Le Droit en perspective interculturelle.

Images rŽflŽchies de la pyramide et du rŽseau

 

Revue interdisciplinaire dĠŽtudes juridiques 2002.49

 

 

 

Ce numŽro thŽmatique de la Revue Interdisciplinaire dĠƒtudes Juridiques regroupe les interventions prŽsentŽes lors dĠun sŽminaire itinŽrant coorganisŽ par le Laboratoire dĠAnthropologie Juridique de Paris (UniversitŽ Paris 1 PanthŽon - Sorbonne) et le SŽminaire Interdisciplinaire dĠƒtudes Juridiques des FacultŽs universitaires Saint Louis (Bruxelles). Les sŽminaires, dont deux se sont tenus ˆ Bruxelles et un ˆ Paris en 2001 / 2002, ont permis dĠapporter des Žclairages anthropologiques et interculturels sur lĠapproche du droit entre pyramides et rŽseaux dŽveloppŽe par Franois Ost et Michel van de Kerchove (voir leur ouvrage de la pyramide au rŽseau ? Pour une thŽorie dialectique du droit, Bruxelles, Publications des FacultŽs Universitaires Saint Louis, 2002, 596 p). Ils ont contribuŽ ˆ des Žchanges fructueux entre thŽoriciens du droit et anthropologues du droit dont tŽmoigne lĠouvrage collectif qui en est rŽsultŽ et qui para”tra en dŽcembre 2002.

 

 

 

PrŽface - Franois Ost

 

ƒclairages interculturels et anthropologiques de la pyramide et du rŽseau. Une introduction - Christoph Eberhard

 

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RŽseaux, pyramide et pluralisme ou Regards sur la rencontre de deux aspirants-paradigmes de la science juridique - Jacques Vanderlinden

 

Observations sur les limites de la mŽtaphore - Gordon Woodman

 

Les reprŽsentations dĠespace et la structure Ç atomique È du rŽseau dans les pratiques de la transmodernitŽ - Etienne Le Roy

 

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Imbrication de la pyramide et du rŽseau dans le droit tunisien de la famille ? - Nawel Gafsia

 

Positionnement concurrentiel de la pyramide et des rŽseaux - Le droit vietnamien du mariage et de la famille - Edwige Rude-Antoine

 

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De la pyramide au rŽseau ? De la nŽcessitŽ du politique dans la production du droit - Alain Rochegude

 

RŽception de la pyramide dans le contexte de pluralisme juridique sŽnŽgalais. - Caroline Planon

 

De lĠextraterritorialitŽ des rŽseaux ˆ la rŽorganisation de la pyramide importŽe en Afrique : un dŽfi pour lĠAfrique contemporaine - Moustapha Diop

 

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Les pratiques alternatives de droit, ˆ lĠombre de la pyramide - Jean-Claude Mas

 

Le rŽseau juridique et la place de la pyramide : Perspectives ˆ travers les conciliations indignes au Mexique - Akuavi Adonon

 

La pyramide mise ˆ mal : quelle place pour les rŽseaux ?
StratŽgies d'acteurs au Chili entre dictature et transition. - Sandrine Revet

 

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Le principe hiŽrarchique ˆ l'Žpreuve de la construction d'une justice pŽnale internationale. - Sara Liwerant

 

La coopŽration avec la Chine dans le domaine de la rŽforme juridique et judiciaire : pyramide, rŽseau et fonction instituante ˆ la lumire de lĠanthropologie du droit  - Alain Bissonnette

 

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Accueillir le mythe du pluralisme. Un dŽfi ˆ notre pensŽe du droit - Carole Youns

 

 

Le cercle comme ouverture pour la Paix - DŽtour par des visions amŽrindienne et tibŽtaine du Droit - Christoph Eberhard

 


 

 

ƒclairages interculturels et anthropologiques

de la pyramide et du rŽseau

Une introduction

 

Christoph Eberhardá

 

 

LĠouvrage que va dŽcouvrir le lecteur est le fruit dĠune dynamique collective qui sĠest ŽtirŽe sur presque deux ans et dont les co-organisateurs Žtaient le SŽminaire Interdisciplinaire dĠƒtudes Juridiques des FacultŽs Universitaires Saint-Louis ˆ Bruxelles et le Laboratoire dĠAnthropologie Juridique de lĠUniversitŽ Paris 1 PanthŽon-Sorbonne, auxquels sĠest jointe aussi lĠAssociation Juristes-SolidaritŽs, une association travaillant sur les pratiques alternatives du droit et basŽe ˆ Paris. LĠenjeu Žtait de rŽunir des chercheurs, aussi bien Ç jeunes È que chevronnŽs, thŽoriciens du droit et anthropologues du Droit[1], et des praticiens afin de rŽflŽchir ensemble au Ç mystre È quĠest le Droit. Le point de dŽpart Žtait donnŽ par les rŽflexions de Franois Ost et de Michel van de Kerchove (2000 & 2002) sur un changement de paradigme juridique, de la pyramide au rŽseau. Il a ŽtŽ enrichi et remis en perspective par des approches plus interculturelles et anthropologiques. La dynamique a pris la forme dĠun sŽminaire itinŽrant entre Bruxelles et Paris. Outre le travail collectif par internet et quelques rencontres plus informelles, trois journŽes dĠŽtude ont ŽtŽ organisŽes, la premire ˆ Bruxelles en mai 2001, la deuxime ˆ Paris en septembre 2001 et la dernire de nouveau ˆ Bruxelles en fŽvrier 2002. La recherche sĠest illustrŽe par une ouverture croissante o les participants initiaux ont vu de nouveaux arrivants, venus dĠautres institutions et mme dĠautres pays et continents, gonfler leurs rangs. Les textes rŽunis ici sont le fruit de ces rencontres.

Le point de dŽpart des questionnements rŽsidait dans la tension crŽatrice entre deux approches complŽmentaires mais nŽanmoins bien distinctes : celle dĠune thŽorie du droit critique au sens o Franois Ost et de Michel van de Kerchove (1987) lĠentendent, qui illumine le droit en partant de lĠintŽrieur du systme juridique, et celle dĠune anthropologie du Droit qui essaie de lĠaborder par le dŽtour de sociŽtŽs diffŽrentes, qui ne pensent et ne pratiquent pas forcŽment le droit sous forme de systme (voire nĠont mme pas forcŽment de traduction pour notre concept de Ç droit È), et par les pratiques des acteurs, qui ne se rŽduisent pas ˆ celles du Ç droit officiel È mais comprennent aussi les Ç pratiques alternatives du droit È, les Ç droits inofficiels È, les Ç droits de la pratique È (voir Eberhard 2002, Le Roy 1999, Rouland 1988 & 1993, Vanderlinden 1996). Ces dŽtours anthropologiques sont trs importants pour comprendre les Ç jeux du Droit È dans des contextes non-occidentaux, o les fictions et constructions juridiques modernes continuent ˆ ne pas constituer une rŽalitŽ pour des pans entiers de la population et o il devient urgent Ç dĠinterculturaliser È les thŽories du Droit occidentales (Eberhard 2001).

Initialement, la dynamique des Ç Žclairages interculturels et anthropologiques de la pyramide et du rŽseau È pouvait faire penser ˆ un Ç dŽtournement de problŽmatique È. Si la transition paradigmatique proposŽe par Franois Ost et par Michel van de Kerchove se rapporte ˆ un changement de nos perceptions face au systme juridique qui, de pyramidal, sĠouvrirait ˆ des formes plus rŽticulaires, pour les anthropologues du Droit, pyramide et rŽseau renvoient ˆ deux points de vue diffŽrents sur le phŽnomne juridique. La pyramide reflte plut™t la perspective du droit officiel, celle du rŽseau plut™t celle des acteurs. Pour lĠanthropologue, le rŽseau est une rŽalitŽ consubstantielle ˆ sa dŽmarche, autant que lĠest le pluralisme juridique qui contraste avec les approches plus monistes des Ç juristes purs È. En effet, ds lors que lĠon aborde les situations ˆ partir des acteurs sociaux, on se trouve inŽvitablement confrontŽ au pluralisme de leurs inscriptions sociales et ˆ la diversitŽ de leurs rŽseaux dĠappartenance. La question du Ç droit de la pyramide au rŽseau È se trouva donc initialement reformulŽe : comment repenser le Droit ˆ partir des pratiques des acteurs et des rŽseaux dans lesquels ils sĠinscrivent, et ceci surtout, mais pas exclusivement, dans des contextes non-occidentaux ? Comment repenser diffŽremment les questions de la rŽalisation de lĠƒtat de Droit ? Dans certains contextes, ne serait-il pas important de commencer ˆ rŽflŽchir, plut™t quĠen termes Ç dĠƒtat de Droit È, ˆ une rŽalisation Ç dĠŽtats de Droit È (Le Roy 1999 : 264) entendus comme situations sŽcurisŽes b‰ties sur les ressources locales (intellectuelles, matŽrielles et humaines), en articulation avec les ressources modernes de lĠƒtat de Droit ? Quelles en seraient les consŽquences sur nos thŽories de lĠƒtat de Droit ? Faudra-t-il le repenser de faon plus rŽticulaire ?

Tous ces questionnements renvoient ˆ une interrogation fondamentale de thŽorie gŽnŽrale du Droit : quelle forme pour un ƒtat de Droit contemporain, dans des contextes de plus en plus explicitement interculturels, o lĠun des enjeux majeurs est dĠtre en prise avec les pratiques, les reprŽsentations et les besoins des citoyens ? La remise en perspective interculturelle du Droit dans le cadre de notre dynamique a apportŽ quelques Žclairages sur cette rŽflexion, parfois de manire un peu indirecte. De nombreuses contributions ont permis une relecture du Droit pyramidal par la prise de conscience de lĠexistence des rŽseaux dĠacteurs sociaux. Ce sont lˆ les premiers jalons qui pourront permettre, dans des travaux ultŽrieurs, de tirer des conclusions thŽoriques plus vastes quant ˆ lĠimplication sur la forme des systmes juridiques modernes. Les auteurs ont dŽveloppŽ des analyses des Ç rŽseaux È dans, ˆ c™tŽ, en opposition ou en complŽmentaritŽ avec la ou les pyramides, dŽgageant ainsi les voies pour aborder le rŽseau comme paradigme gŽnŽral pour une nouvelle reprŽsentation des divers Ç systmes juridiques È analysŽs ˆ partir d'une perspective anthropologique et interculturelle[2]. Peu dĠauteurs se sont frontalement aventurŽs dans la dŽfinition de ce nouveau paradigme, la plupart prŽfŽrant pour lĠinstant rester ˆ Ç lĠombre de la pyramide È, un terrain plus connu et donc probablement plus rassurant. Il reste donc encore des pistes de recherche prometteuses ˆ poursuivre et dĠautres ˆ dŽfricher.

Ë travers la diversitŽ des contributions, la recherche collective sur les Žclairages interculturels et anthropologiques de la pyramide et du rŽseau a indŽniablement permis de rŽvŽler le caractre heuristique de cette problŽmatique. Tout d'abord, la proposition d'un nouveau paradigme pour lire nos droits, celui du rŽseau, a permis de dŽcentrer les perspectives habituelles et de reproblŽmatiser nos diverses approches, et ceci dans des domaines somme toute assez diffŽrents. Il faut souligner la richesse du concept de Ç rŽseau È. DĠautant plus qu'il ne va pas de soi qu'un paradigme proposŽ dans le cadre d'une thŽorie gŽnŽrale - mais nŽanmoins occidentale - du droit, en vue de remplacer le paradigme plus ancien de la pyramide, se rŽvle heuristique pour l'analyse de phŽnomnes juridiques qui se situent soit dans des contextes culturels diffŽrents (problŽmatique de l'interculturalitŽ), soit sont approchŽes par une dŽmarche scientifique diffŽrente, celle de l'anthropologie du Droit (ce qui pose les problmes de lĠinterdisciplinaritŽ et de lĠemprunt rŽciproque de concepts).

La pyramide ne semble plus pourvoir un modle explicatif satisfaisant pour dŽcrire et comprendre la rŽalitŽ juridique occidentale contemporaine. Mais quĠapporte un changement paradigmatique (au sens de Kuhn 1994) vers le rŽseau, visant ˆ rendre compte de l'Žmergence de l'enchevtrement de hiŽrarchies, de phŽnomnes de bouclage, de boucles Žtranges, de complexitŽ - qui est accentuŽe actuellement plus particulirement ˆ travers les processus de construction europŽenne -, de l'Žrosion constante de la loi, de la fragmentation croissante du rglement, de l'importance croissante des dŽcisions de justice dans la crŽation de droit et dĠune tendance de plus en plus affirmŽe ˆ l'autorŽgulation des personnes privŽes (voir Ost & van de Kerchove 2000 & 2002), quĠapporte-tĠil dans des contextes non-occidentaux ou par rapport ˆ des approches plus anthropologiques du Droit ? Parlons-nous bien de la mme chose lorsque nous parlons de Ç rŽseaux È et de Ç pyramides È dans ces divers contextes ? A priori, l'exportation partout dans le monde des modles juridiques occidentaux peut crŽer lĠillusion de lĠuniversalitŽ de la problŽmatique de la pyramide et du rŽseau. Or, si cette impression est justifiŽe dans une certaine mesure, de nombreuses contributions montrent que, s'il y a bien partout des Ç pyramides Žtatiques È, la pertinence de les repenser ˆ travers les lunettes du Ç rŽseau È est liŽe ˆ des facteurs diffŽrents de ceux qui ont pu tre dŽgagŽs dans le cadre europŽen : dĠabord le fait que, dans de nombreux contextes non-occidentaux, l'ƒtat est investi par divers rŽseaux de manire trs visible. Puis, l'ƒtat n'a souvent pas la position prŽdominante qu'il est supposŽ avoir : il ne surplombe pas un espace social homogne sur lequel il projetterait sa pyramide normative, mais doit partager sa revendication de lŽgitimitŽ avec d'autres lŽgitimitŽs locales concurrentes. Souvent il n'appara”t que comme l'un des multiples rŽseaux juridiques, ou des multiples pyramides dĠailleurs, d'une situation de pluralisme juridique.

Avant de passer ˆ une trs brve prŽsentation des textes, une petite remarque. Le lecteur juriste ou thŽoricien du Droit pourra tre un peu dŽstabilisŽ au premier abord par le souci poussŽ des anthropologues du Droit de systŽmatiquement faire la chasse ˆ lĠethnocentrisme et de sembler en voir partoutÉ et surtout dans toutes les constructions juridiques modernes ! Soyons clairs : il ne sĠagit pas de nier la pertinence des approches non anthropologiques du Droit et de soutenir que toutes les approches, mises ˆ part celles des anthropologues, seraient atteintes dĠune sorte dĠinfirmitŽ congŽnitale liŽe ˆ leur manque dĠouverture interculturelle. Le fait est plut™t que la problŽmatique centrale de lĠanthropologie du Droit est celle de lĠaltŽritŽ, qui engendre celle de la complexitŽ dans la comprŽhension de nos vies en sociŽtŽ. Les anthropologues sont donc tenus ˆ un devoir constant de vigilance et nĠarrtent pas de sĠapercevoir que des constructions qui pouvaient sembler interculturellement valables ˆ un certain moment se rŽvlent souvent biaisŽes plus tard ˆ la lumire de nouvelles connaissances et de lĠapprofondissement des problŽmatiques. La perpŽtuelle remise en question des outils conceptuels et des approches fait intrinsquement partie de la dŽmarche anthropologique. Le lecteur ne sĠŽtonnera donc pas de la retrouver ici, surtout que le droit moderne, qui fait partie de notre rŽflexion, nĠa pas pour vocation premire de rŽflŽchir ˆ lĠaltŽritŽ et quĠil appara”t donc nŽcessaire que lĠanthropologue du Droit apporte des Žclairages ˆ la problŽmatique du droit moderne confrontŽ ˆ lĠinterculturalitŽ et sa complexitŽ. Ainsi sera-t-il progressivement possible quĠanthropologues et thŽoriciens du Droit cheminent ensemble dans lĠŽlaboration de thŽories de plus en plus interculturelles du droit et du Droit.

LĠouvrage procde en cinq vagues. On aurait pu donner un titre ˆ chacune dĠentre elles. JĠai finalement prŽfŽrŽ ne pas les nommer mais simplement les distinguer pour ne pas briser leur continuitŽ. Elles sĠencha”nent logiquement et font pŽnŽtrer petit ˆ petit le lecteur dans une approche anthropologique du phŽnomne juridique ˆ travers une diversitŽ de points de vue et de problŽmatiques. Si cĠest la problŽmatique des pyramides et des rŽseaux qui donne cohŽrence ˆ lĠensemble, lĠouvrage constitue aussi une excellente introduction aux problŽmatiques et terrains de lĠanthropologie du Droit contemporaine. Nous laisserons au lecteur le plaisir de dŽcouvrir par lui-mme les contributions et leur cohŽrence entre elles et nous nous limiterons ˆ quelques mots introductifs pour lui suggŽrer des points de repre dans son cheminement.

Les trois premiers textes de Jacques Vanderlinden, de Gordon Woodman et dĠƒtienne Le Roy se situent ˆ un niveau plus thŽorique et permettent de prendre conscience de certains des enjeux ŽpistŽmologiques dĠune rŽflexion sur le Droit entre Ç pyramides È et Ç rŽseaux È. Dans cette optique, Jacques Vanderlinden fait plus particulirement le lien avec le pluralisme juridique, Gordon Woodman sĠinterroge sur le r™le des mŽtaphores dans toute construction de thŽorie du droit, et ƒtienne Le Roy pointe la difficultŽ de rŽflŽchir aux Ç rŽseaux È dĠune faon qui rŽponde aux exigences de la dŽmarche anthropologique.

Les deux textes suivants, de Nawel Gafsia et dĠEdwige Rude Antoine, sur lĠimbrication et la concurrence des pyramides et des rŽseaux dans le domaine du droit de la famille en Tunisie et au Vietnam, mettent en lumire de faon concrte lĠexistence dĠun pluralisme juridique entre pyramides et rŽseaux qui met en cause les visions classiques monistes du droit et de lĠƒtat.

Alain Rochegude, Caroline Planon et Moustapha Diop nous invitent, ˆ travers des dŽtours par diffŽrents terrains africains, ˆ prendre conscience du r™le du politique dans la production et dans lĠapplication du droit, ainsi que du r™le des Ç sociŽtŽs civiles È et de lĠimportance de leur prise en compte pour toute rŽflexion sur la rŽalisation de vŽritables ƒtats de Droit au sens fort, cĠest-ˆ-dire qui, outre quĠils rŽpondent aux exigences de lĠexistence de rgles gŽnŽrales et impersonnelles auxquelles doit aussi se soumettre lĠautoritŽ instituante (lĠƒtat), rencontrent Žgalement lĠexigence fondamentale que ces rgles et procŽdures correspondent aussi ˆ lĠethos partagŽ par le plus grand nombre (voir dans ce sens Eberhard 2002b : 214-222 & Le Roy 1999 : 263-268).

Cette dernire exigence permet de faire la transition avec les contributions de Jean-Claude Mas, dĠAkuavi Adonon et de Sandrine Revet, relatives aux Ç pratiques alternatives du droit È, qui, pour les deux dernires, nous emmnent en AmŽrique du Sud, Ç terreau des pratiques alternatives du droit È. Ces contributions soulignent que lĠƒtat nĠa pas le monopole du juridique et que les acteurs sociaux nĠhŽsitent pas ˆ fonctionner ˆ lĠombre, voire ˆ c™tŽ de la pyramide Žtatique, si ceci leur convient ou leur semble nŽcessaire. Et parfois ces pratiques alternatives sont mme porteuses de projets de sociŽtŽ Žmancipateurs qui ont vocation ˆ mettre en cause explicitement le modle Žtatique et ˆ obliger ˆ le repenser.

Mais les pratiques Ç alternatives È du droit, la remise en question de la Ç pyramide È et lĠŽmergence de Ç rŽseaux È nĠont pas uniquement leur pertinence ˆ des niveaux locaux. CĠest ce que dŽmontrent les articles de Sara Liwerant et dĠAlain Bissonnette qui nous invitent ˆ une rŽflexion au niveau international, pour Sara Liwerant en ce qui concerne le droit international et plus particulirement la construction dĠune justice pŽnale internationale, pour Alain Bissonnette en ce qui concerne la coopŽration juridique internationale et plus particulirement, dans le cas ŽtudiŽ, entre le Canada et la Chine.

Enfin, peut-tre se cache-t-il Ç autre chose È derrire lĠŽmergence dĠune rŽflexion sur le droit de la pyramide au rŽseau. CĠest ce vers quoi pointent les deux dernires contributions de Carole Youns et de Christoph Eberhard. Carole Youns se demande si le passage de la pyramide au rŽseau ne camouflerait pas lĠenracinement dans un nouveau mythe Žmergent, celui du pluralisme (voir dans ce sens aussi Vachon 1997). Et Christoph Eberhard conclut la rŽflexion en faisant un dŽtour par des visions amŽrindienne et tibŽtaine du Droit, qui ouvre la voie ˆ de nouvelles pistes de rŽflexion[3] : au-delˆ de la pyramide et du rŽseau, ne serait-il pas temps de sĠouvrir ˆ une autre figure, centrale pour de nombreuses cultures dans leur conception du monde et de son maintien : le cercle ?

 

 

 

Bibliographie 

 

EBERHARD Christoph, 2001, Ç Towards an Intercultural Legal Theory - The Dialogical Challenge È, in Social & Legal Studies. An International Journal, nĦ 10 (2), p 171- 201

EBERHARD Christoph, 2002a, Droits de lĠhomme et dialogue interculturel, France, ƒditions des ƒcrivains

EBERHARD Christoph, 2002b, Ç Vers une nouvelle approche du Droit ˆ travers ses pratiques. Quelques implications des approches alternatives È, in Revue Interdisciplinaire dĠƒtudes Juridiques, nĦ 48, p 205-232

EBERHARD Christoph & NDONGO Aboubakri, 2001, Ç Relire Amadou HampatŽ B‰ pour une approche africaine du Droit. Images rŽflŽchies de la ÔpyramideĠ et du ÔrŽseauĠ È, in Revue Interdisciplinaire dĠƒtudes Juridiques, nĦ 47, p 73-113

KUHN Thomas S., 1994 (1970, seconde Ždition Žlargie), La structure des rŽvolutions scientifiques, Manchecourt, Flammarion, Col. Champs, 284 p

LE ROY ƒtienne, 1999, Le jeu des lois. Une anthropologie Ç dynamique È du Droit, France, LGDJ, Col. Droit et SociŽtŽ, SŽrie anthropologique, 415 p

LE ROY ƒtienne & Jacqueline (Žds.), 2000, Un passeur entre les mondes. Le livre des Anthropologues du Droit disciples et amis du Recteur Michel Alliot, France, Publications de la Sorbonne, 357 p

OST Franois, van de KERCHOVE Michel, 1987, Jalons pour une thŽorie critique du droit, Bruxelles, Publications des FacultŽs universitaires Saint-Louis, Col. Travaux et Recherches, 602 p

OST Franois, van de KERCHOVE Michel, 2000, Ç De la pyramide au rŽseau ? Vers un nouveau mode de production du droit ? È, in Revue Interdisciplinaire dĠƒtudes Juridiques, nĦ 44, p 1-82

OST Franois, van de KERCHOVE Michel, 2002, De la pyramide au rŽseau ? Pour une thŽorie dialectique du droit, Bruxelles, FacultŽs Universitaires Saint Louis, 596 p

ROULAND Norbert, 1988, Anthropologie juridique, France, PUF, Col. Droit fondamental Droit politique et thŽorique, 496 p

ROULAND Norbert, 1993, Aux confins du droit, Mayenne, Odile Jacob, 318 p

VACHON Robert, 1997, Ç Le mythe Žmergent du pluralisme et de lĠinterculturalisme de la rŽalitŽ È, ConfŽrence donnŽe au sŽminaire Pluralisme et SociŽtŽ, Discours alternatifs ˆ la culture dominante, organisŽ par lĠInstitut Interculturel de MontrŽal, le 15 FŽvrier 1997, 34 p. Consultable sur http://www.dhdi.org

VANDERLINDEN Jacques, 1996, Anthropologie Juridique, Dalloz, France, 123 p



á Collaborateur scientifique du Fonds National de la Recherche Scientifique (FNRS, Belgique), FacultŽs Universitaires Saint-Louis / Laboratoire dĠAnthropologie Juridique de Paris.

[1] Quand jĠŽcrirai ici Ç Droit È avec un grand Ç D È, cĠest pour faire rŽfŽrence au phŽnomne juridique quĠessayent dĠŽlucider les anthropologues et qui ne se rŽsume pas au droit comme droit Žtatique ou comme normes gŽnŽrales et impersonnelles.

[2] J'emploie ici le terme de Ç systme juridique È de manire Žtendue et, au fond, pas entirement satisfaisante. Plut™t que de faire allusion au systme de normes juridiques compris au sens positiviste, je pense en effet au Ç systme de juridicitŽ È ou plut™t au Ç processus de juridicitŽ È ou Ç jeu de juridicitŽ È (voir Le Roy 1999) dans un espace donnŽ. Cet emploi dŽcoule de mon positionnement comme anthropologue qui essaie de penser le Droit non pas uniquement ˆ partir du droit (au sens positiviste) mais ˆ partir de la totalitŽ sociale (Le Roy 1999 : 178-179).

[3] Pour un autre dŽcentrement culturel, africain, par rapport ˆ la problŽmatique de la pyramide et du rŽseau, voir aussi Eberhard & Ndongo 2001.