Christoph
Eberhard (dir.)
Le courage des
alternatives
Paris,
Karthala, 2012, 318 p.
Le
courage des alternatives.
Explorations
Christoph
Eberhard
Oser lĠAutre : voil une autre
manire de dire le titre de cette introduction. Comment oser nous ouvrir la
vie, cette vie qui est transformation permanente et nous confronte constamment
nos limites tout en rvlant nos potentialits caches, individuellement et
collectivement ? Robert Vachon, directeur scientifique de lĠInstitut
Interculturel de Montral et rdacteur en chef de sa revue Interculture, aime dire que Ç LĠautre nĠest pas un vide
remplir. CĠest une plnitude dcouvrir. È Cette intuition mĠa normment
inspire et est devenue lĠhorizon dans lequel je mĠinscris en tentant de me
rappeler et de rappeler aux autres que : Ç La vie nĠest pas un vide
remplir. CĠest une plnitude dcouvrir. È [1]
Cette dcouverte ne peut se faire seule. Elle nĠest possible que dans le
dialogue avec les autres, notre environnement, les aspects de nous-mmes que
nous ignorons. Elle ncessite une dmarche intrieure personnelle, des changes
interpersonnels, des explorations transpersonnellesÉ et aussi une traduction
des intuitions ainsi glanes dans nos modes de vie individuels et collectifs.
Origines
Cela fait une bonne quinzaine dĠannes
que nous explorons dans une dmarche de dialogue et dĠenrichissement mutuel des
questions dĠun vivre ensemble responsable et solidaire. Nous : un petit
groupe de chercheurs qui se sont initialement rencontrs lors de la mise en
place, la fin des annes 1990, dĠun groupe de travail Droits de lĠhomme et
dialogue interculturel au Laboratoire dĠanthropologie juridique de Paris (LAJP)
lĠUniversit Paris 1 Panthon – Sorbonne[2].
Ce groupe a vu merger un petit noyau dur de chercheurs qui sĠest petit petit
largi : le sminaire itinrant mis en place dbut 2001 entre le LAJP et
les Facults universitaires Saint Louis Bruxelles (FUSL) pour explorer les
enjeux dĠune approche interculturelle du Droit (Eberhard 2002) sĠest transform
en une vritable dynamique mondiale lorsque nous avons lanc, partir de 2003,
la dynamique de recherche Ç Droit, gouvernance et dveloppement
durable È, coordonne partir des FUSL et regroupant des chercheurs des
cinq continents. Cette dynamique, finance par la Fondation Charles Lopold
Mayer pour le progrs de lĠhomme (FPH), a permis de faire clore des graines
semes lors de la premire priode au LAJP, dĠen partager les fruits avec un
public plus large travers bon nombre de publications et de semer quelques
nouvelles graines, plus particulirement en lien avec les enjeux mergents de
la gouvernance et du dveloppement durable comme horizons pour un vivre
responsable, dialogal et solidaire[3].
Elle sĠest trouve soutenue, enrichie et complte par le Projet Courage de la
Fondation Bernheim, initi en 2007 et cltur en 2010, que jĠai dclin sous
son volet de Ç Courage des alternatives È aux FUSL[4].
LĠouvrage que le lecteur a entre les mains reprend les actes du colloque
international de clture de ces deux dynamiques, qui sĠest tenu aux Facults
universitaires Saint Louis du 20 au 22 octobre 2010. Je voudrais profiter de
cette introduction pour dire un grand merci aux chercheurs et institutions qui
ont contribu cette entreprise collective et pour exprimer ma gratitude la
FPH et la Fondation Bernheim. Sans leur soutien, ni cet ouvrage, ni les
belles dynamiques de recherche et dĠchanges qui ont t menes au cours de ces
dernires annes nĠauraient t possibles. Merci aussi la collection des
Cahiers dĠanthropologie du Droit dĠaccueillir cette publication, sept ans aprs
avoir accueilli le premier ouvrage collectif issu de la dynamique Droit,
gouvernance et dveloppement durable en 2005. Enfin, un merci spcial tous
ceux qui ont particip la relecture des textes et leur dition, et plus
particulirement Bruno Mallard et Pascale C. Annoual qui y ont contribu de
manire substantielle.
Quel est lĠenjeu de ce livre ? Ë
quelle tape de la dynamique collective correspond-il ?
On raconte quĠun jour le Mulla Nasrudin
voyageait en bateau lorsquĠune tempte se leva. Rapidement, sa petite
embarcation fut dborde par le dchanement des lments et commena couler.
Le capitaine et lĠquipage tentrent de sauver leur bateau. Ils se saisirent de
seaux et commencrent frntiquement tenter de vider le bateau de toute lĠeau
qui sĠengouffrait de tous cts. Seul le Mulla ne cooprait pas. Non seulement
il ne bougeait pas, mais il puisait de lĠeau dans la mer et en remplissait le
bateau. En le voyant, le capitaine lĠinterpella : Ç Mulla, es-tu
fou ? Que fais-tu ? Arrte ! Aide nous ! Nous allons
couler ! È Le Mulla rpondit : Ç Ma mre mĠa toujours
appris de me mettre du ct du plus fort. È
Voil une belle mtaphore de notre
situation contemporaine. Le bateau – notre organisation du vivre ensemble
– prend lĠeau de tous cts. Et pourtant, sommes-nous si diffrents du
Mulla Nasrudin ? Si son action parat folle, nĠagissons nous pas de mme
en tentant cote que cote de nous mettre du ct du plus fort, du systme tel
quĠil existe, mme sĠil est mortifre ? Il se pourrait que nous non plus
nĠosions pas nous ouvrir vritablement tous les enjeux contemporains, et
quĠen refusant de le faire, nous alimentions ce qui risque de nous mener au naufrage.
Je ne suis pas trs port sur les prophties de malheur, mais peut-tre un peu
de Ç catastrophisme clair È (Dupuy 2002) pourrait-il tre utile
pour nous veiller.
Les recherches sur les manires
alternatives dĠenvisager notre vivre ensemble qui ont t engages dans nos
travaux prcdents semblent de plus en plus dĠactualit. Mais, paradoxe,
alors mme que leur importance ne cesse de sĠaffirmer, les moyens pour explorer
et mettre en Ïuvre lesdites alternatives se rduisent vue dĠÏil. Pour ne mentionner
que lĠexemple de quelques compagnons de route : lĠInstitut Interculturel
de Montral, le International Council on Human Rights Policy Genve et
lĠassociation Juristes Solidarits Paris ont tous du fermer leurs portes en
2012, aprs des dcennies de travail extrmement pionnier et importantÉ Les
fondations nĠont plus dĠargent pour les projets Ç alternatifs È, les
universits se recentrent sur des Ç fondamentaux È, des cours et
recherches rentables et bien cadrs, en laissant de ct la recherche fondamentale
et les explorations aux marges qui – lĠhistoire des sciences lĠa montr
– sont celles qui cristallisent les ruptures pistmologiques et font
merger de nouveaux possibles[5].
On voit bien l le syndrome du Mulla Nasrudin : la crise financire se dchane,
et quelle est notre rponse ? Nous fermons petit petit tous les lieux
qui pourraient permettre de repenser un vivre ensemble sur dĠautres bases. Nous
avons fondamentalement peur de nous ouvrir la vie, au monde dans lequel nous
vivons, et nous nous accrochons des certitudes et notre instinct de survie,
dans ce quĠil peut avoir de plus goste. Heureusement, la vie est faite de
cycles et il est prvoir que des priodes plus fastes et plus ouvertes aux
explorations suivront. La question de lĠouverture de nous-mmes nos vies
individuelles et collectives restera nanmoins toujours dĠactualit.
Courage
Un enjeu primordial aujourdĠhui, en cette
priode de transition, est celui dĠun courage des alternatives. Courage,
dĠabord. Avons-nous le courage de nous ouvrir lĠaltrit et au
changement ? Un jour, quelquĠun trouva le Mulla Nasrudin quatre pattes
sous un lampadaire. Ç Mais que fais-tu, Nasrudin ? È, demanda
son ami. Ç Je cherche la clef de ma maison. È Ç Mais o lĠas tu
perdu exactement ? È Ç Dans ma maison. È Ç Mais alors
pourquoi la cherche tu ici ? È Ç Parce quĠil y a plus de lumire
ici que dans ma maison. È Nous avons tendance vouloir comprendre les
situations qui se prsentent nous et trouver des solutions aux problmes
quĠils posent travers nos cadres mentaux dj tablis. Comme ils ont fait
leur preuve par le pass, nous sommes convaincus quĠils seront aussi la
hauteur du futur. Mais est-ce ncessairement le cas ? Ne serions-nous pas
en train de vivre une poque de changement paradigmatique o la complexit
(voir par exemple Morin 1995), le pluralisme et lĠinterculturalisme (Vachon
1997) mergeraient comme nouveaux horizons, o nous nous orienterions vers des
approches Ç post- È ou Ç transmodernes È, o nous
quitterions notre univers familier
pour un plurivers qui reste
dcouvrir (Eberhard 2008a, 2013) ? DĠabord, un niveau intrapersonnel, le
courage consiste en un certain dsarmement existentiel : admettre que nos
Ç armes È, nos outils de comprhension du rel ne sont peut-tre plus
tout fait adquats. QuĠil faut donc les dposer pour pouvoir envisager les
situations dĠun nouveau point de vue. Continuer creuser un puits l o il nĠy
a pas dĠeau peut sembler logique, voire invitable, lorsque lĠon a mis en place
toute une infrastructure et quĠil faut la justifier – en soulignant que
lĠinfrastructure de nos approches du rel constitue en grande partie ce que
nous sommes. La remettre en cause, cĠest oser une crise existentielle. Comme
aime le dire Robert Vachon propos de la rencontre interculturelle –
porteuse du genre de crise lie la rencontre avec lĠaltrit – en
partant dĠun point de vue chrtien : Ç Le dialogue interculturel est
crucifiant, mais librateur. È Mais ne vaudrait-il pas mieux, dans
certains cas, renoncer tout lĠoutillage mis en place et oser creuser
ailleurs ?
Ensuite, le courage est aussi ncessaire
dĠun point de vue interpersonnel : en tant la marge de lĠopinion
majoritaire, on se retrouve trs vite marginalis. On est peru au mieux comme
un doux rveur, dconnect des ralits de la vie mais inoffensif dans ses
rveries, au pire comme un dangereux anarchiste, voire un terroriste qui
voudrait saper ou faire exploser les soubassements de ce quĠun groupe donn
considre comme ses fondements. On raconte quĠ une poque lointaine, les
astrologues de la cour prvinrent leur roi quĠune pluie magique allait
sĠabattre sur son royaume : lĠeau serait contamine et tous ceux qui en
boiraient deviendraient fous. Le roi dcida de prendre des mesures : il
fit collecter de lĠeau et lĠentreposer dans le palais, afin de pouvoir garder
lĠesprit sain pour gouverner son royaume. Puis il plut. Aprs quelques jours,
toute lĠeau du royaume, sauf celle entrepose par le roi, tait contamine, et
il ne fallut pas longtemps pour que tous les sujets du roi deviennent fous.
Plus personne ne comprenait le roi. Tous considraient que cĠtait lui qui
tait devenu fou ! Que faire ? Aprs des journes dĠhsitation, le
roi se rsolut boire lui aussi lĠeau empoisonne. Pour pouvoir jouer son
rle, il devait tre un fou parmi les fousÉ
Garder sa perspective malgr tous les
problmes que cela cause et le faire de manire cohrente et continue sur de
longues annes, voil certainement un acte de courage, qui nĠest possible que
parce quĠil est aliment par ce que nous ressentons profondment, par notre
cÏur.
couter son cÏur et agir en consquence,
quelle belle inspiration de lĠtymologie du mot Ç courage È !
Elle nous invite sa dimension transpersonnelle, celle de sĠouvrir –
sans pour cela renoncer notre enracinement humain, nos sentiments, notre
intellect – la dcouverte dĠune Ç confiance cosmique È
(Panikkar 1993 ; Vachon 1985), une confiance dans la vie non pas comme
vide remplir mais comme plnitude dcouvrir.
Alternatives
Alternatives. Alter : lĠAutre
– qui nĠexiste quĠen relation nous-mmes. Alternatives au pluriel, et
non pas Ç alternative È au singulier comme il serait plus juste
grammaticalement parlant[6].
Car, des autres, il y en a une multitude, et leur dcouverte nous rvle le
pluralisme sous-jacent de la ralit. On posa la question suivante au Mulla
Nasrudin : Ç Mulla, o se trouve le centre du monde ? È
Ç CĠest l o est attach mon ne È, rpondit Nasrudin. Le centre du
monde est pour chacun dĠentre nous cet endroit o nous avons nos affaires,
notre vie. Nous sommes donc tous des centres du monde. Il nĠy a pas, de ce
point de vue, de marges, dĠalternatives. Marges et alternatives apparaissent
toujours par rapport un point de vue dominant, quĠil soit le ntre titre
personnel ou sur un plan collectif (ce que les anthropologues appellent
lĠethnocentrisme). LĠenjeu dĠun passage de lĠunivers au plurivers est de
sĠouvrir ce pluralisme radical sans tenter de le rduire une unit
(Panikkar 1990) – ce qui ne signifie pas embrasser le chaos, mais
plutt sĠouvrir au cosmos, la beaut de la parure[7]
de la ralit, cette dernire tant un mystre au-del des limites de sa
manifestation. On notera que le Mulla Nasrudin nĠa pas rpondu que son ne
tait le centre du monde, mais que le centre du monde tait l o tait attach
son ne. Nos personnalits multiples sont toutes rattaches , ou sont une
manifestation de, ce que certains appellent la Ç nature humaine È,
dĠautres le Ç christ en chacun dĠentre nous È, dĠautres encore la
Ç nature de bouddha È inhrente tout treÉ Comme le dit un proverbe
de sagesse : Ç Dieu est une sphre dont la circonfrence est partout
et le centre nulle part. È On peut remplacer, dans ce proverbe, Ç Dieu È
par le mystre : cette libert fondamentale de nos existences qui nous
caractrise et nous lie, et qui se dcline en une myriade dĠexpressions.
Dans le cadre de nos recherches, les
alternatives ont toujours t prsentes par rapport un cadre donn : la
vision du monde moderne telles que reflte dans les sciences modernes
occidentales et nos organisations modernes du vivre ensemble. Parfois, ce point
de dpart, le fait de poser les questions toujours en partant de notre topos, de notre enracinement culturel,
rend de vritables dcouvertes difficiles. En effet, toutes les cultures, tous
les tres humains, non seulement ne donnent pas des rponses diffrentes aux
mmes questions, mais posent des questions fondamentalement diffrentes –
et ceci dans des langues et visions du monde o la traduction dĠun univers de
sens dans un autre est loin dĠaller de soi et relve plutt dĠune
sensibilisation rciproque des fentres diffrentes sur la vie. Encore
faut-il reconnatre la pluralit des fentres et le fait que lĠon ne peut
vraiment voir quĠen regardant par lĠune de ces fentres[8].
Dans le domaine des sciences sociales,
Boaventura de Sousa Santos a propos de sĠengager dans une htrotopie, dans la
redcouverte du monde dans lequel nous vivons en dcentrant notre regard du
centre vers les marges, des centres de pouvoir vers ce qui apparat marginal
partir de ce centre (1995 : 479 ss). Ce travail lĠa men sĠinterroger
sur la redcouverte et la valorisation des Ç savoirs des Suds È
(2007 ; 2008), une approche qui fait cho celle mise en Ïuvre par
lĠInstitut Interculturel de Montral depuis presquĠun demi-sicle et reflte
dans sa revue Interculture et le
rseau INCAD, International Network to
Cultural Alternatives to Development, quĠil a anim[9].
Ce travail fait aussi cho aux appels dĠEdgar Morin pour une pense complexe,
qui devra non seulement sĠajouter nos outils de connaissance mais aussi
contribuer les refaonner profondment (1995 : 237-238). En effet, lĠune
des intuitions de la pense complexe se rattache la redcouverte dĠune
approche holiste de la ralit, mais qui ne se fait pas au dpens des parties
composant le tout. Il sĠagit donc de repenser – comme y invite la pense
classique indienne de lĠadvaita, la
non-dualit – les relations du Tout avec les parties qui le composent.
La vie est une. CĠest notre effort de la
comprendre qui a men la diviser en diffrents domaines dont ont merg les
diffrentes sciences. Malheureusement, lĠhyperspcialisation a conduit ce que
lĠarbre dĠune discipline donne a souvent contribu lĠoccultation de la fort
de la vie. Mme le dialogue entre disciplines reste souvent limit un certain
cadre. Dans cet ouvrage, nous avons tent de repousser un peu plus que dans des
publications prcdentes les limites du dialogue, en les sortant du cadre des
sciences juridiques, politiques, conomiques et sociales et en les ouvrant la
philosophie, lĠart thrapie et ethnopsychiatrie, aux explorations du Yoga.
Ainsi, lors du colloque international organis en 2010, les participants
pouvaient aussi suivre une initiation au Yoga pour dcaler leur regard par
rapport une autre manire, plus base sur la sensation que lĠintellect, pour
rentrer en contact avec eux-mmes. La couverture du livre tmoigne lui aussi de
lĠeffort dĠouverture dĠautres modes dĠexpression du pluralisme. La peinture
ornant cet ouvrage collectif est de Pascale C. Annoual, qui a contribu comme
auteur ce volume, mais dont le mode dĠexpression privilgi est lĠart. Elle a
tent de faire partager lĠexprience collective de notre dynamique dans cette
peinture quĠelle voit comme une invitation, un cho lĠappel du pluralisme.
Sans vouloir vous imposer une lecture de
son tableau et en soulignant que toute Ïuvre dĠart doit rester un espace
ouvert, jĠaimerais voquer quelques points qui mĠont inspir – pas
tellement pour dire une vrit mais pour vous inviter contempler vous aussi
cette image de couverture, la mditer et la voir comme partie intgrante de
cette publication. LĠimage voque pour moi le cercle de la vie et son harmonie.
Au centre, se trouve cet lphant qui rappelle celui de lĠhistoire de
lĠlphant dans le noir. On invitait des personnes dans une pice sombre o se
trouvait un lphant. Chacun touchait une partie particulire de lĠlphant et
sĠen faisait donc une reprsentation bien particulire. Celui qui avait touch
les oreilles concluait que lĠlphant tait semblable une grande crpe. Celui
qui avait saisi la queue en dduisait quĠun lphant tait comme une corde.
Quant celui qui sĠtait heurt une de ses grandes pattes, il lui paraissait
vident quĠun lphant tait comme une grande colonneÉ Une fois dehors et
partageant leurs expriences, ils ne surent se mettre dĠaccord sur ce mystre
de lĠlphant. Voil une belle image du pluralisme au centre de toute
manifestation. En plus, lĠlphant est blanc et renvoie lĠimaginaire
bouddhiste dans lequel un tel lphant voque la nature pacifie et illumine
de lĠesprit[10].
Pluralisme de la manifestation, pluralisme de la ralit – lĠlphant
blanc nous renvoyant lĠide que, peut-tre, dĠun point de vue veill, il nĠy
a mme pas dĠlphant –, voil un beau cÏur pour une exploration en
alternatives. Autour de lĠlphant, on trouve les quatre lments : la
terre, lĠeau, lĠair et le feu – et on peut voir lĠlphant blanc comme le
cinquime lment classique de la pense indienne, akasha, lĠespace. On y dcouvre les rgnes minral, vgtal, animal
et humain – voire cosmique ou spirituel travers lĠimage de la sirne.
Le cycle de lĠvolution qui y est figur suggre la continuit de la vie et ses
cycles. Le volcan en activit et la sirne plongeant dans les profondeurs
rappellent que la manifestation puise dans des sources souterraines – qui
ne jaillissent pas toujours de manire harmonieuse, mais surgissent parfois
la manire dĠruptions volcaniques. On peut y voir aussi lĠinvitation plonger
dans notre subconscient, explorer nos Ç mythes È, nos horizons
invisibles de sens[11],
lĠinstar de la sirne, pour pouvoir approcher le mystre de la vie reprsent
par lĠlphantÉ Que dĠinspirationsÉ
voquons maintenant succinctement comment
ces intuitions et inspirations du pluralisme et du courage des alternatives se
sont manifestes dans les explorations et contributions crites des
contributeurs, qui, comme le constatera le lecteur, ont os dpasser la simple
description et analyse de faits pour dgager quelques perspectives. Critiquer
les paradigmes dominants est certes important. En faire lĠinventaire et tirer
le bilan de ce qui est garder et dvelopper, de ce qui est transformer ou
rejeter est essentiel. Mais il est tout aussi crucial de tenter de dgager de
nouveaux horizons de sens o inscrire ces dmarches et dĠoser les enrichir par
des ides ou expriences provenant dĠautres mondes et situes lĠcart des
trajectoires modernes ou postmodernes.
Explorations
Les explorations de cet ouvrage se
prsentent en quatre vagues. La premire partie a un caractre introductif. Le
premier texte est celui quĠa prsent Franois Ost pour la confrence de
clture du Projet Courage de la Fondation Bernheim en 2010. Il reprend les
lments qui ont t dgags par les chercheurs de ce projet, et plus
particulirement par les trois philosophes Thomas Berns, Laurence Blsin et
Galle Jeanmart, qui ont crit un prcieux petit ouvrage sur la notion de
courage[12].
Ce texte permettra au lecteur de baliser la partie Ç courage È de
notre exploration. Cela tant, le Projet Courage a aussi fait merger les
dangers dĠun appel motionnel au courage hroque dans les situations
sociopolitiques contemporaines. Les vertus de la prudence, de lĠhumilit, de la
reconnaissance de la fragilit doivent aussi jouer leur rle. CĠest ce que nous
rappelle Laurent Desutter dans une contribution qui pourrait, premire vue,
sembler dplace dans un tel ouvrage. Aprs une exploration philosophique de la
notion de courage, cet auteur nous invite en effet prendre conscience de la
lchet du droit – qui, dĠaprs lui, loin dĠtre une tare, en est
peut-tre au contraire lĠun des traits les plus prcieux car il lui permet de
jouer son rle. Lomomba Emongo complte ces premires rflexions sur le courage
par quelques propos sur une recherche en alternatives : Ç Il tait
une fois lĠautre É È. Comme indiqu plus haut, sĠouvrir aux alternatives
est fondamentalement li lĠouverture lĠAutre et au pluralisme. Mais cet
Autre, pouvons-nous lĠentendre ? Le legs de lĠhistoire coloniale qui a
cristallis le monde dans lequel nous vivons et continue le marquer mme
aprs dj des dcennies de dcolonisation politique nous empcherait-il de
rencontrer lĠAutre ? La dcolonisation de nos univers mentaux ne
serait-elle pour lĠinstant quĠen chantier (voir Nandy 1983) ? Et comment
la mener bien ?
La
deuxime vague de contributions explore des contestations et alternatives pour
un autre monde travers les prismes du cosmopolitisme, du dveloppement
durable et de la dcroissance en tentant de sĠouvrir certains
Ç autres È. Jim Dratwa ouvre la rflexion en nous interrogeant :
Dans quel monde voulons-nous vivre ensemble ? Et comment le faire
advenir ? Comment sĠy prendre pour le faire advenir, pour le traduire dans
la vie institutionnelle ? QuĠest-ce qui fait preuve dans le monde
scientifique, juridique, politique ? Comment construire la lgitimit de
certaines questions et des approches pour les dvelopper ? Voil lĠenjeu
de lĠmergence dĠpistmologies cosmopolitiques, qui consiste crer un monde
partag dans la coexistence et la complmentarit des mondes qui le composent,
ce qui prsuppose leur reconnaissance et leur mancipation des structures de
pouvoir qui les touffent. Les quatre textes suivants nous plongent dans quatre
terrains diffrents qui illustrent, chacun sa manire, lĠenjeu de reconnatre
et de faire advenir des alternatives au cadre de la globalisation conomique
contemporaine. Bruno
Mallard aborde la question brlante de la pauvret et du progrs social. Face
des situations aussi interpellantes que la pauvret de masse, il semble nĠy
avoir quĠune rponse naturelle : celle dĠun dveloppement conomico-social
qui permette dĠy remdier. Seulement voil, la vision du monde sous-tendant le
dveloppement, fondant la vie dans lĠconomique, nĠest pas naturelle –
elle est lie une culture particulire (Rist 1996 ; Latouche 2003 :
339 ss). Ne pas sĠen apercevoir, cĠest foncer tte baisse dans des approches
qui sĠinterdisent dĠapprendre de la diversit des situations et de btir sur
les potentialits quĠelles reclent. LĠauteur propose donc des voies pour
sĠmanciper du concept de Ç tendance globale È pour sĠouvrir une
Ç trajectoire volutive ouverte È, dans laquelle le dialogue
interculturel devra jouer un rle important. Les analyses de Priscilla Claeys
font cho aux dveloppements plus thoriques de Bruno Mallard en
approfondissant les dynamiques des organisations paysannes regroupes dans le
mouvement social de la Va Campesina[13],
la voie paysanne autour dĠun combat pour la reconnaissance dĠun droit la
souverainet alimentaire. Ce mouvement, alternatif par rapport au systme
agro-industriel dominant bas sur les gros producteurs, et inscrite dans une
logique nolibrale qui est caractris par la soumission des champs politique,
social et culturel au champ conomique, est confront des choix difficiles
entre opposition au systme et partielle reconnaissance de celui-ci pour
pouvoir faire avancer ses revendications : habiller cette voie par le
langage des droits permettra-t-elle de la faire reconnatreÉ ou cette approche
ne risque-t-elle pas de dsamorcer toute dynamique mancipatrice de ce
mouvement (voir Eberhard 2010 : 147 ss ; ) ? Ce qui est certain,
cĠest que le droit lĠalimentation, un droit essentiel, a dj commenc
incorporer la critique telle quĠelle mane des mouvements paysans, dmontrant
par l lĠimportance non seulement dĠalternatives aux systmes dominants, mais
aussi celle des espaces dĠentre-deux, de rencontre, de transformations
mutuelles de ces champs.
Jean-Paul
Segihobe et Benot Mutambayi ramnent notre attention un niveau global et
pointent du doigt un lment structurant de toutes les relations Nord/Sud et
impactant profondment toute action mene au niveau du local : la question
de la dette. DĠune certaine manire, leur texte fait cho, un niveau plus
politique et juridique, celui de Lomomba Emongo. La cration et la gestion de
la dette des pays en voie de dveloppement ne constitue-t-elle pas un lment
dĠune gouvernance nocoloniale qui ne dit pas son nom ? Les auteurs,
au-del dĠune analyse critique de la dette et de sa mise en relation avec la
notion de Ç dette odieuse È, dgagent des balises pour passer de
Ç lĠunivers de la fabrique des dettes È un Ç plurivers des
contestations È, permettant de dgager une voie dialogale alternative.
Critique du dveloppement, du nolibralisme, de la dette, enjeux de
lĠmergence de nouvelles pistmologies cosmopolitiquesÉ Quelle meilleure
manire de clturer cette premire partie quĠun appel au courage politique pour
la Dcroissance, que nous lance Nomie Candiago ! En effet, si le succs
apparent du dveloppement durable semble avoir contribu – au moins dans
une certaine mesure – sĠacheminer vers un dveloppement
Ç alternatif È plus humain, plus social, plus vert, voire plus
respectueux des cultures, il nĠen reste pas moins quĠil nĠinterroge pas le
paradigme fondamental dĠune socit de consommation de masse ; ce nĠest
pas une alternative AU dveloppement (Vachon 1990), entendu ici comme ce mythe
occidental de la bonne vie, qui est moins universel quĠil ne parat ds lors
quĠon le met en perspective historique et interculturelle (Rist 1996 ;
Sachs 1990, 1992). Mais comment jouer un rle critique, comment interroger le
systme sans faire soi-mme systme ? Ces questions renvoient dĠune autre
faon celles abordes par Priscilla Claeys et illustrent concrtement la
recherche dĠalternatives, ses limites et ses potentialits, pour sĠacheminer
vers une socit de la convivialit (Illich 1973), plus respectueuse
de la nature et de lĠÇ autre È, de logiques de dialogue que le
paradigme nolibral actuellement dominant.
Voil de grands enjeux. Dans ces
volutions et rvolutions, le Droit[14]
a un rle important jouer : celui de mettre en forme et de mettre des
formes aux nouveaux consensus sociaux et aussi de donner des outils pour
lutter, paisiblement, pour arriver ces nouveaux consensus. Ainsi, la
troisime partie de cet ouvrage aborde plus spcifiquement les questions dĠune
refondation de la gouvernance et du Droit actuels pour dgager une nouvelle
grammaire du vivre ensemble, plus dialogale et plus respectueuse de nous-mmes,
des autres et de lĠenvironnement. Il est introduit par une rflexion de
Frdric Bouscaut, qui lie la question du dveloppement durable celle de sa
juridicit : sans droit, le dveloppement durable risquerait de ne se
rduire quĠ un simple slogan, et on constate en effet quĠil rentre chaque jour
davantage dans nos montages institutionnels. Mais pour que la vise du
dveloppement durable puisse tre atteinte, ne faudrait-il pas repenser non
seulement le dveloppement mais aussi le droit ? LĠauteur, fidle en cela
des approches de la complexit prnes par Edgar Morin, propose une ontologie
relationnelle profondment enracine dans une dmarche transdisciplinaire,
seule capable selon lui de rendre compte de la complexit cologique (voir,
dans ce contexte, Barrire 2002 ; Le Roy 2011)É Encore faut-il oser
sĠengager dans une telle voie branlant les savoirs tablis, leurs limites et
zones dĠinfluenceÉ Dominik Kohlhagen met en lumire ces enjeux dĠune
refondation des droits travers un autre point dĠentre. Ce nĠest pas, pour
lui, lĠenvironnement qui oblige repenser les droits dans des contextes
africains tels que le Burundi ; cĠest la ralit criante, mais largement
occulte, de la dliquescence des systmes de rgulation des conflits pendant
et aprs la priode coloniale qui a men des situations o certains tats
nĠarrivent pas assurer la scurit juridique la plus lmentaire pour leur
population – quand ils ne sont pas eux-mmes lĠorigine de la violation
de ses droitsÉ Comment refonder un droit sur des bases endognes dans des
contextes africains contemporains (Le Roy 2004) ? Comment reconnatre les
limites du droit tatique et sĠouvrir la diversit des terrains o existent
des manires de penser et dĠÏuvrer pour la rgulation des conflits qui ne sont
pas des Ç obstacles surmonter et liminer pour mettre en place la
modernit juridique È mais des lments permettant dĠinventer une
contemporanit juridique africaine, entre les institutions importes
dĠinspiration juridique moderne et les approches du droit plus endognes. Le
principal dfi, ici, semble tre de Ç rendre la production du droit aux
peuples È, pour faire un clin dĠÏil un article de Jacques Vanderlinden
(1996). Akuavi Adonon prend cÏur cette interpellation en abordant le courage
de lĠinnovation juridique au Mexique dans un cadre dĠinteraction interculturel
entre tat, institutions modernes et peuples autochtones. Pour lĠauteur, il sĠagit de rendre visibles des
dynamiques juridiques, souvent ignores, construites en marge de la structure
tatique, mais qui se manifestent clairement travers la quotidiennet du
vivre ensemble de populations dites Ç marginales È et
Ç minoritaires È et de mettre en vidence les logiques dĠarticulation
mises en Ïuvre par les populations autochtones, qui illustrent la possibilit
dĠalternatives relles au systme dominant et pointent vers lĠhorizon du
pluralisme et de lĠinterculturalisme de la ralit. Aprs ces deux explorations
plus juridiques, Monique Kouaro nous invite sur un
terrain plus local au Bnin. Elle illustre ce que sĠouvrir Ç aux
peuples È, aux acteurs peut signifier dans le domaine du
dveloppement : des projets ont souvent chou
pour la double raison quĠils nĠont pas associ les bnficiaires ou quĠils ont
voulu rendre obligatoire leur participation –
le parallle avec le droit dans les textes prcdents saute lĠÏil.
Quels sont alors les enjeux dĠune vritable participation communautaire ?
Le travail ax sur la gestion des dchets Natitingou illustre et rvle la
difficult dĠorganiser une Ç vraie participation È (Rahnema
1997 ; Eberhard 2009) des parties prenantes ou stakeholders dans un cadre donn et nous interroge sur les enjeux
dĠune dmocratie participative (Callon et al. 2001). Les deux derniers textes
explorent les transformations de nos paysages juridiques travers lĠirruption
du dveloppement durable et de la gouvernance. Jovita de Loatch soulve les
questions de la redfinition des champs et des processus de juridicit en les
ouvrant une prise en compte des communauts pour pouvoir mettre en Ïuvre une
gouvernance environnementale adapte et efficace pour protger le littoral en
Corse. Une des originalits de sa dmarche consiste croiser, pour ce faire,
les approches de lĠanalyse conomique du droit et de lĠanthropologie. Elle
insiste sur la ncessit de sĠouvrir des approches complexes inspires de
modles fractales pour traduire – autant que faire se peut – les
approches qualitatives de lĠapproche anthropologique dans des modles plus
mathmatiques du domaine de lĠanalyse conomique. Un des enjeux de la dmarche
tant de rendre audible des alternatives existantes dans le langage prdominant
actuellement : celui de lĠconomie, tout en ouvrant de nouveaux espaces de
rflexion interdisciplinaires. Le dernier texte, de Christoph Eberhard, prsente
une synthse des recompositions actuelles du Droit sous lĠinfluence des notions
de gouvernance et de dveloppement durable. Il dvoile certains piges
viter, rvle des potentialits et insiste sur la ncessit de redfinir nos responsabilits individuelles
et collectives dans un horizon dĠaction et de rflexion dialogal et
participatif balis par cinq grands principes : la responsabilit, la participation, la traduction,
le dialogue et le pluralisme. Par les mises en question
que ces refondations du Droit suscitent, nous sommes invits nous plonger
dans les aspects plus intrieurs – ce qui ne signifie pas forcment plus
individuels – des enjeux, oser nous ouvrir la vie et au pluralisme,
ce qui est lĠobjet de la dernire vague des textes.
Le
dernire partie ouvre aux dimensions du Ç mtapolitique È qui pointe
vers la relation non-dualiste entre lĠintriorit et lĠextriorit È
(Panikkar 1999 : 45) et Ç rtablit lĠunion intrinsque entre
lĠactivit politique et lĠtre humain. È (Panikkar 1999 : 43).
Pascale C. Annoual dmarre la quatrime vague par une exploration des dialogues
interdisciplinaires entre ethnothrapie et art thrapie. Au-del des enjeux de
lĠinterdisciplinarit et des difficults de tout travail Ç la
marge È et Ç entre deux È, son texte soulve la question de la
construction psychologique de nos vcus et le lien entre notre intriorit et
notre inscription dans le monde Ç extrieur È social, politique,
culturel[15]. Si la
politique et le droit sĠintressent surtout nos jeux institutionnels, son
travail met en lumire la structuration des personnes que nous sommes par ces
dynamiques qui nous dpassent et se manifestent en nous de manire plus ou
moins harmonieuse ou conflictuelle. Nos Ç problmes psychologiques È
ne sont pas quĠindividuels : ils refltent les structures de pouvoir, les
chocs entre les mondes dans lesquels nous pouvons tre pris dans nos vies. La
science non plus nĠest pas neutre. Le racisme institutionnel a des effets trs
concrets sur les tres humains qui en souffrent, et pourtant il est ni par la
science qui devrait contribuer les soigner, les institutions modernes et la
science qui leur est lie tant perues non pas comme des visions du monde
particulires et exerant un certain pouvoir mais comme des universaux, au-del
de la sphre des jeux de pouvoir par leurs porte-parole. LĠethnothrapie, en
prenant au srieux la dimension culturelle de lĠtre humain – mais sans
le rduire celle-ci –, apparat donc comme touchant un tabou – la
dimension interdisciplinaire en lien avec lĠart thrapie souligne la difficult
quĠil y a aborder lĠhumain dans sa totalit. Toute science doit rduire le
tout quĠelle tudie pour pouvoir lĠaborder. Malheureusement, cette ncessit
mthodique devient souvent une forme de prison dont il ne semble ne pas y avoir
dĠissueÉ ou alors au risque de lĠexcommunication par les gardiens du temple de
la discipline donne dont on a eu lĠaudace dĠouvrir les limites ou partir de
laquelle on a os lĠouverture dĠautres approches. La dernire contribution,
illustre de manire diffrente le lien entre intriorit et Ç vie dans la
monde È. Ce texte, tir dĠune interview avec Meenakshi Devi Bhavanani,
prsente, selon une perspective indienne, et plus particulirement de Yoga, une
approche plus holiste de la question du courage, ou virya. Cet quivalent indien la notion de courage est intimement
li la notion de vertu : il ne saurait y avoir de vrai courage sans
cadre, sans mode de vie vertueux. Mais si virya
souligne lĠimportance du cadre dans son aspect de vertu, il pointe aussi vers
lĠexploration de nos mondes intrieurs. Le vritable virya, le vritable hro, incarnant courage et vertu est celui qui
ose se lancer la dcouverte de lui-mme pour dcouvrir ce quĠil est au niveau
le plus profond. CĠest un hro qui nĠa pas peur de sĠouvrir lui-mme, aux
autres et au monde, et ainsi de rentrer en harmonie avec ce qui est[16].
Cette dmarche existentielle rappelle lĠimportance de ne pas rduire lĠtre
humain une somme de connaissances ou de savoirs faire, mais de ne jamais
perdre de vue le mystre quĠil est.
On
raconte quĠau Japon il y avait un grand champion de tir lĠarc. Un jour il ft
la dmonstration de ces aptitudes. Tout le monde tait fort impressionn. Ses
flches atteignaient toutes le cÏur des diffrentes cibles quĠil visait. Le
public tait particulirement impressionn par sa dmonstration de dcocher en
toute vitesse une srie de flches tout en gardant une coupe remplie dĠeau en
quilibre sur son avant bras, et sans en renverser la moindre goutte. Mais il y
avait un homme dans lĠassemble qui ne semblait pas du tout impressionn, ce
qui intrigua lĠarcher et le poussa lĠinterpeller. Ç Votre technique
nĠest pas mauvaise, mais vous nĠavez rien ralis du Kyudo, de la voie de lĠarc. È
constata le vieil homme. Ç Comment a ? È Ç Venez avec moi
et vous comprendrez. È Le jeune champion intrigu suivit donc le vieil
homme qui le mena au sommet dĠune montagne. L, il se dirigea vers un rocher
qui surplombait un prcipice qui semblait sans fond, puis se retourna et recula
jusquĠ ce que les deux tiers de ses pieds dpassrent le rocher et
surplombrent le vide. Ç Venez prs de moi ! È lana t-il au
jeune champion. Ç Venez et tirez une flche dĠici. È Le jeune champion
saisi de panique, sĠeffondra compltement. Il essaya nanmoins de tenter de
relever le dfi et se mit quatre pattes pour approcher du gouffre. Mais cĠen
tait trop pour lui. Inond de sueur, il se retrouva finalement compltement
paralys de peur avant de finalement pniblement russir retourner en lieu
sr. Le vieil homme lui dit alors : Ç Vous avec acquis une technique
de tir lĠarc. Mais bien quĠexcellente, ce nĠest pas l la voie de lĠarc qui
vous permettra dĠatteindre la cible. È
Ç DĠune
extrmit de son arc
LĠarcher
perce le Ciel
De
lĠautre, il pntre la Terre.
Tendue
entre les deux
La
corde lance la flche
Au
CÏur de la Cible visible
Et
invisible. È (Fauliot 1984 : page de garde).
Ouvertures
Vous
lĠaurez constat, cher lecteur, de passionnantes lectures vous attendent. Pour
conclure cette introduction et ouvrir la piste de nouvelles explorations,
revenons lĠhistoire introductive du Mulla Nasrudin. Si lĠon y regardait
deux fois, se pourrait-il que lĠhistoire contienne aussi un autre enseignement
que celui que nous avons mis en exergue au dbut de notre rflexion ?
Aprs tout, le Mulla est clbre comme matre de folle sagesse[17]. Il nĠest pas fou au sens
habituel du terme, mais agit dĠune manire qui interpelle et rvle une sagesse
sous-jacente aux situations. Si nous voyons le bateau et son quipage comme les
moyens que nous nous sommes donns pour naviguer sur le grand ocan de la vie,
il peut tre utile de se rappeler que la vie nous dpasse, quĠelle dpasse les
conceptualisations que nous pouvons en avoir, les plans que nous pouvons
projeter sur elle. Il arrive quĠelle nous envoie des secousses, nous fasse
vivre des chocs existentiels, parfois au niveau individuel, parfois au niveau
collectif. La raction naturelle, autant individuelle que collective, est alors
de sĠagripper ses certitudes, de ne surtout pas lcher prise sur les seules
certitudes que nous avonsÉ Et pourtantÉ La vie sera toujours plus forte.
Peut-tre pourrions-nous apprendre lcher prise. Peut-tre quĠ un niveau
existentiel, le fait de lcher prise, de laisser le bateau de nos projections
et intellectualisations couler pourrait nous ouvrir une manire dĠtre
diffrente, moins peureuse, plus courageuse et compassionne pour ce qui est.
Le phnix doit dĠabord mourir pour pouvoir ressusciter... et redcouvrir
peut-tre ainsi une nouvelle harmonie. Peut-tre en est-il de mme avec les
tres humains, autant dans leurs aventures personnelles que collectives. Belles
inspirations dĠouverture vous tous, chers lecteurs, et bonnes dcouvertes sur
les chemins de lĠinterculturalisme et du pluralisme – vous y dcouvrirez,
peut-tre et entre autres, votre propre humanit ! Le proverbe dit :
Ç Le sage pointe du doigt la lune. LĠimbcile regarde le doigt. È
Lors de la dcouverte de cet ouvrage, osez dtacher de temps en temps votre
regard des textes, des argumentations et des concepts et laissez glaner votre
regard vers lĠhorizon vers lequel ils pointent !
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production du droit aux ÔpeuplesĠ È, Politique
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Sommaire
Christoph Eberhard : Le courage des
alternatives. Explorations
Courage,
lchet, alternatives ? Une introduction
Franois Ost : Courage ? Vous
avez dit courage ?
Laurent Desutter : La lchet du
droit.
Emongo Lomomba : Il tait une fois
lĠAutreÉ Propos pour une recherche en alternatives.
Cosmopolitisme,
dveloppement durable et Dcroissance : contestations et alternatives pour
un autre monde
Jim Dratwa : Dans quel monde voulons
nous vivre ensemble ? Expriences collectives alternatives et pistmologies
cosmopolitiques
Bruno Mallard : Pourquoi envisager
des alternatives ? Une rflexion sur la pauvret et le progrs social.
Priscilla Claeys : Vers des alternatives au capitalisme
nolibral par une conception alternative des droits humains ? LĠexprience
des organisations paysannes
Jean Paul Segihobe & Benot
Mutambayi : La dette des pays en
dveloppement lĠaune des alternatives. Vers un Ç plurivers È de contestations
?
Nomie Candiago : Du courage
politique pour la Dcroissance
Refonder nos
Droits et notre gouvernance ? Vers une nouvelle grammaire du vivre
ensemble
Frdric Bouscaut : Rflexions sur la juridicit du
dveloppement durable. Glissement vers une ontologie relationnelle ?
Dominik Kohlhagen : Oser une
refondation de la Justice en Afrique. Attentes citoyennes et alternatives au
Burundi.
Akuavi Adonon : Le courage de
lĠinnovation juridique. Dynamiques de lĠinteraction interculturelle au Mexique.
Jovita
De Loatch : Imperfect
Alternatives and the Invisible Elephant: The Complex Nature of Environmental
Governance
Christoph
Eberhard : Vers
une gouvernance responsable ? Le juriste face aux alternatives mergentes
Au-del du droit, de la
gouvernance et du dveloppement durable. Vers de nouveaux horizons
Pascale
C. Annoual : Oser le regard interdisciplinaire. Vers un dialogue culturellement
comptent entre ethnothrapie et art thrapie
Meenakshi Devi Bhavanani : Virya. A
Yoga Perspective on Courage and Virtue
Contributeurs
[1] Voir la srie Dialogues for Change sur http://www.youtube.com/DialoguesForChange
[2] Le site internet Droits de lĠhomme et dialogue interculturel est consultable sur
http://www.dhdi.org
[3] Voir plus particulirement Eberhard
2005, 2007, 2008a, 2010, 2011, Eberhard & Gupta 2005 et Vachon &
Eberhard 2011.
[4] Mes trois autres collgues philosophes,
Thomas Berns, Laurence Blsin et Galle Jeanmart, ont, quant eux, explor la
question dĠun point de vue plus philosophique. Voir leur ouvrage Le courage. Une histoire philosophique
(2010) et le numro 2 de la revue Dissensus
(septembre 2009) coordonn par Laurence Blsin et par Galle Jeanmart et ddi
aux Figures du courage politique dans la
philosophie moderne et contemporaine.
[5] Voir dans ce contexte Joliot 2001,
Koestler 1960, Kuhn 1994.
[6] Voir, dans ce contexte, Panikkar 1982 et
le numro spcial nĦ 135 dĠInterculture
(1998), paru lĠoccasion du 35e anniversaire de lĠInstitut
Interculturel de Montral et du 30e anniversaire de sa revue Interculture et intitul : LĠIIM et sa revue. Une alternative
interculturelle et un interculturalisme alternatif.
[7] Cosmos,
en grec, signifie Ç parure È.
[8] Sur ces questions, voir tous les enjeux
dĠune dmarche diatopique et dialogale et de la recherche dĠquivalents
homomorphes dĠune culture lĠautre. Pour une introduction voir Eberhard
2011 : 157 ss.
[9] Des informations sur lĠIIM, ses projets
et sa revue Interculture sont
disponibles sur http://www.iim.qc.ca/. LĠentiret de la collection dĠInterculture est en voie de numrisation
et devrait bientt tre accessible sur internet.
[10] Dans la peinture originale,
lĠlphant est plus blanc quĠil nĠapparat sur la couverture.
[11] Raimon Panikkar (1982 : 14)
crit: Ç Le rle du mythe ! Certes nous sommes
dans une certaine mesure les patrons du logos, car nous en connaissons les
lois, mais nous ne pouvons pas manipuler le mythe. Le mythe nous chappe. Le
mythe, nous y croyons ou nous nĠy croyons pas. Et qui plus est, quand nous nous
rendons compte que nous croyons au mythe, nous cessons dĠy croire, car le mythe
est ce en quoi nous croyons tellement que nous ne croyons pas que nous y
croyons. C'est pour a que cĠest un mythe. Les mythes meurent comme les
cultures, les hommes. On parle du
mythe dj en le changeant. LĠordre transitoire dĠune nouvelle modernit serait
donc celui qui laisse lĠespace pour que les mythes puissent se dvelopper. Il
faut pour cela une confiance cosmique. LĠhomme du logos ne peut pas avoir cette
confiance, car chez lui, la raison doit tout contrler et rester alerte pour ne
pas tre dupe. Bienheureux les pauvres dĠesprit ! On peut les tromper, mais
ils ne peuvent pas errer ! È. Sur la notion de mythos, voir aussi Panikkar 1979 ; Vachon 1995 : 31 ss.
[12] Berns et al. 2008. Voir aussi la
revue spciale de Dissensus ddie
aux Figures du courage politique dans la
philosophie moderne et contemporaine et coordonne par Laurence Blsin et
Galle Jeanmart (op. cit.). Pour un pendant interculturel partir
dĠune approche bouddhiste, voir Eberhard 2012.
[13] Va Campesina
est constitu de mouvements paysans nationaux notoires, comme le mouvement des
paysans sans terre au Brsil (MST), le KRSS en Inde, le CNCR au Sngal et la
Confdration paysanne en France. Son secrtariat international est bas
actuellement Jakarta, en Indonsie. Le rseau compte aujourdĠhui 148
organisations dans 69 pays. Pour plus dĠinformations, voir :
http://www.viacampesina.org.
[14] Le Ç Droit È avec une majuscule dsigne, dans une perspective anthropologique, ce Ç phnomne juridique È qui Ç met en forme et met des formes la reproduction de nos socits et au rglement de nos conflits È et dont le droit tatique et moderne nĠest quĠune variante parmi de nombreuses autres. Voir Eberhard 2011 : 205 ss.
[15] Voir sur ces questions de lien
entre nos monde intrieurs et extrieurs dĠun point de vue bouddhiste Eberhard
2012 : 76 ss.
[16] Voir sur ces questions, dĠun
point de vue bouddhiste, Eberhard 2012.
[17] Pour une introduction au
personnage de Mulla Nasrudin et aux histoires dĠenseignement dont il est le
hro voir Shah 1971 : 63 ss.