d'identification des sociétés. Je voudrais seulement mettre en évidence que le système normatif étatique ou supra-étatique n'est pas le seul par rapport auquel une minorité est susceptible de se définir. C'est notamment le cas des minorités se définissant par rapport à d'autres minorités. À l'évidence, si on accepte la conception du pluralisme "selon Vanderlinden", le membre d'un groupe minoritaire est susceptible de se trouver en situation de pluralisme et donc d'être un sujet de droitS.

Reste alors à lui donner, par un aménagement institutionnel adéquat à lui donner l'occasion d'effectuer un choix tant au niveau du for qu'à celui du droit applicable. Cette possibilité peut lui être d'autant plus facilement -- et souvent même plus facilement que dans certains cas précédents -- offerte qu'est éliminée, dans le cas des minorités, une double difficulté que rencontre la mise en pratique de l'approche pluraliste. D'une part comment identifier le juridique dés lors qu'on abandonne le principe qu'il est, par essence, lié à l'État ? C'est tout le problème de la définition du droit et du danger à s'engager sur la pente savonneuse de l'élargissement de celle-ci qui est ainsi posé. Et il ne peut être question de le nier. D'autre part, comment identifier la société productrice de droit dès lors que l'on abandonne l'idée relativement simple du rattachement du sujet de droit à un État déterminé à travers la citoyenneté ?

Les problèmes ainsi posés sont ceux de l'appartenance sociale dans un monde en mutation. L'Africain ou l'Amérindien est souvent écartelé entre "tradition" et "modernisme" (j'emploie ces deux termes, que je rejette par ailleurs comme totalement dépourvus de sens, entre guillemets uniquement pour la facilité de la lecture) et le départage entre les deux mondes est souvent difficile à faire. Que l'on pense seulement un instant aux mariages africains conclus à la fois selon la coutume des parties, aux termes de la législation nationale et devant l'une ou l'autre Église. Celui qui les contracte enserre sa vie matrimoniale dans un triple réseau de normes qui, chacune, ont vocation à se présenter comme juridiques. Et tantôt, les principes et leurs modalités d'application qu'elles posent sont compatibles, voire concordants, tantôt ils s'opposent. Placé dans une situation particulière -- par exemple le désir de dissoudre l'union ou encore celui de la répéter sans dissoudre la première -- le sujet de droitS se trouvera alors confronté à une situation de pluralisme juridique qui lui imposera un choix entre l'un ou l'autre des systèmes en présence, lesquels ont, chacun, l'ambition de canaliser son comportement.

Les exemples de ce type pourraient être multipliés et c'est pour les accommoder et ainsi prendre en compte la dynamique sociale que des systèmes originaux sont nés et ont été reconnus par les tribunaux, particulièrement en Afrique. L'exemple classique en est la coutume dite, en certains endroits, "évoluée" régissant les personnes qui, par leur mode de vie, échappent à leur droit originellement africain sans pour autant être entrés complètement dans le droit importé par le colonisateur et consacré, voire généralisé, par le législateur national après l'indépendance.

Il est également possible que face au monde contemporain, certaines communautés estiment les solutions apportées par leur société nationale soient particulièrement inadéquates afin de résoudre certains des problèmes, parfois fort graves, auxquels elles sont confrontés.

Sans rejeter pour autant dans sa totalité le système juridique dans lequel une colonisation européenne pluricentenaire -- je fais ici allusion à l'Amérique du Nord et aux Amérindiens face aux ordres juridiques du Canada ou des États-Unis -- elles souhaitent néanmoins disposer d'une alternative leur laissant un choix entre le cadre juridique posé par celui-ci et un autre dont elles estiment qu'il reflète mieux leurs conceptions du droit et de la justice. Tel est le cas de l'adoption d'une procédure comme celle du "cercle" remplaçant la procédure prévue par la législation ou encore du recours à des sanctions d'un type inhabituel afin d'éviter les effets pervers de celles prévues par la législation nationale.

Dans ces cas, comme dans ceux que l'on rencontre dans l'Afrique contemporaine, le problème majeur posé au juriste confronté à ces sujets de droitS est celui de l'identification du système s'appliquant à la situation en cause et de l'instance devant laquelle la régler. En effet, le pluralisme, nous l'avons vu, s'accompagne tantôt de ce que j'ai appelé un "magasinage de for", tantôt d'un "magasinage de droit", tantôt des deux et ceux-ci ne sont pas toujours orientés dans le même sens, comme le montre, par exemple, le cas de l'Africain qui, pendant la période coloniale, préférait voir appliquer sa coutume par un magistrat européen plutôt que par les tribunaux coutumiers. Ou encore ces Acadiens qui, sous la domination britannique, choisissaient de se faire appliquer la coutume de Paris par le conseil du gouverneur anglais plutôt que par les notables de leurs communautés, Acadiens comme eux.

Le problème est compliqué par le fait que le choix des parties sera évidemment souvent, sinon toujours tributaire de leur intérêt, comme c'est souvent, sinon toujours le cas lorsque les règles du droit international privé offrent aux parties un choix entre aussi bien divers fors qu'entre plusieurs droits. Il appartiendra donc aux tribunaux de trancher ces problèmes, souvent éminemment complexes, auxquels les tribunaux coloniaux étaient fréquemment confrontés et qu'ils résolvaient chacun à leur façon. Ce n'est pas sans raison d'ailleurs qu'une renaissance de la théorie du pluralisme juridique s'est manifestée dans le contexte de la colonisation européenne. Dans cette optique, le rôle du juge devient capital et il n'est sans doute pas étonnant que l'hypothèse pluraliste soit ainsi plus facilement acceptée dans un système de common law que dans un système codifié qui a l'ambition de fournir une solution unique à l'ensemble des sujets de droit qu'il régit.

Tout ceci posé, le lecteur devrait avoir perçu que le phénomène minoritaire est susceptible de s'inscrire dans une perspective pluraliste; je serais même tenté d'écrire qu'il est un champ d'application privilégié de cette perspective. En effet que nous offre-t-il en termes de données de base ?

Tout d'abord des communautés relativement identifiables, parce que disposant d'une certaine identité, quelle qu'en soit la nature. Ensuite des communautés estimant que certains aspects de leur organisation socio-politique seraient mieux réglées par elles-mêmes que par un législateur central enclin à des solutions unitaires au plan national. Que postule le pluralisme juridique face à ce double constat ?

Il postule qu'il convient de "rendre la production du droit au peuple", en l'occurrence les communautés minoritaires. Mais aussi qu'il ne convient pas d'en enfermer les membres dans un carcan rigide empêchant toute option de for ou de droit en direction d'autres minorités ou de la majorité. Sans qu'il faille attacher à ces couples trop d'importance, on pourrait dire que la solution pluraliste postule le mouvement face à la stabilité, l'empirisme face au rationalisme, l'individualisme face à l'universalisme, l'indétermination face à la certitude. En ce sens, bien que j'aie horreur du terme, le pluralisme serait bien post-moderne.

Quoi qu'il en soit, il a pour effet de rééquilibrer le centre de gravité du phénomène juridique en l'éloignant du groupe pour le ramener vers l'individu. S'il est toujours bien question, dans la perspective qui est la sienne, de "groupes minoritaires", voire de "minorités", car le droit demeure un phénomène social par excellence, les membres de ces groupes sont pris également en considération à titre individuel et non comme intégrés à un microcosme de l'État national, ce qui me semble caractériser la perspective fédéraliste. De même le pluralisme n'a pas besoin d'une assise territoriale. L'individu, membre d'une minorité, possède cette qualité où qu'il se déplace dans l'espace, qu'il s'agisse du territoire de l'État auquel il appartient ou d'un autre, quel qu'il soit.

Ceci ne veut pas dire qu'il se rattache pour autant à une approche consistant à "développer la protection de droits de l'homme individuels", telle que l'évoquait Nicolas Levrat, dans sa note de problématique préparatoire à notre rencontre. Il s'en distingue par au moins deux points.

D'une part, en effet, le pluralisme juridique suppose la reconnaissance non de droits individuels, mais bien de systèmes juridiques propres à des sociétés que j'appellerais, pour reprendre un adjectif rencontré au Canada, "distinctes". Et, bien sûr, nous rencontrerons, lorsqu'il s'agira de les définir la même problématique que celle rencontrée lorsqu'il s'agit des minorités. Mais que sont celles-ci, sinon des sociétés "distinctes" au sein d'ensemble nationaux ?

D'autre part, le pluralisme suppose l'autonomie de la minorité dans la production de son droit ("rendre la production du droit au peuple") et une absence de tutelle de l'État sur cette production. C'est par là que précisément le véritable pluralisme, tel que je le conçois, se distingue du pseudo-pluralisme caractéristique des sociétés coloniales, tel qu'il fonctionne encore aujourd'hui dans un système comme celui du Canada. En effet, la marge de manoeuvre qui y est laissée aux institutions des Amérindiens ou des Inuit y est soigneusement contrôlée par la magistrature fédérale ou provinciale à travers l'application de principes de droit réputés "généraux", mais qui sont, en fait, le produit de la société coloniale qu'elle soit de souche britannique ou française. Tel était aussi le cas dans les systèmes coloniaux réputés pluralistes, mais, en fait, pseudo-pluralistes de l'Afrique ou de l'Asie coloniales ou post-coloniales.

Ce qui précède a, pour corollaire, l'obligation de repenser toute notre conception de la nature et du rôle de l'État dans l'organisation des sociétés humaines. Et la seule perspective de devoir satisfaire à cette obligation, qui est de résultat et non de moyen, suffit à écarter l'hypothèse pluraliste au nom de l'ébranlement des colonnes du temple. La démarche est évidemment conservatrice, au sens le plus élémentaire du terme. Elle a, entre autres, l'avantage de la facilité. Elle a aussi l'inconvénient d'une désaffection de plus en plus grande à l'égard du système juridique et de la justice d'État, et de l'irrésistible tentation de faire entrer dans les faits ce que le droit refuse de prendre en compte. L'exemple de l'Afrique est là pour le prouver.

Sans doute en sommes-nous encore fort éloignés En Europe ou en Amérique du Nord. Je connais trop mal la manière dont fonctionne effectivement le droit au sein des minorités des États d'Europe (dont certaines m'apparaissent cependant, par de nombreux traits culturels, économiques, politiques et/ou sociaux, fort proches des Amérindiens ou des Inuit). En ce qui concerne l'Amérique du Nord -- un rapport récent relatif au Canada me renforce dans cette conviction --, il me semble que l'heure est précisément au "consociationnalisme", pour que ce nouveau vocable veut dire, si ce n'est qu'il témoigne d'une voie nouvelle dans l'approche de l'État.

Car ce n'est pas de détruire l'État et d'aboutir à une poussière d'ordres juridiques distincts en grande partie irréconciliables, qu'il est question. Mais plutôt d'une redéfinition des pouvoirs et des compétences de chacun en fonction d'un consensus portant sur ce que l'on est prêt à conserver en commun et ce que l'on souhaite préserver comme portant la marque de son identité. Dans cette démarche, on est, à l'évidence, proche du fédéralisme (ou, sans doute du confédéralisme) originel.

J'avancerais même l'idée qu'une organisation résolument pluraliste de la production du droit à tous ses niveaux (législatif, exécutif et judiciaire) constituerait le seul rempart véritablement efficace contre la destruction de l'État tel qu'il existe actuellement. Celui-ci serait désormais conçu davantage comme un espace géographique au sein duquel cohabiteraient des sociétés multiples aux systèmes juridiques desquelles seraient rattachées, selon des critères et dans des mesures à définir, les personnes habitant cet espace.

Il n'y a guère le droit dit intergentiel organisant la rencontre de multiples systèmes juridiques, originellement africains, religieux ou encore européens, dans les frontières des États coloniaux offraient suffisamment de points de similitude avec pareille situation que certains ont cru, nous l'avons vu, pouvoir parler de pluralisme. Mais le fait que cette coexistence ne soit pas consensuelle et résulte d'une intégration soigneusement contrôlée des systèmes originellement africains et religieux dans les systèmes européens dominants et imposés par le colonisateur avait pour effet que nous n'avions affaire qu'à un seul système, de type colonial, et donc à un pseudo-pluralisme.

Le droit international privé nous a offert pendant longtemps et nous offre encore, à l'heure actuelle, un autre exemple, proche du pluralisme, mais à l'échelle du monde, lorsque surgit un conflit de for ou de droit. Ce conflit, découlant d'une situation de fait qui est, elle, unique, met en effet en présence deux (voire plusieurs) systèmes juridiques entre lesquels le juge effectuera un choix en prenant en compte divers facteurs (souvent dits de rattachement), tandis que chaque partie invoque le rattachement de cette situation à un ordre juridique et à un for particuliers. La mise en oeuvre de l'hypothèse pluraliste postule la généralisation de pareille solution, en ce compris la restitution du pouvoir de créer le droit aux principaux intéressés.

 

CONCLUSION

Le pluralisme, à supposer que les États acceptent de le mettre en place, se distingue de la quasi-totalité des aménagements de nature institutionnelle existants relatifs aux minorités par trois caractères essentiels :

- il ne s'agit pas d'une "reconnaissance" de l'existence de régimes particuliers consentis par une structure dominante, mais bien d'un accord librement consenti entre parties considérées comme égales;

- la production du droit dans les matières reconnues comme faisant l'objet du pluralisme échappe entièrement au groupe majoritaire et est placée de manière exclusive sous le contrôle de la minorité;

- les conflits de droit comme de for entre ordres juridiques minoritaires et entre ceux-ci et l'ordre juridique majoritaire sont réglés par des instances représentant de manière égale les parties en présence.

Sans doute pareilles propositions paraîtront-elles utopiques à nombre de lecteurs. Ils ne pourront, en tout cas dire qu'ils ont été piégés. Mon titre était sans ambiguïté. Mais, après tout, les "scènes de la vie future" d'aujourd'hui ne préfigurent-elles pas la réalité de demain ?