Christoph Eberhard

c.eberhard@free.fr

KILANI Mondher, Introduction à l’anthropologie,

Lausanne, Payot, 1992, 368 p

Si l’anthropologie s’est longtemps définie par ses terrains « exotiques » on assiste de plus en plus à un retournement de son regard sur les sociétés occidentales modernes. On doit noter que dès ses origines si l’anthropologie s’est intéressée aux différences c’est pour mieux cerner les similitudes, pour bâtir une compréhension générale de l’homme à travers la diversité de ses manifestations. La démarche anthropologique ne se réduit pas aux seules dimensions du folklore et de la muséographie. Si elle continue à s’intéresser aux sociétés traditionnelles, et qu’elle commence de plus en plus à s’intéresser aux sociétés modernes, qui étaient avant le monopole des recherches sociologiques, c’est pour réfléchir sur le fonctionnement général du social et pour dégager des catégories analytiques universelles capables à la fois d’expliquer la diversité des sociétés humaines et l’unité du genre humain à travers une démarche comparative, une mise en tension entre « local » et « global ». Mais le changement des terrains pose des questions à la démarche anthropologique dont la spécificité était donnée par son lien intime à la problématique de l’altérité. Ce lien était évident lorsque les objets d’étude étaient des sociétés qui ne partageaient pas les matrices culturelles des chercheurs – mais qu’en est-il depuis que des chercheurs ont commencé à travailler sur leurs propres sociétés ? Les notions comme l’altérité, la distanciation du chercheur, le regard extérieur, l’observation participante, qui ont jusqu’ici constitué les fondements de l’anthropologie, doivent être aujourd’hui réexaminés sur de nouvelles bases. Et les questions ne se posent pas de manière homogène dans le champ constitué par l’anthropologie. Par ailleurs se posent les questions de la délimitation même de ce champ : à l’heure où l’anthropologie s’intéresse à la modernité, qu’est-ce qui la différencie encore de la sociologie, discipline qui, parmi toutes les autres sciences de l’homme lui est certes la plus proche mais qui s’en est justement distinguée jusqu’ici par son intérêt prioritaire pour la modernité. Si l’on doit continuer à établir des différences, celles-ci résident-elles dans les méthodes ou dans les objets de la recherche, dans les élaborations théoriques et les problématiques de chacune d’elles ? Toutes ces questions gagnent à être remises en perspective par un retour historique sur les origines et les développements de la discipline.

Pour poser les jalons de cette réflexion, Mondher Kilani procède en quatre vagues. Il commence par quelques réflexions autour de l’actualité d’une science de l’homme en s’interrogeant sur les objets empiriques et intellectuels de l’anthropologie, sur les démarche, éclairage et méthodes de l’anthropologie pour terminer par une présentation de ses différents domaines d’études : la parenté, la religion et le symbolique, le politique, l’économique, le changement social, le milieu urbain et industriel. Mentionnons qu’il est intéressant qu’il ne dit rien sur l’anthropologie du Droit.

Ensuite Mondher Kilani essaye de mettre en situation l’anthropologie en la confrontant à d’autres sciences de l’homme autour, à chaque fois, d’une idée maîtresse. Il traite ainsi de « Antrhopologie et sociologie. La raison comparative », « anthropologie et histoire. La raison de l’autre », « anthropologie et psychanalyse. La raison symbolique », « anthropologie et psychologie cognitive. Raison mythique et raison scientifique », « Anthropologie et linguistique. La raison structurale. » et « anthropologie et économie. Raison culturelle et raison utilitaire ».

Après cette remise en perspective diatopique, l’auteur s’engage dans un éclairage diachronique de la pensée anthropologique ou, comme il l’appelle, « une généalogie intellectuelle des discours sur l’altérité ». Pour ce faire il ne se contente pas de l’histoire moderne de la discipline, mais il retourne jusque dans l’Antiquité grecque et le moyen âge chrétien, pour arriver ensuite par la Renaissance et le siècle des Lumières et par un détour intéressant par l’expérience de la tradition géographique et historique du Moyen Age arabe à l’émergence de l’anthropologie comme science de l’homme et de ses développements et enjeux. Ce faisant il développe surtout les développements de l’évolutionnisme, du structuralisme et du fonctionnalisme.

Enfin, ces excursions dans l’espace et dans le temps s’achèvent par un retour sur l’actualité de l’anthropologie où Mondher Kilani propose le local et le global comme nouvelle articulation du projet anthropologique et insiste sur la nécessité de la prise en compte du changement social et d’une plus grande attention à l’histoire dans la recherche anthropologique. Le livre se « conclut » ensuite par une ouverture : une réflexion sur la description et sur l’écriture du texte anthropologique.