Christoph Eberhard                                                                                                                                                   20/10/2003

E-mail :c.eberhard@free.fr

 

 

 

La dŽmocratie en miettes. Pour une rŽvolution de la gouvernance

 

par Pierre Calame (Paris, ƒditions Charles LŽopold Mayer / Descartes et Cie, 2003)

 

RŽsumŽ

 

 

Le 21me sicle marque non seulement un changement de sicle, mais aussi un changement dĠre qui nous confronte ˆ un double dŽfi : repenser nos systmes de pensŽe et nos institutions  afin de mettre en place un socle Žthique commun sur lesquels les peuples de notre plante puissent sĠentendre pour gŽrer leur interdŽpendance et concevoir et mettre en Ïuvre des rŽgulations susceptibles de donner une ‰me, un sens, des rgles, une ŽquitŽ et un avenir au village planŽtaire dans lequel nous cohabitons.

 

La dŽmocratie, lĠƒtat et lĠespace national doivent tre repensŽs suite ˆ lĠŽmergence depuis 1945 dĠune vŽritable sociŽtŽ globale et dĠune dynamique irrŽversible de mondialisation et de dŽveloppement des interdŽpendances de tous ordres ˆ lĠŽchelle planŽtaire. Si dans le modle westphalien[1] on rŽsonnait dans les termes dĠune mise en commun de ressources et compŽtences pour former des confŽdŽrations, cette perspective doit aujourdĠhui tre renversŽe. Les affaires de la plante, telle que lĠimpact de lĠhumanitŽ sur la biosphre, sont devenues nos affaires domestiques : nous partageons les ressources comme le destin dĠune seule et unique plante, globalement fragile. Il appara”t ainsi incontournable de procŽder ˆ une rŽvolution de la gouvernance qui comportera deux Žtapes.

 

Tout dĠabord il sĠagira de passer de lĠidŽe de Ç gestion publique È ou dĠƒtat ˆ celle de gouvernance. Introduire cet Ç ancien nouveau concept È, cĠest sĠobliger ˆ porter sur les rŽgulations sociales un regard plus large, plus englobant, plus articulŽ quĠon ne le fait dĠhabitude. La gouvernance englobe les notions de lŽgislation, de droit, de politique, dĠinstitutions et de gestion publiques, mais elle sĠintŽresse surtout ˆ la manire dont les choses fonctionnent en rŽalitŽ. Cette manire tient ˆ la fois, en amont des institutions, aux reprŽsentations que se fait la sociŽtŽ du pouvoir ou aux conditions dans lesquelles une communautŽ sĠinstitue ; en aval, au dŽtail du fonctionnement des procŽdures, ˆ la mentalitŽ et aux enjeux de ceux qui les font fonctionner, ˆ la pratique des relations entre les agents de la fonction publique et les citoyens, aux formes de coopŽration qui se nouent ou ne se nouent pas entre les acteurs, ˆ la faon dont sĠorganise la sociŽtŽ en corporations, communautŽs, associations. La comprŽhension de la gouvernance nous fait changer de regard pour concevoir et gŽrer lĠaction publique en faisant appel ˆ lĠhistoire, ˆ la culture, au droit, aux sciences politiques et sociales. De plus il semble possible de dŽgager des principes communs de gouvernance, un cadre de pensŽe qui permette ˆ toute sociŽtŽ de disposer dĠune sorte de cahier de charges commun ˆ partir duquel chacun peut inventer selon son propre enracinement culturel et historique, son propre modle et ses propres pratiques.

 

Ensuite, il faut prendre acte du fait que les Žvolutions des cinquante dernires annŽes ont crŽŽ une situation radicalement nouvelle qui oblige ˆ repenser la gouvernance actuelle. Les interdŽpendances ont changŽ dĠŽchelle, la nature de lĠŽconomie a changŽ, lĠinteraction entre les diffŽrents problmes est devenue la rgle, la rŽvolution de lĠinformation a bouleversŽ aussi bien les processus de production que les conditions dĠaccs au savoir ou lĠexercice de la dŽmocratie, la question des Žquilibres Žcologiques planŽtaires est devenue centrale ; de nouveaux acteurs globaux sont apparus, lĠaffrontement entre capitalisme et communisme a provisoirement pris fin. Or nous continuons ˆ penser le monde de demain avec les idŽes dĠhier et nous prŽtendons le gŽrer avec les institutions dĠavant hier. Au plan local et rŽgional, nous empilons des institutions et des niveaux intermŽdiaires qui se concurrencent et se neutralisent plus quĠils ne se compltent. Au plan national, nous ajoutons chaque annŽe de nouveaux dispositifs transversaux qui ne parviennent pas ˆ transformer le mode de fonctionnement sectorisŽ des administrations. Au plan mondial, nous multiplions les objectifs et les instances chargŽes de les atteindre sans quĠaucune dĠelles nĠen ait vŽritablement les moyens et sans hiŽrarchie des normes et des rgles. DĠo la nŽcessitŽ dĠune rŽvolution copernicienne, dĠun changement de regard et de point de vue qui permette le rŽagencement du systme tout entier. Cette rŽvolution sĠopŽrera autour de lĠidŽe de relation. La gouvernance de demain ne pourra plus ignorer les relations en sŽparant compŽtences, acteurs, niveaux... Au contraire, elle devra les mettre au cÏur de la conception du systme. CĠest ce que tente de montrer tout lĠouvrage qui dŽbute par un Žtat des lieux illustrant la crise gŽnŽralisŽe des modles actuels de gouvernance. Celui-ci mne ensuite ˆ dŽgager les prŽmisses et prŽmices dĠune rŽvolution et dŽbouche sur lĠexposŽ des principes communs dĠune gouvernance fondŽe sur les relations et regroupŽs dans six chapitres : lĠinstitution de la communautŽ et les fondements Žthiques de la gouvernance ; les relations entre niveaux de gouvernance et le principe de subsidiaritŽ active ; les relations entre lĠaction publique et le marchŽ ; les relations entre la puissance publique et les autres acteurs, la place des territoires locaux dans la gouvernance ; lĠingŽnierie institutionnelle.

 

 

1.       Le dŽphasage de la gouvernance actuelle et les ferments dĠun renouveau

 

Le dŽphasage de la gouvernance sĠobserve autour de cinq problŽmatiques :

 

Tout dĠabord, les rŽvolutions scientifiques et techniques nous font entrer dans une re nouvelle aussi bien par lĠŽchelle des problmes que par la nature ou par les modalitŽs possibles dĠexercice de la dŽmocratie. Ensuite, faute de crŽer des rŽgulations publiques adŽquates, la mondialisation est actuellement abandonnŽe au marchŽ et nĠest perue que sous lĠangle de la globalisation Žconomique - le dŽfi consiste ˆ construire une communautŽ humaine mondiale capable de prendre en charge son destin et remettant lĠŽconomique ˆ sa place dans une proche plus holiste. La dŽmocratie, quant ˆ elle, se vide de sa substance faute de sĠexercer aux bonnes Žchelles, de sĠintŽresser aux problmes essentiels et de conduire sa propre rŽforme. Elle est en crise, mme si superficiellement elle semble triompher partout, et nĠen sortira que si le monde politique rŽussira ˆ reformuler des perspectives claires de gouvernance du local au mondial. Au niveau de lĠapplication, les structures et les cadres de pensŽe de lĠaction publique restent Ç tayloristes È et par lˆ inadaptŽs : leur fragmentation et leur culture les rendent peu aptes ˆ traiter des problmes complexes, ˆ gŽrer les relations et les coopŽrations, ˆ prendre en compte lĠinfinie diversitŽ des situations. La gouvernance est un art tout dĠŽxŽcution qui ne se comprend quĠˆ partir de la vie quotidienne. Les experts et les responsables politiques doivent abandonner la recherche de conditions parfaites et universelles qui conduiront au meilleur rŽsultat (rationalitŽ substantive) pour concentrer leur attention sur les Ç bonnes pratiques È (rationalitŽ procŽdurale). Si on veut rŽussir un transfert des connaissances il faut tre apte ˆ apprendre de lĠautre et le processus importe bien plus que le rŽsultat. De plus, les cadres mentaux et institutionnels de lĠaction publique doivent prendre en compte les liens entre les dŽfis, entre les acteurs et entre les niveaux - ce qui ne correspond pas ˆ leur habitude de diviser les choses et ˆ les organiser de manire avant tout hiŽrarchique et linŽaire. Ensuite, les perspectives et les stratŽgies de rŽforme, sont trop souvent vellŽitaires et peu efficaces et leur Žchec a donnŽ lĠillusion que lĠaction publique nĠŽtait pas rŽformable. Les blocages rŽsultent du fait que le monde politique fait porter ˆ lĠadministration la responsabilitŽ de sa propre impuissance ; les fonctionnaires eux-mmes ne sont que faiblement mobilisŽs dans les rŽformes ; on succombe ˆ lĠillusion de la modernitŽ instrumentale ; on ne travaille pas suffisamment dans la durŽe, on nĠinvestit pas suffisamment intellectuellement dans le management publique et enfin la plupart des rŽformes sont conduites en faisant lĠŽconomie dĠune rŽflexion fondamentale sur la gouvernance.

 

Mais lĠŽchec des rŽformes de la gouvernance nĠest pas une fatalitŽ si deux conditions sont rŽunies. Tout dĠabord, il ne suffit pas dĠengager des rŽformes institutionnelles. Il faut Ç changer des lunettes È et questionner les fondements de la gouvernance actuelle mme sĠils sont consacrŽs par une longue habitude.

 

Il ne sĠagit pas dĠinventer[2] de toutes pices un nouveau systme mais de partir de ce qui est dŽjˆ en mouvement, des prŽmices dĠune rŽvolution de la gouvernance. Ce genre dĠinnovations sĠobserve dans la pratique, mais avant toute rŽvolution intellectuelle, le systme antŽrieur sĠadapte aux rŽalitŽs nouvelles en multipliant les bricolages dĠo rŽsultent des solutions peu stables et trs compliquŽes. On peut en observant la rŽalitŽ relever des prŽmices dĠune rŽvolution de la gouvernance. Pierre Calame en Žnumre huit : lĠengagement politique partisan se transfre vers dĠautres formes dĠengagement social et civique ; de nouveaux modles de coopŽration entre la sociŽtŽ civile et lĠƒtat Žmergent qui dŽplacent les frontires traditionnelles entre le public et le privŽ, notamment dans le mouvement des ONG qui pallient les dŽficiences de lĠƒtat, remplissent des fonctions dĠintermŽdiation entre les institutions publiques et les citoyens, voire jouent parfois le r™le de Ç ttes chercheuses È pour inventer de nouveaux modles de dŽveloppement ; les liens entre lĠŽconomique et le social se redŽfinissent comme le montrent par exemple les nombreuses expŽriences de micro-crŽdit qui renforcent avant tout le capital social local ; lĠapproche de lĠƒtat devient plus pragmatique en ce quĠil devient plus sensible aux ressources potentielles du corpus culturel sous-jacent o il agit et quĠil sĠouvre de plus en plus ˆ des pratiques de partenariat ; on assiste ˆ un mouvement de dŽsinstitutionalisation et de revendication du pluralisme juridique, surtout dans des contextes ou les droits vivants permettent de palier aux dŽficiences Žtatiques ; le r™le des territoires locaux est redŽcouvert ; la gouvernance europŽenne promeut les vertus de la responsabilitŽ partagŽe comme par exemple dans le cadre de lĠŽlaboration dĠune charte du commerce Žquitable ; et enfin, devant les dŽficiences des rŽgulations publiques internationales la sociŽtŽ civile prend lĠinitiative, comme lĠillustrent les sŽries de confŽrences organisŽes par lĠONU sur les sujets les plus divers et inaugurŽs par le sommet de la terre ˆ Rio en 1992, lĠŽmergence des ONG qui deviennent de plus en plus prŽsentes et la crŽation de forums internationaux qui se mettent ˆ occuper une place significative dans la construction du dŽbat public tout en Žmanant de dynamiques non-gouvernementales, comme le forum de Davos É ou Ç lĠanti-Davos È, le forum social mondial de Porto Alegre.

 

 

 

 

2.       Les principes communs de la gouvernance

 

Pour dŽgager de nouveaux principes de la gouvernance, il faut dŽconstruire le modle westphalien et en reconstruire un nouveau, non pas par un cumul de bricolages, mais en rŽagenant tous les ŽlŽments de la gouvernance dĠune faon nouvelle et cohŽrente. Le fondement du systme renouvelŽ est la relation car la capacitŽ de nos sociŽtŽs ˆ la fois interdŽpendantes et infinimiment diverses ˆ survivre et ˆ se dŽvelopper dŽpend de la capacitŽ ˆ gŽrer les relations, ˆ garantir le maximum dĠunitŽ et le maximum de diversitŽ. Pierre Calame sĠintŽresse ˆ six formes diffŽrentes de relation.

 

Tout dĠabord, la gouvernance a pour r™le de construire et de donner sa cohŽsion ˆ la communautŽ, de contribuer ˆ son institution en gŽrant les rapports entre unitŽ et diversitŽ. Pour cela il ne suffit pas ˆ la gouvernance dĠtre lŽgale, il lui faut aussi tre lŽgitime, ce qui implique que les actes de la puissance publique doivent rŽpondre ˆ un besoin  des destinataires et reposer sur des valeurs et des principes communs reconnus. De plus la gouvernance doit tre Žquitable, exercŽe efficacement par des gouvernants responsables et dignes de confiance et respecter le principe de moindre contrainte consistant ˆ atteindre un objectif de bien commun en limitant autant que possible les contraintes imposŽes ˆ chacun pour lĠatteindre. Mais ceci souligne aussi le lien indissociable entre Žthique et gouvernance. DĠabord parce que les fins doivent lĠemporter sur les moyens, puis parce quĠon ne peut concevoir de gouvernance pacifique ou de gouvernance dŽmocratique sans un fondement Žthique. En lĠŽtat actuel de lĠhumanitŽ toute gouvernance procde en dernier ressort dĠune gouvernance mondiale qui ne peut quĠavoir une base contractuelle fondŽe sur des principes Žthiques. LĠŽmergence de principes Žthiques communs est donc dŽcisive pour lĠŽmergence dĠune communautŽ sociale et politique ˆ lĠŽchelle planŽtaire. Et il semble que cette Žthique doive se fonder sur la responsabilitŽ : nous sommes responsables car nos actions ont un impact sur les autres tres humains et la nature. Les responsabilitŽs des tres humains doivent tre proportionnelles ˆ leurs possibilitŽs dĠagir. La responsabilitŽ, et donc le pouvoir, doivent tre conus de manire active et non pas uniquement passive. Les responsabilitŽs ne doivent pas se limiter au prŽsent et au futur. Les dommages passŽs causŽs de manire collective doivent tre assumŽs moralement par la collectivitŽ concernŽe et rŽparŽs concrtement autant que possible. La gouvernance nŽcessite de circonscrire constitutionnellement lĠaction des gouvernants ˆ partir des exigences du bien commun. LĠapproche classique de dŽlimiter le champ constitutionnel de la gouvernance par lĠŽnoncŽ limitatif de domaines de compŽtence semble un combat perdu dĠavance car tous les problmes se tiennent entre eux. La dŽlimitation de la gouvernance doit se faire plut™t ˆ partir de lĠŽnoncŽ dĠobjectifs poursuivis en commun, des critres Žthiques qui doivent guider lĠaction, des rgles de coopŽration entre niveaux de gouvernance et du principe de moindre contrainte. Ainsi, ˆ une vision traditionnelle de la gouvernance caractŽrisŽe par une rŽpartition des compŽtences , par des institutions sectorisŽes et par des rgles vient se substituer une vision nouvelle o la gouvernance se dŽfinit par des objectifs , des principes Žtiques et des dispositifs de travail. CompŽtences, rgles et institutions relvent du domaine des choses, des moyens. CĠest lĠespace de la dŽlimitation, de la sŽparation. Tandis que les objectifs, les critres et les dispositifs relvent du domaine des intentions, des finalitŽs , des jugements et des processus. CĠest lĠespace de la relation, du dilaogue, de la jurisprudence.

 

Les relations entre niveaux de gouvernance renvoient ˆ la problŽmatique de lĠinterrelation des niveaux pour aborder de nombreux problmes qui se situent ˆ la fois ˆ des Žchelles plus globales et plus locales. La clef de la gouvernance de demain nĠest plus le principe de rŽpartition de compŽtences entre niveaux, mais au contraire celui de la coopŽration entre niveaux. Le fonctionnement autonome de niveaux de gouvernance, chacun dĠeux disposant de compŽtences exercŽes de manire exclusive est une des sources majeures de la crise de la dŽmocratie. En effet, les Žvolutions actuelles Žtant ˆ la fois locales et globales, ce fonctionnement aboutit a placer hors du champ politique lĠessentiel de ces Žvolutions, conduisant les citoyens ˆ penser que le jeu dŽmocratique lui mme est illusoire. LĠŽthique de responsabilitŽ conduit ˆ penser une autre forme de relation du local au global : la subsidiaritŽ active. La discipline imposŽe au nom du bien commun doit tre justifiŽe par les objectifs poursuivis et non par lĠexistence de Ç territoires politiques et administratifs È immuables et, pour tre pleinement lŽgitime, elle doit satisfaire au principe de moindre contrainte. LĠarticulation entre niveaux est au cÏur de la gouvernance. Aucun problme majeur contemporain ne peut se traiter ˆ un niveau seul et par une seule institution. Les relations entre niveaux de gouvernance ont toujours existŽes mais Žtaient laissŽes en lisire, ou renvoyŽes dans lĠimpensŽ. Les mettre au cÏur de la rŽflexion, cĠest appliquer le Ç principe dĠinversion È : valoriser ce qui Žtait marginalisŽ ; traiter comme secondaire ce qui jusque lˆ Žtait central. Le but de la subsidiaritŽ active est lĠŽmergence de la possibilitŽ de vŽritables partenariats o les acteurs puissent exister et se constituer en partenaires, o leurs logiques et leurs contraintes, leurs capacitŽs et leurs connaissances sont reconnues et o de part et dĠautre existe la libertŽ pour construire une action commune sur la base dĠintŽrts partagŽs tout en respectant la diversitŽ de la sociŽtŽ. Dans la subsidiaritŽ active la responsabilitŽ dĠŽlaborer des rŽponses relve du niveau le plus local possible, mais il ne sĠagit pas pour chaque niveau local dĠagir en toute libertŽ mais en se conformant ˆ un certain nombre de principes directeurs communs. Ce sont les raisons dĠagir qui doivent tre explicitŽes pour justifier les contraintes imposŽes au niveau local et non les domaines dans lesquels lĠautoritŽ sĠexerce. Ceci mne ˆ remplacer le devoir de conformitŽ par le devoir de pertinence : les reprŽsentants des pouvoirs publics seront jugŽs non sur leur conformitŽ aux rgles, mais sur leur capacitŽ ˆ Žlaborer avec les autres acteurs une solution satisfaisante. Ceci nŽcessite ˆ gŽrer une double cohŽrence verticale (de chaque secteur dĠactivitŽ) et horizontale ou relationnelle qui met ces diffŽrents secteurs dĠactivitŽ au service dĠobjectifs communs.

 

Les relations entre lĠaction publique et le marchŽ ouvrent la rŽflexion sur la nature, la vocation et la rŽpartition des biens et services. Tout dĠabord il faut distinguer entre biens publics qui se dŽtruisent en se partageant et qui appellent une gestion collective, les ressources naturelles, qui se divisent en se partageant mais ne sont pas de facture humaine et quĠil sĠagit dĠutiliser pour la satisfaction des besoins humains avec un souci de prŽservation pour les gŽnŽrations futures (ils se situent ainsi dans tension entre ŽquitŽ et efficacitŽ), les biens et services qui se divisent en se partageant et sont le fruit de lĠingŽniositŽ humaine o le mŽcanisme du marchŽ trouve sa plus grande lŽgitimitŽ et enfin les biens et services qui se multiplient en se partageant, telle lĠexpŽrience, et qui traditionnellement Žtaient hors champ Žconomique mais y rentrent de plus en plus sous le triple effet de lĠŽconomie de la connaissance, de la rŽvolution de lĠinformation et du dŽveloppement des sciences du vivant. Ensuite, les rgles de la gouvernance Žconomique doivent en permanence sĠŽvaluer et sĠenrichir ˆ lĠaune de leurs effets concrets.

 

Pour aborder les relations entre la puissance publique et les autres acteurs il est pertinent de partir du constat que la plupart des problmes rŽels impliquent une coopŽration entre la puissance publique et une grande diversitŽ dĠacteurs. Il appara”t de plus en plus que ce nĠest pas la nature privŽe ou publique dĠun acteur qui dŽtermine la nature de sa responsabilitŽ mais la nature de lĠimpact de son action - comme nous lĠavons notŽ plus haut, ce qui para”t essentiel cĠest de rŽunir les conditions pour permettre lĠŽmergence de vŽritables partenariats entre divers acteurs autour de problmes partagŽs. Le prŽalable ˆ tout partenariat est la construction de la scne de dŽbat public, ce qui semble aujourdĠhui extrmement important surtout ˆ lĠŽchelle supranationale. Se pose aussi la question de la construction de la parole de chaque acteur, tous nĠayant pas les mmes moyens de sĠinformer, de sĠorganiser, de sĠexprimer. Un groupe social ne peut sŽrieusement participer ˆ la scne publique quĠen ayant ses propres espaces dĠŽlaboration de la parole.

 

Le territoire semble tre la Ç brique de base È dĠune nouvelle gouvernance, car cĠest lĠespace par excellence de lĠorganisation des relations entre acteurs sociaux, entre niveaux de gouvernance, entre les problmes, entre lĠhumanitŽ et la biosphre et entre la puissance publique et le reste de la sociŽtŽ. Souvent on construit le local Ç comme la cour o les enfants sĠamusent pendant que les grands travaillent È, comme le lieu de lĠaction concrte et donc rŽduite ˆ lĠimmŽdiat, comme Ç lĠespace des pauvres È ou comme Ç lĠinfirmerie de campagne È en arrire front des combats, comme traditionnel, ancien, voire arriŽrŽ. En y rŽflŽchissant on peut repŽrer ces constructions nŽgatives dans la phrase Ç penser globalement et agir localement È quĠil est urgent de repenser. CĠest ˆ partir du local quĠil faut penser. En effet, en revenant ˆ la subsidiaritŽ active, le territoire appara”t ˆ la fois comme le point dĠapplication de principes directeurs dŽfinis ˆ une autre Žchelle, comme lĠespace de coopŽration entre les diffŽrents niveaux de gouvernance et comme le lieu ˆ partir duquel on pense, on Žvalue, on ouvre de nouvelles pistes.

 

Enfin, une rŽflexion sur lĠingŽnierie institutionnelle part du constat que les logiques institutionnelles, les procŽdures, les cultures, les modes de dŽcision, la gestion du temps structurent la gouvernance bien plus efficacement et durablement que les discours politiques les mieux intentionnŽs soient-ils. CĠest la gestion du temps, de lĠincertitude, des ressources et de la coopŽration qui fonde la gouvernance. Dans la reprŽsentation classique du pouvoir politique, lĠattention se porte presque exclusivement sur le moment de la dŽcision ; Ç Gouverner cĠest choisir È. Ainsi, on laisse dans lĠombre lĠessentiel : les conditions dans lesquelles ont ŽtŽ ŽlaborŽes les diffŽrentes solutions entre lesquelles le gouvernement est sommŽ de choisir. Or lĠessentiel pourrait bien tre justement dans lĠorganisation du processus dans lequel les solutions sĠŽlaborent. Dans ce sens, lĠingŽnierie institutionnelle est lĠart de concevoir des institutions dont la Ç logique profonde È va dans le sens des objectifs poursuivis et o les processus sont organisŽs de manire libres mai suffisamment transparentes pour garantir un contr™le par tous ceux qui sont concernŽs.

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Dans cette conception, la souverainetŽ des ƒtats est absolue, lĠƒtat co•ncide avec un territoire, lĠidŽe de gouvernance est rŽduite ˆ lĠidŽe de gouvernement et de services publics et les seuls fondements du droit international sont les traitŽs entre ƒtats.

[2] Pour cela il est utile de faire exploser les oppositions binaires traditionnelles telles que Ç ceux qui reprŽsentent et les autres È, Ç le politique et lĠadministratif È, Ç ƒtat et marchŽ È ou Ç public È et Ç privŽ È, Ç rgle et contrat È, le Ç lŽgal et lĠillŽgal È É Ainsi en ce qui concerne par exemple le Ç public È et le Ç privŽ È, accepter de dissocier la nature de la fonction de celle de lĠorgane qui assure cette fonction, on ouvre la porte ˆ de nombreuses innovations.