Christoph
Eberhard, Droits de l'homme et
dialogue interculturel,
Paris, Connaissances et
Savoirs, 2me dition revue et augmente, 2011, 587 p.
Prface de Marie-Claire Foblets
JÕai lÕimmense plaisir de pouvoir rdiger la prface de
cet ouvrage. Ë nÕen pas douter, cÕest une excellente initiative que prenait
Christoph Eberhard de retravailler le volume quÕil sortait en 2002. En effet,
on ne saurait suffisamment accentuer lÕactualit de sa rflexion sur les
tenants et aboutissants du dialogue entre les cultures juridiques travers le
monde, au moyen de lÕinstrument quÕoffrent les droits de lÕhomme. Elle le fut
dj en 2002, elle lÕest aujourdÕhui plus que jamais. Le dfi est de taille.
En dcouvrant les travaux de Christoph Eberhard - sa
bibliographie sÕest effectivement enrichie de manire spectaculaire depuis 2002
- on est frapp par lÕoriginalit de la dmarche. Celle-ci associe, dÕune
manire tout fait audacieuse, la trajectoire personnelle de lÕauteur la
rigueur scientifique. LÕapproche peut surprendre, car elle est inhabituelle.
Elle est dÕautant plus enrichissante pour le lecteur qui sÕintresse la pluriculturalit et la complexit qui accompagne celle-ci
sur le plan du droit. Christoph Eberhard apporte un tmoignage qui ne saurait
tre dissoci dÕun exercice dÕanalyse de longue haleine auquel lÕauteur
sÕapplique depuis quÕil dcouvrait, jeune tudiant Paris dans les annes
quatre-vingt dix, la perspective anthropologique. Les nombreuses pisodes
investies depuis, dans un fructueux va-et-vient entre lÕEurope et les autres
continents du globe, entre la thorie et la pratique, entre le droit et
lÕapproche mta-juridique, traduisent tout la fois
un investissement irremplaable sur le vaste terrain des droits de lÕhomme et
un effort de dveloppement des ides particulirement soutenu, imprgn dÕun
dbat continu avec les auteurs dont il sÕinspire.
Depuis 2000, lÕanne o il soutenait sa thse de doctorat
lÕUniversit Paris I Panthon-Sorbonne, de nombreux
tudiants et chercheurs, aux horizons les plus divers, ont
pu bnficier des enseignements clairs de Christoph Eberhard. Quiconque
suivait un de ses cours, que cela soit en France, en Belgique ou ailleurs,
reconnat en lui un penseur qui, au carrefour du droit et de la culture dans
ses formes les plus diverses, cherche dpasser une approche technicienne des
droits de lÕhomme, pour dmontrer que le systme universel des liberts dites
irrductibles de la personne, lui aussi est une culture. Il le fait avec
pouvoir de conviction. Son ouvrage, parfaitement matris dans la forme comme
sur le fond, prend pour thme cette dmonstration.
Un constat sÕimpose: cette seconde dition de lÕouvrage
nÕest pas un aboutissement. Au contraire, elle est lÕexpression dÕun
cheminement intellectuel qui, face au schma dÕorganisation juridique des
socits humaines, sÕinterroge et ne cesse dÕvoluer en se nourrissant
dÕexpriences concrtes de terrain. Depuis 2002, lÕauteur faisait des longs
sjours, durant chaque fois plusieurs mois, tantt en Inde, tantt en Chine. En
suivant au plus prs certaines ralits au sein de deux civilisations, encore -
relativement peu ou sinon - mal connues du lecteur francophone, Christoph
Eberhard dmontre la place fconde de la culture au sein de toute notion de
droit. Mais sa dmarche va aussi bien au-del de cette dmonstration, elle
transcende en quelque sorte les circonstances immdiates - pour complexes et
riches quÕelles soient - en qute dÕouvertures, de
rencontres, de mtissages entre les systmes parfois antagoniques. Il a le soin
de mticuleusement rsumer la pense des auteurs qui lÕaccompagnent dans cette
recherche, ce qui ajoute lÕintrt de lÕouvrage en donnant au lecteur la
possibilit dÕaller, lui aussi, puiser dans des sources tantt juridiques,
tantt philosophiques ou anthropologiques.
AujourdÕhui, les droits de lÕhomme sont devenus un enjeu
essentiel des relations entre socits humaines, nationales et internationales,
de par le monde. Christoph Eberhard lance un appel au Ôdialogue interculturelÕ,
pour parer lÕimprialisme culturel et politique qui prend argument du
patrimoine commun de lÕhumanit que constituent les droits de lÕhomme pour
imposer une vision unique, rduite de ceux-ci.
Ce que sÕinvestit dmontrer avec finesse lÕauteur, se
rsume relativement facilement, mais est dÕautant plus difficile raliser:
pour pouvoir Ôentrer en dialogueÕ, en particulier avec des cultures juridiques
qui sÕinscrivent dans une conception de la construction de la socit - et de
la place des individus au sein de celle-ci - diffrente de la ntre, il faut se
donner les moyens ncessaires. Les juristes sur ce point ont beaucoup
apprendre de lÕanthropologie qui est une connaissance compare, profondment
ancre dans les logiques normatives des socits quÕelle tudie. Christoph
Eberhard nÕhsite pas sÕinscrire dans cette dmarche dÕapprentissage :
dans le contexte actuel de lÕvolution vers un monde sans cesse plus complexe
et pluriel, il prend appui sur
lÕanthropologie pour stimuler la rflexion sur la nature et la porte
des droits de lÕhomme.
Dans un contexte international qui est aujourdÕhui,
hlas, souvent conflictuel et surtout trs tendu propos de maintes questions
se rapportant aux droits de lÕhomme et de leur protection effective dans des
situations concrtes, la dmarche vient point nomme. Certes, Christoph
Eberhard nÕest pas le premier juriste se mettre lÕcoute de lÕanthropologie
pour proposer un rapprochement des visions qui ne soit pas une simple
juxtaposition des diffrentes approches, mais on saluera son style trs
personnel, la grande libert
intellectuelle avec laquelle il traite son sujet, et enfin, sa conception
fconde du rle quÕil prte lÕanthropologie dans lÕlaboration dÕune vritable
culture des droits de lÕhomme, qui serait ouverte et plurielle.
Marie-Claire Foblets
Professeur dÕAnthropologie du Droit la Katholieke Universiteit Leuven
Leuven, juillet 2010