Mondialisations et diversits culturelles :
luniformisation nest pas une fatalit
Compte-rendu
de
Mondialisation : utopie, fatalit,
alternatives ?,
sous
la direction dAnne-Marie Dillens, Bruxelles,
Facults
universitaires Saint-Louis, 2008, 196 p.
par
tienne Le Roy
Sept auteurs ont rpondu linvitation dAnne-Marie Dillens, prsidente de lՎcole des sciences philosophiques et religieuses des Facults universitaires Saint-Louis afin de dlivrer une leon sur la thmatique de la mondialisation partir de leur topos particulier : lՎconomie pour lie Cohen la science politique pour Zaki Ladi ou Josepha Laroche, la sociologie ou lanthropologie philosophique ou juridique pour ce qui concerne , enfin, Anne-Marie Roviello, Marc Fleurbaey, Marie-Ange Moreau ou Christoph Eberhard.
La contribution de Josepha Laroche, Soft power amricain et diversit culturelle (pp. 105-112) nous servira de fil conducteur initial, lintrt de louvrage publi par A.-M Dillens rsidant dans la varit des facettes selon lesquelles on peut traiter de la mondialisation. Il convient, en effet, dՎviter denfermer tant la mondialisation que la culture dans un cadre trop rducteur, monologique, dont on commence bien reprer quil est le fondement critique de notre perception occidentale et moderne du monde.
Il faut ainsi dconstruire une image
culturelle rductrice de la mondialisation pour
penser ensuite les mondialisations comme le support de
productions culturelles qui seront alinantes ou libratrices selon lusage que
nous en ferons et le contrle dmocratique que nous exercerons, dans la mesure
o toute libert doit tre organise pour protger les droits de tous.
Examinons ici deux propositions: la culture nest pas dfinissable gnralement et la rfrence une et une seule culture nest plus concevable conceptuellement.
-
Limpossibilit
de dfinir la culture
Les anthropologues sont, parmi tous les chercheurs en
sciences sociales et humaines, ceux qui ont le plus spcialis leurs travaux
sur les phnomnes culturels. On peut mme rappeler quentre les annes 1920 et
1950, la diffusion des traits culturels (diffusionnisme) puis lanthropologie
culturelle nord-amricaine ont reprsent une des trois branches des sciences
de lhomme ct de lanthropologie sociale britannique et de lethnologie
europenne continentale. Les investissements scientifiques nord-amricains
sont, dj lՎpoque, considrables et certains concepts, comme celui de pattern
of culture, dune si grande richesse quon
ne peut le traduire mais seulement en proposer des quivalents, sont des
apports dcisifs la recherche anthropologique. En liaison avec la
psychanalyse, une cole dite culture et personnalit sest
propose dobserver lensemble des ides et des comportements socialement donc
culturellement acquis, dveloppant ainsi un prsuppos culturaliste mais
rencontrant la difficult imprvue de perdre au fil de laccumulation des
donnes la capacit dfinir son objet. Gilles Frrol (2003, p. 81) rappelle quen
1952, deux des plus illustres tenants de ce courant, Alfred L. Kroeber et Clyde
Kluckhohn, avaient relev plus de cent soixante dfinitions diffrentes dans la
seule production scientifique britannique suppose marginale par rapport
lamricaine. Un autre auteur amricain minent, thoricien de lanthropologie
culturelle, Melville J. Herskovits, reconnat que :
les dfinitions de la culture
abondent
puis considre qu (u)ne des meilleurs dfinitions de la culture,
quoique dj ancienne est celle dE.B. Tylor qui la dfinit comme un tout complexe qui inclut les
connaissances, les croyances, lart, la morale, les lois, les coutumes et
toutes les autres dispositions et habitudes acquises par lhomme en tant que
membre de la socit .( Herskovits, 1967, p. 5)
Malgr lintrt de la liste propose qui date de 1871, ceci
est cependant tout sauf une dfinition dun objet scientifique : trop
vague, trop redondant pour offrir les cadres dune analyse comparative de la
diversit des rponses humaines. Ainsi, plutt que den proposer une nouvelle, acceptons quon ne puisse
pas dfinir la culture mais quon doive plutt tenter den penser les
implications scientifiques et
politiques.
Dans ce sens, G. Frrol conclut sa notice "culture " sur les
remarques suivantes :
(si) la civilisation est la
base daccumulation et de progrs, la culture -nous rappelait Paul Ricur dans Histoire et vrit- repose sur
une loi de fidlit et de cration. Loin de considrer avec suffisance lapport
des sicles passs, comme un dpt intangible, elle donne lieu toute une
srie de r-interprtations possibles qui, en retour, la maintiennent, la
consolident ou lactualisent, tradition et innovation nՎtant pas antinomiques
mais complmentaires .
(Frrol, 2003, p. 83)
Cette rfrence la philosophie de Paul Ricur nous servira
de transition pour dvelopper la seconde affirmation annonce : lide
dune seule culture.
-
Limpossibilit de continuer concevoir lexistence d une seule culture
Ce qui en question ici cest le principe dunit qui nous obligerait penser lensemble
des productions humaines, telles celles inclues dans la dfinition prcdente
de Tylor, dans un cadre unique susceptible dautoriser une qualification
particulire des comportements et de lassocier un groupe dont il serait un
lment central, voire structurel, de son identit.
Est en jeu ici lide mme dunit qui prside
lՎlaboration des concepts-recteurs de la pense politique, juridique et
conomique des socits occidentales modernes. Lapport de lanthropologie
juridique est en ce domaine particulirement explicite. M. Alliot ,
fondateur de lՎcole franaise danthropologie du droit, nous
interrogeait : dis moi comment tu penses le monde, je te dirai comment
tu penses le Droit , cette dmarche sappliquant, on le verra, aux
autres productions
culturelles , lՃtat, le March etc. Quand, en effet, confrontant
les cosmogonies des grandes traditions humaines, Michel Alliot (Alliot, 2003)
analyse les relations entre leur vision de lorigine du monde (cosmognses) et
des principes mis en valeur par leurs cosmologies, il peroit des archtypes
permettant de distinguer trois familles de socits , les
socits judo-chrtiennes
qui pensent le monde partir dun nant initial et dune cration partir de
cet a nihilo
par une instance unique, Dieu, les socits animistes o le monde est organis
partir du chaos par une pluralit de dits accordes par une instance fcondante suprieure et les socits
confucennes o
le monde est incr car on na de preuves, selon la pense chinoise, ni de son
origine ni de sa fin et o le monde est rgi par linterfrence duelle, cumule
et ritualise, des forces telluriques et de lempereur. La premire tradition,
judo-chrtienne, en a dduit une architecture monologique : elle sera
monothiste, monocratique, monarchique et le principe dunit va
progressivement, surtout avec les Lumires et la lacisation de la socit,
sՎtendre progressivement en sassociant au mouvement de la modernit. Dun
seul Dieu et dun seul souverain, voire dune monogamie incontournable pour le
mariage, on va passer un seul espace, le Territoire, une seule population, la
Nation, un seul pouvoir organis, lՃtat, un seul Droit, codifi, un seul espace
dՎchanges, le March. Le temps, les mesures de poids et de superficie sont
aussi unifies et la notion de culture une apparat, en liaison
avec labsolutisme et en particulier ce sicle de Louis XIV qui a
provoqu la domestication des productions culturelles au service dune ide
absolue , parce quunitaire, dun pouvoir absolu parce que sans
opposant. (Cosandey et Descimon, 2002)
Cette lecture monologique de la culture va ensuite quitter
la personne du souverain (auquel on pourra couper le cou en Angleterre au XVII
comme en France au XVIII sicle) pour devenir un attribut de lՃtat,
lgitimant, cinq sicles aprs, la fiction des Deux corps du roi
(Kantorowitzs, 1989), fiction qui avait permis lՎmergence du concept dՃtat
dans les socits anglaise et franaise des XIII et XIV sicles. Ds lors que
lՃtat unitaire simpose comme seule source de pouvoir, lunit de la culture
son service en sort lgitime, mais au prix de nombreuses simplifications,
voire de falsifications (Le Roy, 2003).
Les reprsentations antrieures ce grand mouvement dՎtouffement de la
diversit culturelle ne furent toutefois pas toutes absorbes ou teintes et,
surtout, la remise en question, comme en Espagne, du modle de lՃtat-nation
unitaire au profit de formes fdratives remet paralllement en cause la
reprsentation unitaire de la culture, au risque de faire croire quavec la
rfrence unitaire cest lide mme de culture qui va disparatre. Cest sans
doute un des enjeux de la priode actuelle.
Enfin, lorsque lide mme de culture comme entit homogne
sera conteste par des mouvements de type post-modernistes, cest lensemble
des productions conceptuelles fondes sur le principe dunit qui en est
branl. Bref, on tente alors de passer dun paradigme de lunit celui dune
pluralit ( diffrencier dun pluralisme, cf infra) qui, mettant en cause
galement notre libert, doit tre amnag par des modes de rgulation venant
principalement, mais non uniquement, de lՃtat.
Ceci nous sert de transition pour revenir au texte de
Josepha Laroche.
Limposition dun modle culturel par le biais dune
domination politique mondiale et le risque dune uniformisation
culturelle.
Le cas dՎcole que dcrit Jospha Laroche appartient-il au pass ou au prsent ? On ne saurait y rpondre, mais il est vident que ce cas dՎcole a largement marqu les esprits sous la formule dune amricanisation de la culture . Celle-ci ne se rduit pas au base-ball ou au coca-cola mais reprsente selon lauteur un Soft Power[1] qui intervient comme violence symbolique en se retrouvant au centre dun dispositif dhgmonie. () Cela implique que les tats-Unis obtiennent de leurs partenaires quils fassent ce quils veulent leur voir faire, sans pour autant les y contraindre () Au contraire mme, il sagit de convaincre () et ceci travers la capacit de fixer les normes internationales ( p.106-107).
Ce soft power amricain savre tout aussi important que les attributs de sa puissance traditionnelle () En fait, nous sommes devant un pouvoir dattraction et de persuasion. Structurel, car il est galement fond sur des ressources conomiques et fondamentalement li au processus de mondialisation de lՎconomie de march (p. 107-108).
Or, ce pouvoir renvoyant quatre structures, la production, la finance, la scurit et la connaissance (Susan Strange , s.d.) qui faonnent le monde et qui sont domines par les Etats-Unis, la France -ancienne grande puissance mondiale et nostalgique de sa grandeur passe- ne se satisfait pas dՐtre relgue au rang de puissance moyenne. Manifestement, le deuil nest toujours pas accompli. Ce faisant, elle demeure le chef de file dune cause qui Ј travers la notion de diversit culturelle- dispute aux Etats-Unis son hgmonie mondiale fonde en loccurrence sur son Soft Power (p. 109).
Si la France a marqu un point avec la Dclaration universelle sur la Diversit culturelle, adopte dans le cadre de lUNESCO le 2 novembre 2001, si dans le domaine de la production cinmatographique, par exemple, la politique de soutien la cration qui reste unique au monde et laquelle la politique franaise entend () attribuer une valeur diplomatique qui joue aussi comme ressource symbolique auprs des autres pays () lobjectif tant de faire pice au Soft Power (p. 110). ce stade, la notion de diversit culturelle fdre davantage une rsistance aux accords du commerce international ngocis en la matire. Cependant, elle ne permet pas, pour lheure, de formaliser un vritable rgime international de la culture (p.111)
Sil apparat vident que lemprise
mondiale de la Silicon valley , (p. 110-111)
pour reprendre une formule de J. Laroche, rduit significativement la porte
symbolique de cette victoire , il est intressant de se demander
comment on peut contribuer la
prservation ou lenrichissement de cette diversit culturelle
dans le contexte de la mondialisation. Cest donc en nous tournant vers les
autres contributions quon va tenter de rpondre cette interrogation.
Contributions une reproblmatisation de nos
approches communes de la diversit culturelle
Dans les divers textes des intervenants et sans souci dune synthse exhaustive, je vais extraire quelques ides qui me paraissent enrichir la problmatique de la diversit culturelle partir du cas de la socit franaise/francophone contemporaine.
- Tout dabord, en raison de La prfrence europenne pour la norme (Zaki Ladi, p. 113 et s.) et, pour la France, de sa propre histoire, de sa culture politique colbertiste, puis jacobine pour aboutir lENArchie, la diversit culturelle passe par la matrise de la norme. Selon une formule de Z. Ladi la rgle renvoie la contrainte, la limite quil convient de fixer, lordre quil faut prserver, aux frontires quil importe de ne pas dpasser. () N)orme et puissance se rejoignent sur un point essentiel : elles cherchent toutes les deux contraindre. Mais elles le font de manire diffrente : la puissance tend pousser un acteur faire ce quautrement il ne ferait pas ; la norme sefforce dobtenir le consentement pralable sur la base dun principe simple : une fois admise, la norme devient opposable tous, y compris au plus puissant. (p. 113)
De ce fait, la norme apparat non seulement lgitime, mais dautant plus facilement sanctionnable que la norme est intriorise. La francophonie en est un bon exemple. Le monopole quexerce la France sur les emplois et lusage de la langue en partage au sein dune communaut de locuteurs lui permet la fois de contrler un systme dinstitutions, la Francophonie, avec une organisation centrale, lOIF, une agence de moyens, un rseau duniversits, de mobiliser les Etats qui pourraient sen rclamer dans certains domaines des relations internationales (supra pour lUNESCO) et dimposer des pratiques du bon usage de la langue, dautant plus respectables quon est identifi par des critres distinctifs associs une tranget et quon est donc tenu lexcellence. Le mouvement de la ngritude en fut une manifestation, parmi dautres.
On pourra aussi indiquer que ce champ normatif porte culturelle peut se rvler trs complexe, lauteur distinguant trois sries de normes selon leur objet : les normes techniques, les normes sociales de march et les normes sociales et politiques (p. 117-118) Que ce soient les marchs des droits de proprit intellectuelle ou les normes communicationnelles (par exemple le monopole de Microsoft sur le march des logiciels, condamn par le Tribunal de premire instance des Communauts europennes), nous avons une dimension culturelle constamment implique. Mais, comme le remarque galement lauteur, il faudra () peut-tre sortir de cette dichotomie trop marque entre normes de march et normes politiques car linterpntration entre les deux est de plus en plus forte et cest dans cet entre deux quil faudra penser la puissance europenne, au-del de la sempiternelle distinction entre hard et soft power (p. 123-124) . On pourrait par exemple sinspirer dune distinction propose par le chef de la diplomatie britannique la confrence europenne de Bruges, en novembre 2007, et parler, en contraste au Soft Power, dun Model Power (p. 123, n. 20), comme capacit imposer des modles de conduites et de comportements partir dune comptence normative mondiale. Transposons enfin au cas franais cette remarque. La puissance normative de lEurope dcoule largement de son pouvoir de march, mais limpact de celui-ci dpasse le simple cadre du march Prenons donc le capitalisme et ses crises de modles au srieux, non pour sen plaindre, mais pour le repenser, comme nous y invite lie Cohen.
- Dans Mondialisation :
la monte des prils , lie Cohen, membre du Conseil
danalyse conomique et professeur Science Po, a des pages percutantes pour
parler de la contestation de la mondialisation avant den analyser les
implications, avec un objectif : inviter jeter un il neuf sur
une ralit qui a chang nos vies en vingt ans
(p. 27) En fait, plutt que jeter un il neuf il sagit doprer une mutation
intellectuelle et lauteur parle ainsi dune rvolution
copernicienne propos de la thorie du
commerce international (p. 26). Mais, comme chacun le sait, une rvolution
astronomique a pour effet de faire revenir un objet (cleste) son point de
dpart. La mondialisation est ainsi moins une rupture que la reprise de
thmes anciens sous de nouveaux
paramtres, ce que confirme, selon lauteur, lide dune pluralit de
mondialisations antrieures celle qui fut initie avec la chute du mur de
Berlin en 1989 si on adopte la dfinition de la mondialisation comme une
ralit nouvelle dintgration
mondiale et dapparition dacteurs globaux (p.
30). Or, propos du besoin de lgislations environnementales lauteur
voque non seulement notre domaine, la diversit culturelle,
mais aussi labsence dun acteur nouveau susceptible de relever
le dfi des logiques commerciales : dans une pure logique
dՎchanges, une lgislation environnementale trs contraignante est considre
comme un dispositif protectionniste. Ces ambitions nont gure trouv de
matrialisation jusquici. Certes, lUNESCO a adopt une dclaration sur
lexception culturelle. Certes, des conventions internationales sur la
biodiversit, le climat se sont succdes. Mais nulle institution de puissance
comparable celle de lOMC ne vient contester ses choix (p.36-37).
Considrons enfin cette dernire conclusion de lauteur, sans doute la plus interpellante pour nombre dentre nous. Tout laisse penser que le haut point de la mondialisation est derrire nous, nous avons pass un stade et nous entrons dans un nouveau monde, marqu par une realpolitik conomique () Un nouveau monde est en train de natre sous nos yeux. Ce monde nest pas soutenable : la croissance actuelle ne peut tre prolonge () Dans un tel contexte, la mondialisation voit ses soutiens, dj maigres, saffaiblir (p. 42-43).
Mais, si on en revient la rfrence copernicienne, cette dcouverte dun monde neuf passe par lobligation tant de repenser le point dorigine que ce que nous devons abandonner de la rvolution prcdente. Il y a l un dialogue neuf introduire entre monologisme de la modernit europenne classique et pluralit des modles originels dont on parlait propos des archtypes de Michel Alliot ci-dessus et dont lenjeu est la conceptualisation dun monde commun.
- Dans La mondialisation, perte ou nouvelle intelligence du monde ? , Anne-Marie Roviello dcrit ainsi lobjectif poursuivre :
La tche
nest pas de ramener la pluralit des mondes au mme monde, mais doffrir ces
mondes pluriels les espaces communs dapparition o la conflictualit des
dbats et donc la libre reprise par chacun des mmes critres de discussion et
de concertation, mais aussi de prise en compte commune des problmes- remplacera les affrontements violents.
Il sagit, dans cette dification dun monde commun,
non tant de comprendre lautre, que le monde que nous partageons toujours plus
avec lui, et de partager avec lautre cette comprhension du monde, de faire
progresser celle-ci par ce partage partir de perspectives diffrentes, de
faire progresser, au-del des croyances et intrts respectifs, cette raison commune, en amenant chaque communaut singulire de sens se
raffronter lindtermination des repres ultimes de toute institution
humaine du sens, que celui-ci soit singulier ou commun, culturel ou
politique (p. 52)
Cette approche repose sur un point de mthode, de positionnement topologique qui nous intresse au plus au point : la question nest donc pas de savoir comment ouvrir nos identits particulires luniversel, partir de leur situation dinsularit suppose, mais comment amener chaque culture travailler ce boug interne tout culture vivante, comment pntrer dans lՎcart soi quil prsuppose en toute culture, qui ouvre demble toute culture la dimension de laltrit, de luniversel (p. 50).
- A cette approche fait cho Christoph Eberhard dans De lunivers au plurivers, fatalit, utopie, alternative ? . Lauteur a de ce monde commun une vision pluriverselle reposant sur un axiome quil emprunte Arjun Appadurai : lun des grands dfis pour lanthropologie consiste tudier les formes culturelles cosmopolites du monde moderne sans supposer logiquement ou chronologiquement premire lautorit de lexprience occidentale ou de modles qui en sont drivs (cit p. 69). Lide mme dune rduction de la diversit des mondes luni-versalit doit donc tre combattue en substituant le prfix pluri celui duni, pour poser la diversit comme premire et penser le cosmopolitisme des appartenances.
En fonction de ses expriences indiennes et chinoises, mais aussi latino-amricaines et europennes, lauteur nous invite regarder le les derrire le le/la /un/seul/unique comme autant de dclinaisons de la monologie, la science du seul.
Cette approche suggre de nouveaux choix
mthodologiques : Dans les termes de Boaventura de Sousa Santos,
sagirait-il peut-tre plutt de sengager dans une htrotopie que dans une
utopie . Il entend par l
un dplacement dans le monde mme dans lequel nous vivons, du centre aux marges
du pouvoir. Ce dcentrement qui nest pensable quՈ partir dune dmarche
dialogale entraine lՎmancipation dun univers pour senraciner dans un
plurivers (p. 92-93). Ensuite, le
mythe mergent du pluralisme comme horizon du plurivers (p.101) entraine plusieurs consquences. Se rfrant Raymundo
Panikkar, autorit pluriverselle en la matire, C. Eberhard
relve que le pluralisme nest pas la simple reconnaissance de la
pluralit qui peut rester sous-tendue par le dsir dunit. Le pluralisme ()
accepte lirrductibilit de certaines positions tout en reconnaissant des
aspects communs l o ils existent (p.101. Deuximement,
il avertit que le pluralisme nautorise pas de systme universel, un
systme pluraliste tant contradictoire dans les termes mmes. A un certain
niveau, les systmes ultimes sont incommensurables (). Troisimement, le pluralisme nous rend conscient de notre
contingence et de la non-transparence totale de la ra lit . Et enfin, Le
pluralisme est avant tout un
symbole, et donc davantage du domaine du mythos que du logos (ibidem). Si lauteur pointe en conclusion des dsaccords et contradictions, par
exemple entre le pluralisme et lide duniversalit, centrale dans la thorie
des droits de lhomme, cest pour nous inviter non point esquiver la rflexion,
mais au contraire travailler les
mythes et limaginaire au fondement de notre socit contemporaine.
- Un de ces mythes fondateurs est celui de la dmocratie que Marc Fleurbaey interroge dans Justice sociale et utopies nouvelles dans la mondialisation (p.147 et s.). En conclusion de sa communication, il dcrit une ligne daction qui adhre pleinement la mondialisation tout en cherchant corriger les dfauts du march et du capitalisme, aussi bien par la redistribution que par la dmocratisation. En combinant la mise en place dinstitutions de rgulation et de redistribution mondiale avec dautres mcanismes plus dcentraliss, comme par exemple les mouvements thiques de consommateurs et dinvestisseurs donnant la prfrence aux entreprises labellises en matire sociale et environnementale, on peut envisager de faire voluer une socit vers une forme moins stratifie, plus respectueuse de la dignit de chacun (p. 158) et donc de la diversit culturelle dois-je ajouter.
Avec cet ouvrage,
nous voyons merger, plutt en creux , certaines exigences de
lapproche interculturelle.
- La culture nՎtant ni le produit de lEtat ni surdtermine par la mondialisation, les transformations que connaissent les formes politiques, conomiques ou financires des institutions de nos socits contemporaines auront pour incidence non docculter mais de dmultiplier les manifestations culturelles dans la mesure o chaque groupe, chaque instant et de manire quasi spontane produit sa culture. La diversit est dj l dans le temps long de ses manifestations. Elle est appele samplifier dans lՎpoque qui sannonce. Ne serait-ce quavec INTERNET, luniformisation culturelle nest pas lordre du jour.
- Mais la diversit est dabord et surtout associe lobservation de ces manifestations, moins dailleurs dans le comportement autre de lindividu que dans ce boug interne tout culture vivante, dont parle Anne-Marie Roviello et qui est la condition mme de la libert.
- Lenjeu qui se prsente devant nous est de penser le commun (ce quon partage), en commun (selon des ensembles ou des mondes plus ou moins ouverts au dialogue) et pour assurer la reproduction de la pluralit des communauts, instances imagines (Anderson, 1996) de partage de ce dialogue, auxquelles nous appartenons par la naissance ou par des choix ultrieurs.
- Ce pluriel fait problme au quotidien parce quil nexiste pas dinstances de rgulations et de normes, tant en droit interne quen droit international, la hauteur de cet enjeu. Sans rgulations, toute libert va vau-leau. Mais tant les institutions que le principe de lEtat de droit ou les droits de lhomme (Policar, 2003) sont penss selon un modle monologique qui explique la ptition duniversalisme de ces derniers. Par ailleurs, la solution viendra moins de normes gnrales et impersonnelles que du Model Power , de la capacit proposer des modles de conduites et de comportements la hauteur des attentes de nos concitoyens. Il y a donc un risque de confusion propos de ce quon doit tenir pour le droit .
- On ne peut confondre pluralit et pluralisme car si la pluralit accepte le principe dunit, le pluralisme considre lide dunivers comme contradictoire, dans les termes mmes, avec le pluralisme. Or, quelles que soient les rticences ou les difficults, intgrer positivement le mythe du plurivers dont parle Christoph Eberhard, le mythe de lunivers dans sa forme de monoltrie (le culte du seul) nest plus tenable et lide dune pluralit des mondes (Boltanski et Thvenot, 1991) simpose progressivement.
- Nous avons donc reformuler un mythe et des principes de rgulation la hauteur de lentre deux contemporain, en partant de lexigence dhtrotopie dont parlait B. de Sousa Santos, donc de la pratique des gens du bas et pas seulement de ceux qui nous ressemblent pour dcouvrir la raison commune au fondement de cette dmocratie que nous devons reconstruire.
Etienne Le Roy.
Rferences
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Policar Alain,
2003, Droits de lhomme , G. Ferrol et G. Jurquois (dirs.)
Dictionnaire de laltrit et des relations interculturelles, Paris, Armand Colin, p.109-116.
[1] Comme lauteur de larticle, je ne traduis pas cette expression, laissant chacun le soin de gloser sur la prtendue douceur dun pouvoir fond sur une symbolique de la rentabilit.