6ime Symposium CRƒQC

La Justice ˆ lՎpreuve de la diversitŽ culturelle

Session : Droits autochtones et traditions juridiques

UniversitŽ du QuŽbec ˆ MontrŽal

Le vendredi 10 fŽvrier 2006

 

Un regard dÕanthropologue sur le dialogue entre les traditions juridiques notamment en matire de rapports au territoire

 

par

 

Alain Bissonnette[1]

 

En abordant le thme du dialogue entre les traditions juridiques, il est certainement utile et mme nŽcessaire de rappeler certaines des analyses de la Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA).  CrŽŽe en 1991 par le gouvernement fŽdŽral du Canada, la Commission avait pour mandat dÕanalyser lՎvolution de la relation entre les autochtones (Indiens, Inuit et MŽtis), le gouvernement et lÕensemble de la sociŽtŽ canadienne et de proposer des solutions aux problmes qui ont entravŽ ces relations et avec lesquels les autochtones sont aux prises aujourdÕhui (CRPA 1996, vol. 1 : 2 et 767-770). IntŽgrant ˆ sa dŽmarche les rŽcits fondateurs des peuples autochtones, leur histoire caractŽrisŽe par quatre Žtapes, soit dÕabord la rencontre de deux mondes, le monde autochtone et le monde colonial demeurant plus ou moins Žtanche lÕun envers lÕautre, ensuite une pŽriode dÕinteraction et de coopŽration se terminant dans la premire moitiŽ du XIX sicle pour tre remplacŽe par une pŽriode de dŽracinement et de tentative dÕassimilation et, enfin, la pŽriode actuelle caractŽrisŽe par la nŽgociation et le renouveau, la Commission a tirŽ comme conclusion de ses travaux la nŽcessitŽ du rŽtablissement de la relation de coopŽration caractŽristique des premiers contacts entre autochtones et non-autochtones (Ibid. : 3). Au moment o ses recommandations sont encore loin dՐtre intŽgralement mises en Ļuvre, son plaidoyer demeure toujours aussi percutant :

 

Ē Nous sommes fermement convaincus que le moment est venu de mettre fin ˆ la contradiction criante qui rŽsulte du fait que nous nous faisons les dŽfenseurs des droits de la personne sur la scne internationale tout en bafouant nos propres peuples autochtones par lÕattitude colonialiste et condescendante que nous avons encore ˆ leur Žgard.  CÕest pourquoi les changements que nous proposons partent dÕun dŽsir de redonner aux nations autochtones une place dÕhonneur dans notre histoire commune et de reconna”tre leur apport ˆ la vie canadienne. (É)

 

Pour permettre aux autochtones de participer pleinement ˆ lÕenrichissement du bien commun, il faut leur donner les moyens dÕexprimer leur vision distincte du monde et dÕappliquer leurs connaissances traditionnelles.  JusquՈ prŽsent, ces moyens ont ŽtŽ en grande partie refusŽs par les institutions canadiennes, ce qui a compromis la bonne entente interculturelle et empchŽ plusieurs gŽnŽrations de Canadiens dÕavoir accs ˆ des ressources culturelles qui font partie de notre patrimoine commun. (É)

 

[N]ous ne nous contentons pas de rŽclamer un traitement plus Žquitable pour les autochtones.  Nous rŽclamons Žgalement une justice rŽparatrice qui consisterait ˆ leur rŽtrocŽder tout ce qui leur a ŽtŽ injustement ™tŽ : le pouvoir de gŽrer leurs propres affaires, la ma”trise des terres et des ressources essentielles ˆ la subsistance des familles et des collectivitŽs; le contr™le sur lՎducation, la protection de lÕenfance et les services communautaires.  Nous souhaitons en outre des mesures pour Žliminer les disparitŽs relatives ˆ lÕinfrastructure Žconomique et au bien-tre individuel et collectif qui dŽcoulent du traitement inŽquitable que les autochtones ont subi par le passŽ. (É)

 

Tant que les Canadiens nÕauront pas appris ˆ conna”tre lÕhistoire du Canada telle que la connaissent les autochtones, les blessures subies par ces derniers continueront de sÕenvenimer, exacerbŽes par un sentiment de honte et dÕimpuissance devant leur propre vulnŽrabilitŽ.  La violation des engagements solennels contenus dans les traitŽs, la cruautŽ des pensionnats, les collectivitŽs entires qui ont ŽtŽ dŽracinŽes, les anciens combattants autochtones qui ont vu leurs droits dŽniŽs aprs les deux guerres mondiales, sans compter les grandes injustices et les petites bassesses auxquelles a donnŽ lieu lÕadministration de la Loi sur les Indiens Š tout cela ne symbolise que trop bien lÕiniquitŽ ˆ laquelle les autochtones sont inlassablement confrontŽs.

 

La Commission est convaincue quÕil est indispensable de panser les blessures du passŽ avant de songer ˆ une rŽconciliation entre autochtones et non-autochtones.  (É)  ƒtant donnŽ que la pacification passe selon nous par une restauration de la confiance, les recommandations que nous faisons en vue dÕune relation nouvelle ou renouvelŽe, scellŽe par une proclamation royale, comprennent une reconnaissance des prŽjudices infligŽs aux autochtones dans le passŽ. Č (Ibid. : 5-8)

 

Par ma prŽsentation aujourdÕhui, jÕaimerais dÕabord approcher dÕun point de vue anthropologique les traditions juridiques (1) pour, ensuite, souligner certaines caractŽristiques de ce quÕon peut dŽsigner comme les traditions juridiques des peuples autochtones (2) et, enfin, proposer un dialogue se fondant sur le pluralisme des mondes et des logiques en prŽsence (3).

 


1. Les traditions juridiques selon une approche anthropologique

 

Pour qui sÕintŽresse ˆ la diversitŽ culturelle, il convient dՎviter le dŽfaut de certains juristes qui prennent leur propre systme pour rŽfŽrent et ainsi ramnent lÕobservation de lÕautre ˆ des critres qui sont valides dans leur propre culture mais qui nÕoffrent aucune garantie de gŽnŽralitŽ et dÕuniversalitŽ. Le recours au modle ŽlaborŽ par ƒtienne Le Roy dans son Jeu des lois permet de prendre en compte les divers sites culturels (dia/topoi) et de proposer une explication qui contienne et traduise toutes les logiques qui y sont ˆ lÕĻuvre (dia/logoi) (Le Roy 1999 : 33). Le mot Droit chez ƒtienne Le Roy est entendu comme mystre de la reproduction des sociŽtŽs.  Dans ce cadre conceptuel, ce qui fait autoritŽ ne tient pas seulement ˆ la machinerie juridique et judiciaire, aux normes aux institutions ou aux sanctions, mais plut™t au fait que Ē ces productions normatives ou institutionnelles sont embo”tŽes dans un dispositif beaucoup plus complexe fait de mythes, de reprŽsentations et dÕimages, dispositif (ou modle) largement inconscient et qui relve pleinement dÕune lecture structurale.  Il faut en consŽquence analyser, dans toutes les sociŽtŽs, les relations qui existent entre les visions du monde, les conceptions de la crŽation quÕelles comprennent, la manire dÕorganiser la sociŽtŽ et le pouvoir et la conceptualisation du Droit. Č (Ibid. : 28)

 

Au dŽpart de la dŽmarche proposŽe par Le Roy, trois grands principes mŽtalogiques de penser lÕunivers sont associŽs ˆ lÕorganisation des sociŽtŽs humaines : lÕidentification, la diffŽrenciation, la soumission.  En vertu du principe de lÕidentification, le monde est infini dans le nombre (pluralitŽ des mondes) et dans le temps (il se fait et se dŽfait au cours de grands cycles cosmiques); il combine les contraires sans les laisser sÕexclure lÕun lÕautre (on ne peut penser le bien sans le mal, lÕesprit sans la matire, le rationnel sans le sensible, le yin sans le yang); son dynamisme nÕest limitŽ par aucune loi imposŽe de lÕextŽrieur : lÕunivers se gouverne spontanŽment.  Il doit en aller de mme de lÕindividu.  En vertu du principe de la diffŽrenciation, le monde y est le rŽsultat transitoire dÕune crŽation, que prŽcŽdait le chaos.  Celui-ci nՎtait pas le nŽant, mais contenait en puissance aussi bien la crŽation que le crŽateur. LÕunivers ainsi conu est fragile : lՐtre na”t de lÕinorganisŽ, les forces de lÕordre ne sont jamais assurŽes de lÕemporter sur celles du dŽsordre.  LÕhomme joue lˆ un r™le fondamental : par les rites et la divination, il collabore avec les forces de lÕinvisible pour faire triompher lÕordre.  Il est conu ˆ lÕimage de lÕunivers : puisque la crŽation nÕest pas lÕĻuvre dÕun instant ou de quelques jours, mais rŽside dans un processus continu de diffŽrenciation, lÕhomme ne peut se rŽduire ˆ lÕindividu, dont lÕexistence est trop ponctuelle.  Plus exactement, lÕindividu est simultanŽment porteur de ses anctres et de sa descendance.  CÕest donc par rapport au groupe que lÕindividu est dÕabord situŽ.  De mme, la structure sociale est le fruit dÕun processus de crŽation continu, qui a amenŽ les diffŽrents groupes ˆ se distinguer progressivement les uns des autres, et ˆ se concevoir comme complŽmentaires plut™t quÕopposŽs.  En vertu du principe de la soumission, Dieu prŽexiste ˆ sa crŽation et la rŽgit de lÕextŽrieur.  Il est celui qui Est avant dՐtre Celui qui crŽe, il aurait pu ne pas crŽer, ou crŽer autrement : lÕętre prime lÕAgir et lÕemporte sur la fonction.  LÕhomme est donc soumis ˆ un pouvoir et une loi qui lui sont extŽrieurs.  LÕOccident chrŽtien partage avec lÕIslam la rŽfŽrence ˆ une loi imposŽe au monde et aux hommes.  Mais sa pensŽe a ŽvoluŽ ˆ partir de cette base commune dans une toute autre direction, lÕautoritŽ extŽrieure qui fonde la loi aujourdÕhui Žtant lՃtat qui a pour mission de crŽer un monde meilleur et de transformer la sociŽtŽ par le droit (Rouland 1988 : 401-405).

 

Ė lÕarchŽtype de la diffŽrenciation est associŽe la notion de la pluralitŽ plut™t que celle de la dualitŽ associŽe au principe de lÕidentification et celle de lÕunitŽ associŽe ˆ celui de la soumission.  Le principe mŽtalogique de la diffŽrenciation postule que lÕunivers est issu du chaos et se prŽsente comme le rŽsultat de plusieurs tentatives successives.  Ici il nÕy a pas UN Dieu mais une instance fŽcondante et organisatrice qui est garante des Žquilibres multiples qui caractŽrisent la vie en sociŽtŽ.  La rŽgulation ne vient pas dÕune force extŽrieure de la sociŽtŽ, mais de lÕintŽrieur du groupe qui, par un effort de domestication de ses Žnergies (ou de sa violence), fait Žmerger un consensus minimal.  Dans cette conception de lÕunivers, tout est pensŽ en termes multiples, spŽcialisŽs et interdŽpendants, la multiplicitŽ reposant sur le principe archŽtypique de la diffŽrenciation progressive autorisant une spŽcialisation mais lÕinterdŽpendance affirmŽe induisant la recherche de la complŽmentaritŽ des diffŽrences. 

 

Non sans avoir rappelŽ que lÕopposition fondamentale ne se situe pas entre les peuples avec ou sans Žcriture, mais bien dans la faon de concevoir lÕorganisation du monde et dÕexpliquer la crŽation de la sociŽtŽ, le r™le du crŽateur et la place de lÕhomme dans la sociŽtŽ (Le Roy 1984 : 126), ƒtienne Le Roy a souvent donnŽ de ce principe mŽtalogique de penser lÕunivers des exemples tirŽs des sociŽtŽs africaines, mais il a aussi indiquŽ quÕen fait ce sont, de faon gŽnŽrale, les sociŽtŽs animistes et communautaires qui partagent cette vision du monde :

 

Ē La vision du monde que ces sociŽtŽs partagent est fondŽe sur l'idŽe que l'univers est construit sur la base d'une circulation d'Žnergies et o le principe vital, l'anima (d'o le terme animisme) est rŽgulŽ par le mouvement mme de ces Žnergies. Ce mouvement vise ˆ l'harmonie et ˆ l'Žquilibre de l'ensemble des facteurs par la recherche de leur interdŽpendance et de leur complŽmentaritŽ. C'est pourquoi l'univers, visible comme invisible, est toujours conu sur la base d'instances multiples, spŽcialisŽes et interdŽpendantes. C'est dans cette perspective que les AmŽrindiens conoivent la "bonne vie". L'harmonie n'est cependant pas le fruit d'une crŽation volontaire et assurŽe une fois pour toutes car les principes d'ordre et de dŽsordre se sont opposŽs avant de se conjuguer dans un Žquilibre toujours sous tension, ce qu'expriment tant les conceptions religieuses que l'organisation sociopolitique dominŽe par l'idŽal du communautarisme. Č  (Le Roy 1997 : 13-16)

 

 


2. RŽcits fondateurs et attachement au territoire

 

CÕest donc sans surprise quÕil est permis de retrouver ce principe de penser lÕunivers dans les rŽcits fondateurs des peuples autochtones du Canada, et notamment chez les Atikamekw et les Innus, nations faisant partie de la grande famille algonquienne. RŽmi Savard, qui a consacrŽ une bonne partie de sa carrire ˆ lÕenregistrement et ˆ lÕanalyse de ces rŽcits fondateurs, en rappelait rŽcemment lÕorigine et le but :

 

Ē Le narrateur qualifiait ces rŽcits dÕatanukan, dont on dit quÕils furent transmis aux gens par des personnes autres quÕhumaines, dans le cadre dÕun rituel [la tente agitŽe] (É). Ces rŽcits ont pour objectif de faire co•ncider lÕapparition de deux ordres de rŽalitŽ : dÕune part, lÕensemble des rgles permettant la reproduction de la sociŽtŽ dont les destinataires de cet acte de communication sont membres; dÕautre part, rien de moins que la totalitŽ du cosmos (alternance du jour et de la nuit, cycle saisonnier, vie et mort, variŽtŽ des espces animales et vŽgŽtales dont la n™tre, etc.). On comprendra quÕon est ici en prŽsence dÕune pŽdagogie avant tout locale, destinŽe ˆ donner un sens ˆ ce qui au dŽpart en est totalement dŽpourvu, soit la condition humaine. Č (Savard 2004 : 22)

 

Commentant le rŽcit du hŽros culturel dŽnommŽ Tshakapesh, Savard nous indique que sa performance se dŽroule en sept tableaux, les six premiers prenant la forme du scŽnario suivant : Ē menacŽ dՐtre avalŽ comme ses parents, le hŽros renverse la situation en transformant ses agresseurs soit en gibier, soit en partenaires au sein dÕun mode de production fondŽ sur la chasse et la pche.  Du mme coup, Tshakapesh contribue ˆ rŽduire la faune cannibale qui a jusque-lˆ fait obstacle ˆ lՎmergence de lÕespce humaine dont il est en quelque sorte lÕic™ne, tout en mettant en place les ŽlŽments essentiels du mode de vie des Innus ˆ lՎpoque classique de leur histoireČ (Ibid. : 43). Au septime tableau, le scŽnario sÕinverse, le hŽros utilisant la logique prŽcŽdente ˆ une Žchelle o elle ne convenait plus : Ē Si le hŽros avait toujours vaincu ceux et celles qui lÕavaient attaquŽ sans quÕil y ait eu la moindre provocation de sa part, le voilˆ maintenant en train de prŽparer la mort dÕun tre [le soleil] qui ne lui a jamais cherchŽ querelle Č (Ibid. : 52). Comprenant sa mŽprise, le hŽros finit par sÕassocier avec le soleil non sans avoir rompu lՎquilibre des forces et crŽant en consŽquence lÕalternance du jour et de la nuit :  Ē De hŽros fondateur dÕun mode de production reposant essentiellement sur la prŽdation, cÕest-ˆ-dire sur le fait de donner la mort, il sÕidentifie dŽsormais ˆ la source de lumire et de chaleur essentielle ˆ la rŽincarnation des gibiers morts et mme des Innus dŽfunts Č (Ibid. : 53).

 

Tout le livre de RŽmi Savard constitue une dŽmonstration de la vigueur de la pensŽe algonquienne o lÕon retrouve le principe de la diffŽrenciation, le monde y Žtant le rŽsultat transitoire dÕune crŽation, que prŽcŽdait le chaos.  Cet univers, on lÕa vu, est fragile : le hŽros culturel na”t de lÕinorganisŽ et sÕil collabore avec les forces de lÕinvisible pour faire triompher lÕordre, il reste que les forces de lÕordre ne sont jamais assurŽes de lÕemporter sur celles du dŽsordre.  En conclusion de son ouvrage, Savard dŽgage ce quÕil qualifie de portŽe normative des rŽcits quÕil a analysŽs :

 

Ē Axe du monde, arbre de vie, arbre du monde, colonne du monde.  Autant de facettes dÕune autre de ces ic™nes largement utilisŽes par lÕespce humaine pour Žviter de sombrer dans la dŽraison et promouvoir lÕensemble des rgles sans lesquelles aucune sociŽtŽ ne saurait subsister. Une telle portŽe normative des rŽcits touche ˆ tous les aspects du mode de vie avec lequel cette population a dž composer ˆ une certaine pŽriode de son histoire : rŽgime matrimonial, harmonisation des rapports entre les membres du groupe, rŽduction de toutes les formes de violence au sein des unitŽs familiales, rŽpartition des t‰ches de production, reproduction biologique et sociale, diversitŽ des techniques de chasse, respect des quotas, etc. Des rgles qui parfois sÕincarnent dans des rituels. Les rŽcits font, parfois par lÕabsurde, la dŽmonstration de la pertinence caractŽrisant certaines de ces rgles. CÕest le cas des deux derniers, relatant le sort rŽservŽ ˆ la dŽlinquance (Aiasheu et Tsheshei). On aura remarquŽ quÕil y est toujours question de jeunes en difficultŽs, le plus menacŽ Žtant Žvidemment Tshakapesh, qui faillit ne pas se rendre ˆ terme. LÕenfant couvert de poux, quant ˆ lui, avait ŽtŽ abandonnŽ par des parents inconscients, tandis quÕAiashesh Žchappa de justesse ˆ une tentative de meurtre mise au point par son pre, aprs avoir ŽtŽ victime de harclement sexuel de la part de la seconde Žpouse de ce dernier. Quant ˆ la fille trompŽe par son grand-pre incestueux, elle fut littŽralement entra”nŽe par lui dans la mort. Une autre faon dՎnoncer la rgle ˆ laquelle nՎchappe aucune sociŽtŽ : sans les enfants, point dÕavenir.  Et quand lÕavenir sÕestompe, les enfants se volatilisent. Č (Ibid. : 169)

 

Nous sommes bien ici devant une tradition juridique au sens o lÕentend Le Roy, soit de volontŽ de reproduction de la sociŽtŽ ˆ partir dÕune conception particulire de la crŽation du monde. 

 

LÕapproche proposŽe par ƒtienne Le Roy qui exige de situer les reprŽsentations et les pratiques au sein des principes de crŽation du monde auxquels elles appartiennent, correspond aux enseignements du structuralisme, mais elle demande Žgalement ˆ prendre en compte le caractre dynamique des processus dans lesquels les sociŽtŽs sont engagŽes aujourdÕhui (Le Roy 1999 : 24-33).  Dans la mme veine, me semble-t-il, RŽmi Savard a, pour sa part, proposŽ de prendre au sŽrieux les rŽcits fondateurs des peuples autochtones et de construire avec eux des rapports de solidaritŽ fondŽs sur le statut, commun aux deux parties, de sujets historiques trs concrtement inscrits dans les enjeux dÕaujourdÕhui :

 

Ē On peut aussi se demander si ce ne serait pas le refus des anthropologues dÕassumer pleinement leur statut de sujets historiques impliquŽs dans le chassŽ-croisŽ constant entre leurs propres sociŽtŽs et celles de leurs informateurs, qui entra”ne la nŽgation dÕun tel statut aux hommes et aux femmes des sociŽtŽs dont ils rŽclament dՐtre vus comme les spŽcialistes ?  Ne serait-ce pas ce qui les a finalement confinŽs dans une position de rŽceptivitŽ minimale ?  LÕimaginaire de ces voisins, avec toute sa pertinente subversivitŽ, nous demeurera systŽmatiquement inaccessible si nous persistons ˆ lÕimmerger dÕabord dans le formol de nos grilles aseptisantes, pour Žviter quÕil ne trouble lՎtat dÕhypnose dans lequel nos ƒtats ont rŽussi ˆ plonger bon nombre dÕentre nous. DŽmythologiser Tshakapesh, cÕest dÕabord prendre acte du fait quÕil relve dÕun discours dont on avait grand besoin de nous dissimuler la pertinence.  CÕest aussi accepter dՐtre lÕobjet du regard de ces hommes et de ces femmes que la raison dՃtat nous avait finalement contraint ˆ dŽfinir comme les tŽmoins passifs de plus en plus rares dÕun passŽ rŽvolu, que nos gouvernements tiennent encore dans une tutelle dÕacier, que nos forces de lÕordre humilient, frappent et tuent impunŽment ˆ lÕoccasion, que plusieurs dÕentre nous persistent ˆ voir, selon les circonstances, soit comme dÕamusantes survivances du passŽ, soit comme de dŽrisoires dŽchets de lÕHistoire.  DŽmythologiser Tshakapesh, cÕest enfin cesser de souscrire, comme ˆ un axiome, ˆ lÕextinction prochaine de ces peuples. Č (Savard 1985 : 77-78)

 

La pŽriode que la Commission royale sur les peuples autochtones a caractŽrisŽe comme en Žtant une de dŽracinement et de tentative dÕassimilation et que des chercheurs ont pu qualifier dÕusurpation de la souverainetŽ autochtone (Morin 1997), nÕa pourtant pas rŽussi ˆ faire taire lÕimaginaire de ces peuples, ni ˆ dŽtruire leur rŽsistance. 

 

Pour RŽmi Savard, le simple fait que ses informateurs lui racontait en 1970 le rŽcit de Tshakapesh constitue en soi Ē une solennelle affirmation de souverainetŽ, puisque cÕest une rŽactivation de la source mme des rgles et des pratiques ayant permis au groupe de se reproduire dans un environnement colonial qui rve depuis longtemps de le voir dispara”tre. Č (Savard 2004 : 173) 

 

Pour leur part, JosŽ Mailhot et Sylvie Vincent, dans le cadre de leur Žtude de 1980 sur le discours ˆ lՎgard du territoire, ont procŽdŽ ˆ une analyse sŽmantique[2] leur permettant de dŽcouvrir que deux verbes innus, tipenitam et kanauenitam, sont particulirement porteurs, au plan conceptuel, du lien entre la personne et la terre ou le territoire chez les Innus. Le premier de ces verbes Š tipenitam Š peut tre traduit en franais selon les contextes, par les expressions suivantes : gŽrer; administrer, tre responsable de; avoir du pouvoir sur; contr™ler; diriger; tre le ma”tre ou le patron de.  CÕest ce verbe qui, en innu, est ˆ la fois utilisŽ pour rŽfŽrer ˆ la relation dÕun individu avec divers biens (quÕil sÕagisse de sa maison, de sa voiture, de son argent, etc.) et qui est utilisŽ, Žgalement, pour rŽfŽrer au lien juridique qui existe entre les Innus et leurs terres.  Bref, la terre nÕy est la propriŽtŽ de personne, mais chacune de ces rŽgions y est sous le contr™le dÕun individu ou dÕun groupe dÕindividus.  Et, selon la tradition innue, ˆ chaque peuple est attribuŽ un territoire particulier. Quant au verbe kanauenitam, il peut tre traduit en franais par les expressions suivantes : sÕoccuper de; veiller sur; prendre soin de; avoir la garde de; garder; conseiller.  CÕest ce verbe qui, en innu, est ˆ la fois utilisŽ pour Žvoquer lÕidŽe de Ē possession Č et qui est utilisŽ pour caractŽriser la relation quotidienne que les Innus disent avoir avec leurs terres.  Bref, chez les Innus, lorsquÕon exerce un titre sur un territoire, lorsquÕune chose est possŽdŽe par quelquÕun, on en prend soin, on veille sur elle, on sÕen prŽoccupe comme une personne qui en a la garde. 

 

Ė cette analyse sŽmantique, JosŽ Mailhot et Sylvie Vincent ont ajoutŽ une analyse de la tradition orale afin de dŽterminer dÕo les Innus disent dŽtenir leur titre sur le territoire et en quoi consiste ce titre.  Leurs conclusions sont ˆ lÕeffet que les Innus justifient leur titre sur le territoire par des liens historiques, Žconomiques, culturels et affectifs qui les rattachent ˆ ces terres et ils soulignent avec force quÕils nÕont jamais renoncŽ, de quelque faon que ce soit, ˆ ces liens qui leur donnent un titre sur le territoire.  Ils affirment Žgalement que leur titre sur le territoire leur donnent le droit de continuer ˆ exercer sur leurs terres le type de pouvoir et de gardiennage identifiŽ plus haut (Mailhot et Vincent 1980 et 1982). 

 

Les analyses de JosŽ Mailhot et Sylvie Vincent ont ŽtŽ saluŽes par plusieurs chercheurs (Bissonnette 1992; Lacasse 2004; Savard 2004 : 173; Webber 1994 : 238).  Et, ˆ mon avis, elles ont appuyŽ la volontŽ des Innus de voir leur tradition juridique reconnue et mise en Ļuvre aujourdÕhui.  Devant la Commission royale sur les peuples autochtones, aux tables de nŽgociation des revendications territoriales globales et sur la scne internationale, notamment au sein du Groupe de travail sur les peuples autochtones, des reprŽsentants innus ont rŽaffirmŽ lÕexistence du Innu tipenitamun au sein de leur territoire[3].

 

En analysant les entrevues que mÕont rŽcemment accordŽes des personnes vivant au sein de quatre communautŽs autochtones (Ekuanitshit, Manawan, Nutashkuan et Pessamit), Guy Rocher, Karine Gentelet et moi-mme nÕavons pas pu dŽgager ˆ proprement parler une dŽfinition stricto sensu des droits ancestraux.  Ce que lÕon a entendu, cÕest en rŽalitŽ un discours.  Un discours qui a une connotation que lÕon peut appeler Žpique en ce sens quÕil se rapporte aux faits et gestes dÕanctres prŽsentŽs gŽnŽralement comme les hŽros dÕun rŽcit.  Ces hŽros servent ˆ lÕinterlocuteur de rŽfŽrent pour dire ce que lÕon veut perpŽtuer et de mesure envers ce que lÕon croit ou espre pouvoir perpŽtuer.  Ce discours en forme de rŽcit a un cĻur, un noyau central auquel tout est rapportŽ : cÕest le territoire, gŽnŽralement dit au singulier, mais parfois aussi employŽ au pluriel (Bissonnette, Gentelet et Rocher 2005 : 140). Ce territoire nÕest jamais gŽographiquement dŽlimitŽ par des frontires prŽcises. Le rapport envers ce territoire nÕest pas celui dÕun propriŽtaire, mais plut™t celui dÕune relation ˆ maintenir par diverses pratiques sur des Žtendues de terre et dÕeau, o le sentiment de libertŽ est magnifiŽ (Ibid. : 141-142). Dans cette perspective, ce quÕon appelle, dans la tradition juridique canadienne, les Ē droits ancestraux Č sont, dans le discours de nombreux interlocuteurs, liŽs aux ressources vitales que le territoire a toujours offertes et continue partiellement dÕoffrir aux communautŽs (Ibid. : 143). ƒtendant encore plus loin lÕhorizon et la profondeur de la conception des droits ancestraux ou du rapport au territoire, les personnes interviewŽes indiquent quÕils sont ˆ la source de la vie, non seulement physique mais affective et spirituelle, et non seulement individuelle mais collective, source donc de la vie commune, sociale et politique de la communautŽ.  DÕo le caractre sacrŽ attachŽ ˆ ces droits, ŽvoquŽ par plusieurs interlocuteurs (Ibid. : 143-144).

 

CÕest en dŽfinitive cette conception ˆ la fois Žconomique, sociale, culturelle, spirituelle et cosmologique des droits ancestraux liŽs ˆ la fois au territoire et au passŽ, ˆ lÕespace vital et au temps ancestral, qui est lÕaxe central du discours des personnes que nous avons interviewŽes au sein de ces quatre communautŽs.  Il sÕagit donc dÕune conception qui est globale, holistique, en rapport premier avec la prŽsence immŽmoriale des anctres sur lÕensemble du territoire, dans lÕaffirmation de leur culture, de leur langue et de leur bien-tre.  Et si le guide dÕentrevue nÕabordait pas systŽmatiquement toute la question de la transmission des rŽcits fondateurs, et le faisait sans pouvoir se placer dans une situation dՎnonciation rŽelle de ces rŽcits par leurs principaux protagonistes, il reste que les personnes interviewŽes y ont fait rŽfŽrence, non sans toutefois sÕinquiŽter du fait quÕaujourdÕhui au sein des maisons, en contexte de sŽdentarisation, il est plus difficile de transmettre cet hŽritage (06.06.2004.061.F71 : 9[4]).  LÕune des personnes interviewŽes associe le terme NaorŽzio, qui est utilisŽ pour se dŽsigner traditionnellement chez les Atikamekw, ˆ la notion de santŽ et ˆ la notion dÕautodŽtermination :

 

Ē NaorŽzio, vient du mot : la personne elle-mme, cÕest la personne qui est comme en symbiose, sa dŽsignation est plus spirituelle. CÕest un individu qui est capable au niveau de lui-mme avec son environnement, avec son c™tŽ physique, avec son c™tŽ mental, tout est bon de chaque c™tŽ, quand on parle dÕune approche holistique, a concerne a. Ė mesure quÕil y a un c™tŽ qui manque, qui a un dŽsŽquilibre, lˆ le mot NaorŽzio ne peut pas tre utilisŽ. CÕest un peu de la faon dont on voit les choses. CÕest pour a quÕon se dŽsigne comme a. ‚a vaut autant pour celui qui parle lÕIndien, sa langue, cÕest trs important, cÕest une question mentale. Si on parle dÕun autre qui a gardŽ les costumes par exemple, cÕest plus matŽriel. LÕAtikamekw, lui, je pense, il a perdu ses vtements, il a perdu des choses beaucoup plus matŽrielles, malgrŽ quÕil a perdu certaines choses qui relvent du mental. Mais si on parle de lÕintelligence, du mental, sÕil parle sa langue, a cÕest important pour nous. Et il se dŽsigne comme a : NaorŽzio. CÕest comme un tre qui envers lui-mme, envers les autres, envers lÕenvironnement, cÕest quelquÕun qui essaie de composer avec tout ce qui survient dans sa vie. (É) On a essayŽ de le dŽfinir dans un mot, on nÕa pas ŽtŽ capable de le trouver.  Tant™t jÕai parlŽ de symbioseÉ Il est ˆ lÕaise, il est adroit, cÕest un gars capable, cÕest un gars qui conna”t a.  CÕest quelquÕun qui conna”t, qui peut composer avec nÕimporte quoi. On a essayŽ de le dŽsigner dans un mot, mais dans la langue franaise, que je comprends un petit peu, moi jÕai pas trouvŽ une faon de le dŽcrire, mais on se dŽsigne comme a, on sÕest dŽsignŽ comme a depuisÉ(É) CÕest quelquÕun qui est capable de se dŽbrouiller dans le bois, autant faire la chasse, que faire la cuisine, queÉ CÕest quelquÕun qui serait capable de tout a, lui, il est comme a. On lÕappelle comme a : NaorŽzio, autant pour la chasse, autant pour fabriquer des choses, faire la cuisine, guŽrir, je sais pas, soigner quelquÕun ou lui-mme se soigner, cÕest quelquÕun de capable. Č (26.08.2002.001.H52 : 10-12) Ē Quand tant™t je te parlais de lÕindividu, la personne, lÕAtikamekw, comment lui il se dŽsigne, le mot, le sens de lÕautodŽtermination est compris lˆ-dedans.  CÕest comme a, a ne peut pas tre autrement. Sinon, il ne sÕappellerait pas comme a, il ne se dŽsignerait pas comme a. NaorŽzio, cÕest un bien grand mot. Tant™t on a essayŽ de le cerner. LÕautodŽtermination, cÕest compris, cÕest intrinsque dans cette dŽsignation-lˆ.  ‚a veut dire : libre, responsable. CÕest trs ˆ propos dÕaccoler ce mot-lˆ, NaorŽzio, avec le mot autodŽtermination. Č (Ibid. : 17) (Bissonnette, Gentelet et Rocher 2005 : 147)

 

Bref, les tŽmoignages des personnes interviewŽes dans le cadre de notre enqute demeurent bel et bien dans la logique des rŽcits fondateurs et des conceptions atikamekw et innues ˆ lՎgard du territoire. 

 

 

3. Pour un dialogue se fondant sur le pluralisme des mondes et des logiques en prŽsence

 

Bien quÕayant conclu ˆ la persistance des rŽcits fondateurs et ˆ la vision du monde propre aux peuples autochtones, notamment par rapport ˆ la terre conue comme un ŽlŽment essentiel de leur identitŽ collective, profondŽment enracinŽ dans leurs valeurs morales et spirituelles (CRPA  1996, vol. 2 (2ime partie) : 474)[5], la Commission royale sur les peuples autochtones nÕa pas pour autant nŽgligŽ de discuter des difficultŽs rencontrŽes lorsque lÕon cherche ˆ en actualiser la reconnaissance au sein de lÕensemble de la sociŽtŽ canadienne.  Il y a dÕabord des difficultŽs liŽes ˆ une forme dÕignorance :

 

Ē Quand les autochtones parlent de retour ˆ leurs traditions, les non-autochtones sont souvent incrŽdules parce quÕils associent la culture des Premires nations, des Inuit et des MŽtis aux peaux de daim, aux igloos et aux bisons. Trs peu savent quՐtre autochtone, cÕest un Žtat dÕesprit, et que les rŽcits montrant aux autochtones comment vivre ensemble et avec la crŽation Š cÕest-ˆ-dire comment rŽaliser pleinement leur nature humaine Š sont chargŽs de symboles qui transcendent le temps et les circonstances dans lesquelles ils ont ŽtŽ inventŽs. Č (CRPA 1996, vol. 1 : 728).

 

Il y a aussi des difficultŽs vŽcues au sein des groupes autochtones eux-mmes : Ē Mme certains autochtones ont du mal ˆ comprendre le symbolisme des enseignements de leur culture. (É) Ė lÕheure actuelle, bon nombre dÕobstacles empchent les autochtones du Canada de retrouver la sagesse de leurs anctres et de reprendre leurs modes de vie traditionnels, notamment lÕinterruption des relations et des communications qui a rŽsultŽ de la perturbation des liens familiaux et de la perte de la langue.Č (Ibid. : 728-729)

 

DÕautres difficultŽs sont liŽes au choc de deux visions fondamentales de la relation entre les autochtones et les autres Canadiens:

 

Ē Les gouvernements et la sociŽtŽ en gŽnŽral voient, dans ce que les autochtones considrent comme leurs territoires traditionnels, de simples terres de la Couronne ou terres publiques.  LÕidŽologie qui a prŽdominŽ pendant plus dÕun sicle et qui a faonnŽ la situation actuelle (particulirement au sud du 60 parallle) consistait ˆ confiner les autochtones dans des rŽserves et ˆ assumer le contr™le du reste du territoire.  En vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, les provinces ont ŽtŽ les principales bŽnŽficiaires de ce mode de rŽpartition du territoire.  Cette idŽologie nÕa pas fonctionnŽ et elle ne peut pas fonctionner.  Les principes autochtones du partage et de la coexistence nous proposent un nouveau point de dŽpart et cÕest dans cet esprit que les Canadiens ont maintenant lÕoccasion de se pencher sur la question territoriale. Č (CRPA 1996, vol. 2 (2ime partie) : 471)

 

Lorsque les reprŽsentants des peuples autochtones et ceux de lՃtat se retrouvent ˆ nŽgocier ensemble, les diffŽrentes conceptions sous-jacentes ˆ des objectifs communs, refont rapidement surface. Jean-Paul Lacasse en a dressŽ une liste trs instructive :

 

Ē Les notions de souverainetŽ et dÕautonomie, expressions du langage de la sociŽtŽ allochtone, nÕont pas le mme sens dans la culture innue.  Ces notions avec leurs concepts reliŽs ˆ lÕautoritŽ, ˆ la hiŽrarchie des pouvoirs, aux structures gouvernementales, sÕintgrent mal aux valeurs innues.  Boldt et Long signalent que cÕest la fŽodalitŽ qui est ˆ lÕorigine de lÕautoritŽ chez les EuropŽens alors que lÕInnu nÕa pas connu la fŽodalitŽ.  Des rapports hiŽrarchiques ont existŽ en Europe, mme sous une forme dictatoriale, bien avant lՎpoque de la fŽodalitŽ.  Chez les Innus, il faut plut™t parler dՎgalitarisme quoique celui-ci nՎtait probablement pas absolu.  Par ailleurs, lÕidŽe dÕun gouvernement qui commande prend la forme, dans lÕordre innu, dÕune gestion collective.  Chez les EuropŽens, la souverainetŽ implique lÕexistence dÕun ƒtat tel que conu par le langage de la sociŽtŽ majoritaire, alors que lՃtat nՎtait pas nŽcessaire chez les Innus.  LՃtat, dans la sociŽtŽ majoritaire, a la propriŽtŽ et dispose du territoire ˆ sa guise, alors que dans lÕordre innu le territoire appartient au CrŽateur et est ˆ la disposition de tous, lesquels sont responsables de sa gestion.  La sociŽtŽ innue est donc fondŽe tant sur la communautŽ que sur le territoire.

 

On voit donc que la reconnaissance dÕun gouvernement innu pourrait avoir pour consŽquence le retour de rgles diffŽrentes de celles qui ont cours dans la sociŽtŽ majoritaire : le concept de Ē propriŽtŽ commune Č, qui nÕexiste que de faon exceptionnelle dans le Code civil du QuŽbec (article 913 : lÕeau); lÕimportance de la tradition orale dans lÕordre innu; une pluralitŽ de dirigeants; un r™le accru pour les a”nŽs; des institutions diffŽrentes et pas nŽcessairement Ē rŽtributives Č pour sanctionner les actes criminels.  On aurait alors une approche centrŽe sur lÕInnu, sa philosophie, ses besoins, ses aspirations, sa perspective en somme.  Cette approche sÕoppose ˆ lÕapproche actuelle de la sociŽtŽ majoritaire qui, ˆ travers la Loi sur les Indiens et les politiques du gouvernement fŽdŽral, tend ˆ accorder ou ˆ reconna”tre des pouvoirs aux Autochtones dans le seul cadre des institutions politiques et juridiques existantes de cette sociŽtŽ.  Il faut souhaiter, par ailleurs, que le retour ˆ certaines valeurs traditionnelles se fasse dans des conditions favorables ˆ lÕensemble des membres des communautŽs. Č (Lacasse 2004 : 231-232)

 

Ce que rŽvlent les tŽmoignages des personnes interviewŽes dans le cadre de notre enqute, cÕest que, tout en Žtant parfaitement conscientes des transformations qui ont affectŽ le mode de vie nomade de leurs anctres jusquՈ lÕactuelle sŽdentarisation, elles se sentent toujours responsables de perpŽtuer leur tradition de gardiens du territoire (Bissonnette, Gentelet et Rocher : 145). Ceci dit, personne ne verse dans le dŽni de lÕhistoire. LÕanalyse des tŽmoignages recueillis dans les quatre communautŽs rŽvle en fait une conscience vive du dŽcalage entre les pratiques ancestrales par rapport au territoire et les pratiques dÕaujourdÕhui.  Le territoire lui-mme a changŽ : Ē Juste ˆ regarder le territoire, le visage du territoire a ŽnormŽment changŽ Č (09.07.2003.046.F37 : 21).  Cette femme de la communautŽ de Mingan souligne, en outre, quÕelle nÕa plus la libertŽ que ses parents avaient de parcourir les bois, comme ils lÕentendaient et, de plus, elle nÕy retrouve plus la sŽcuritŽ quÕelle y a connue pendant son enfance. La rŽduction et la modification du territoire sont perus comme les ŽlŽments dominants : Ē Les forestires sont passŽes, le dŽveloppement Žconomique est passŽ, le dŽveloppement minier est passŽ Č (17.09.2002.022.H52 : 4).

 

Pour certains, la solution rŽside dans la participation ˆ ces dŽveloppements, mais dans le respect de la culture autochtone. Mais ces dŽveloppements impliquent des choix difficiles: Ē Les territoires ancestraux, il faut les protŽger et aussi il va falloir les dŽvelopper. Y a un dilemme o est-ce quÕon travaille lˆ-dessus.  Y a un dilemme ! Un c™tŽ, on leur dit : Faut faire du dŽveloppement.  Un autre c™tŽ, on dit : Faut faire de la protection ! Č (17.09.2002.024.F40 : 10-11).  Un membre de la communautŽ de Mingan prŽsente ce dilemme un peu comme une histoire et raconte quÕĒ un a”nŽ Žtait pris entre ses deux fils. Il y en un qui Žtait chasseur, mais il y en a un qui cherchait ˆ sÕinstruire, ˆ se former. ‚a fait quÕil Žtait trs prŽoccupŽ Č sur la meilleure manire de transmettre son territoire de chasse (13.07.2003.053.H40 : 3-4). Analysant les consŽquences des transformations en cours et ˆ venir, une personne de Betsiamites dresse un vŽritable plan dÕaction dans la perspective dÕune plus grande autonomie de sa communautŽ : Ē ‚a va demander une structure dÕorganisation sociale beaucoup plusÉ Žtendue, beaucoup plusÉ juridique, beaucoup plus lŽgislatif que du temps de mes grands-parents. LÕorganisation sociale, dans le temps, cՎtait par les grandes autoroutes des rivires, par le territoire. Maintenant, il va falloir gŽrer, gouverner, diriger lÕensemble de ces droits par une organisation qui va demander beaucoup plus que dans le temps, que dՐtre des ma”tres-chasseurs, ma”tres-cueilleurs. Il va falloir adapter, adapter les droits innus avec les autres droits des autres utilisateurs du territoire Č (17.09.2002.022.H52 : 5).

 

Afin de poursuivre la rŽflexion, il convient dՎviter le pige des dichotomies et dÕouvrir lÕhorizon du prŽsent en lÕinscrivant dans le cours des processus historiques et des choix multiples qui sÕoffrent aux acteurs en prŽsence.  Pour ce faire, je propose de recourir au modle utilisŽ par ƒtienne Le Roy afin de comparer les modes de rglement des conflits (2004 :124-125) en lÕadaptant au contexte autochtone[6]. ƒvidemment ce modle ne doit pas tre utilisŽ selon une approche Žvolutionniste qui voudrait, par exemple, que les sociŽtŽs passent du champ de la coutume endogne, ˆ celui du droit coutumier, etc.  Le but de lÕexercice nÕest pas non plus de figer les mouvements en cours, mais dÕessayer dÕen prŽsenter une image qui rŽvle ˆ la fois comment le prŽsent sÕinscrit dans des processus variables mais complŽmentaires et comment les acteurs participent ˆ des mondes distincts, avec plus ou moins de ressources, se montrant plus ou moins capables de sÕy ajuster et utilisant des stratŽgies plus ou moins raffinŽes, chacun de ces mondes Žtant dominŽ par une logique spŽcifique. Enfin, puisquÕil sÕagit dÕun modle, il faut accepter ds le dŽpart quÕil sÕagit dÕune tentative de prŽsenter simplement et logiquement tous les faits significatifs de la situation considŽrŽe (Ibid. : 52).[7]

 

Le premier monde[8] considŽrŽ est marquŽ par les coutumes endognes pratiquŽes par les autochtones avant lÕarrivŽe des EuropŽens et sÕinspirant de leur vision propre.  Ce monde, pas plus que les autres, nÕest Žtanche.  Depuis la colonisation, et surtout lors de la pŽriode de dŽracinement et de tentative dÕassimilation des autochtones, lÕarrivŽe des colonisateurs, des transformations Žconomiques, des migrations de certaines couches de la population et des conversions religieuses et culturelles, ont peu ˆ peu entra”nŽ sa neutralisation. Mais il sÕagit toujours dÕun monde auquel certains acteurs appartiennent, mme si les pratiques concrtes ont changŽ, et o ils puisent des conceptions qui sont toujours opŽratoires et influentes aujourdÕhui.

 

Le deuxime monde considŽrŽ est marquŽ par les droits coutumiers. Il est apparu pendant la pŽriode de dŽracinement et de tentative dÕassimilation des autochtones alors quÕon a procŽdŽ ˆ une rŽpression des coutumes endognes dans le cadre dÕun systme imposŽ par lՃtat qui a introduit, au sein mme des pratiques autochtones, notamment par la mise en Ļuvre de la Loi sur les Indiens, de nouveaux modes de prise de dŽcision et de nouveaux mŽcanismes de contr™le social. Dans ce monde des droits coutumiers, les coutumes endognes sont interprŽtŽes par les reprŽsentants de lՃtat, notamment par le systme judiciaire, ˆ lÕintŽrieur dÕun cadre de rŽfŽrence qui leur est Žtranger, ce qui a entra”nŽ une dŽnaturation des droits traditionnels et la marginalisation du pouvoir autochtone.  Par consŽquence, ˆ ce monde est associŽ un processus dÕabsorption de plus en plus grande des droits traditionnels ou des coutumes endognes. Ds lors, supposer une continuitŽ logique ou culturelle entre coutumes endognes et droit coutumier, comme beaucoup le font encore, y compris chez des juristes de grande renommŽe au Canada, consiste en fait ˆ accepter une falsification des donnŽes historiques et anthropologiques.[9]

 

Le troisime monde considŽrŽ est marquŽ par des droits populaires qui se forment en dehors des autoritŽs aussi bien Žtatiques quÕautochtones et sont une crŽation nouvelle par rapport aux coutumes endognes, invoquŽes et rŽinterprŽtŽes dans un contexte compltement transformŽ. Face ˆ la distance des autoritŽs ou en se jouant des personnes responsables du respect des normes Žtablies ou des modles de comportement et de conduite, viennent au jour et se perpŽtuent des pratiques en matire de chasse ou en matire de guŽrison, par exemple, qui suscitent la controverse au sein des communautŽs.

 

Le quatrime monde considŽrŽ est marquŽ par les droit local, qui rŽsulte de la dominance du droit Žtatique, notamment dans leurs modes de formation, de lŽgitimation et de contr™le, et dÕune marge dÕautonomie accordŽe aux autoritŽs locales autochtones suite ˆ des nŽgociations administratives ou politiques.  Ce monde est dÕinspiration Žtatique, mais il est caractŽrisŽ par la possibilitŽ de rŽinterprŽter des modles dÕintervention ou certaines dimensions institutionnelles ˆ la lumire des conceptions et des pratiques autochtones.  Les droits locaux, dont font partie, par exemple, les ententes en matire de services sociaux et de santŽ, en matire dՎducation et celles qui sont toujours en nŽgociation en matire de droit foncier et dÕautonomie gouvernementale, sont donc des droits de nature ambigu‘, parce que les autochtones y interviennent directement pour lÕadapter ˆ leurs besoins, mais que lՃtat, tout en rehaussant sa lŽgitimitŽ en sÕappuyant sur les accords nŽgociŽs avec les principaux intŽressŽs, y augmente son emprise sur la sociŽtŽ autochtone tant au plan des conceptions que des pratiques.

 

Le cinquime monde considŽrŽ est marquŽ par le droit de la pratique comme expŽrience dÕadaptation des conceptions endognes aux contraintes contemporaines au-delˆ des accords formels conclus avec les reprŽsentants de lՃtat.  Il sÕagit souvent dÕun mode de rŽgulation qui sÕapplique aux services rendus par des personnes reconnues par la communautŽ pour leur capacitŽ de satisfaire des besoins en dernier recours ou paralllement aux institutions en vigueur au sein du quatrime monde.

 

Toujours en suivant le modle construit par ƒtienne Le Roy (Ibid. : 126-128), les donnŽes prŽsentŽes dans les colonnes du tableau suivant identifient les principales caractŽristiques de chacun de ces mondes et cherchent ˆ expliquer leurs modes de mobilisation dans les diffŽrentes juridictions de la dernire ligne du tableau. Les catŽgories des lignes 1 ˆ 10 sont dŽfinies ˆ lÕAnnexe 1.

 

Comparaison des modes de rglement des conflits

 

RŽgulations juridiques

Critres

Coutume endogne

A

Droit coutumier

B

Droit populaire

C

Droit local

D

Droit de la pratique

E

Statut des acteurs

1

Membres des groupes de chasse

Familles Žlargies.

Indiens

divisŽs en bandes locales

Habitants du voisinage

Membres des communautŽs locales

Clients et bŽnŽficiaires

Ressources matŽrielles humaines intellec-tuelles

2

Mode de vie nomade

Apprentissage par observation

RŽcits fondateurs et rŽcits de vie

MixitŽ salariat/chasse

Apprentissage par observation

et par lՎcrit

Pensionnat

Catholicisme

ƒquipement moderne

Leadership du meneur

Affrontement ou Žvitement

RŽcits de vie

Travail salariŽ

Apprentissage par lՎcrit

RŽcits fondateurs ou rŽcits de vie

RŽglementation

Profession-nelles

ou spŽcialisŽes

Apprentissage par lՎcrit

 

Conduites

3

Reproduction du groupe; accueil et mme valorisation des innovations provenant du monde Žtranger

StratŽgie de subordination/

domestication

Tactiques de rŽactions agressives

Tactique participative

StratŽgie intŽgrative

 

StratŽgies de recrutement

Logiques

4

Fonctionnelle Holisme

Institutionnelle Modernisation et autoritarisme

Fonctionnelle

Contestation

Institutionnelle LŽgitimation de lՃtat/

DŽcentralisation

Fonctionnelle

FidŽlisation

ƒchelles dÕespaces

5

Espace odologique,

aire partagŽe

grande mobilitŽ territoriale

Topocentrisme au sein de la rŽserve

RŽduction de la mobilitŽ

Espace odologique,

aire contestŽe

Espace gŽomŽtrique

Territoire de la rŽserve et au-delˆ

Espace gŽomŽtrique

Territoire de la rŽserve et au-delˆ

ƒchelles temporelles

6

MŽga-processus

Micro ou mŽso-processsus

Micro-processus

Macro-processus

MŽso-processus

Forums/

arnes de rglement

7

Campements;

Lieux de rencontres estivales

LÕagent indien;

la mission catholique

Lieux publics;

Rencontres en territoire

Tables de nŽgociations;

Participation ˆ des institutions

Lieux o les services sont rendus

Ordonnance-ments sociaux

8

NŽgociŽ/

AcceptŽ

(Langue autochtone)

ImposŽ

(Franais/

Anglais)

ContestŽ/

AcceptŽ

(F/A ou autochtone)

ImposŽ/

NŽgociŽ

(F/A/

autochtone)

AcceptŽ/

NŽgociŽ

(F/A/

autochtone)

Enjeux globaux

9

Alliances;

mobilitŽ territoriale

Domestication de lÕidentitŽ;

sŽdentarisation

Survivance prŽcaire;

Rejet du racisme

IdentitŽ autochtone au sein de lՃtat

GŽrer les interstices

Rgles du jeu  communautŽ

10a

Autonomie/

diplomatie/

alliances

Contournements/

dŽtournements

Mobilisation

Mandats ˆ des reprŽsentants; ƒlection locale

RŽfŽrendum

Substitution/

collaboration

Institutions/

Rgles coloniales/

Žtatiques

10b

Alliances militaires et commerciales

Affaires indiennes

Conseil de bande

Rglements entre les parties (inconnus de lՃtat)

Ministres;

Tribunaux;

ConfŽrences constitution-nelles.

Politique dÕaccommode-ment


Ce tableau permet de constater quÕaujourdÕhui, au sein des communautŽs atikamekw et innues, les acteurs appartiennent ˆ une pluralitŽ de mondes, et quÕils cherchent ˆ y intŽgrer, avec ou plus moins de bonheur, les ŽlŽments quÕils estiment essentiels ˆ leur reproduction.  Ceci dit, le tableau rŽvle Žgalement que le statut des acteurs, tout comme les autres catŽgories identifiŽes (les ressources, les conduites, les logiques, les Žchelles spatiales, les Žchelles de temps, les forums, les ordonnancements sociaux, les enjeux et les rgles du jeu), varient lorsque lÕon passe dÕun monde ˆ un autre. Chacun des mondes identifiŽs sÕinscrit dans un contexte historique marquŽ par des continuitŽs et par des modifications de logique, certaines ayant entra”nŽ de profonds traumatismes chez ceux et celles qui les ont subies; on pense notamment ˆ lÕimposition de lՎducation au sein des pensionnats et ˆ lÕexploitation des ressources par des forestires ou des sociŽtŽs dՃtat dont plusieurs des personnes interrogŽes se sont plaintes, mais aussi au processus plus lent et en partie mieux acceptŽ de lÕinstallation ˆ demeure au sein des rŽserves au dŽtriment de la mobilitŽ et du sentiment de libertŽ au sein des territoires ancestraux. Il reste que le processus de sŽdentarisation qui a dŽbutŽ au milieu du XIX sicle (GŽlinas 2000 et 2003; Mailhot 1996) et qui sÕest poursuivi jusquՈ la deuxime moitiŽ du XX sicle[10], nÕa toujours pas ŽliminŽ le caractre communautaire des quelque 15 000 Innus regroupŽs au sein de douze communautŽs locales (dix au QuŽbec, deux au Labrador) et des quelque 5 000 Atikamekw regroupŽs au sein de trois communautŽs locales (toutes situŽes au QuŽbec).  Ce processus de sŽdentarisation nÕa pas non plus fait taire leur imaginaire sÕinspirant notamment de leurs rŽcits fondateurs et perpŽtuant chez eux un sentiment de responsabilitŽ ˆ lՎgard du territoire et une trs forte valorisation de la mobilitŽ en fort ou sur les lacs et rivires, lˆ il est encore possible de le faire.

Ce tableau permet Žgalement de constater que des changements importants ont ŽtŽ vŽcus par les Atikamekw et les Innus en termes dÕorganisation sociale.  Par exemple, dans le monde de la coutume endogne, le statut des acteurs est liŽ ˆ leur appartenance ˆ des groupes de chasse eux-mmes ench‰ssŽs dans un complexe rŽseau de parentŽ assurant une mobilitŽ territoriale couvrant pratiquement lÕensemble du territoire ancestral : Ē Ė lՎpoque o ils Žtaient des chasseurs nomades, les Innus circulaient ˆ lÕaise dans toute la moitiŽ orientale de la pŽninsule du QuŽbec-Labrador; chaque groupe entretenait des relations Žtroites avec ses voisins, on sÕintermariait, et les individus changeaient volontiers de groupe et de territoireČ (Mailhot 1993 : 43). JosŽ Mailhot a dÕailleurs soulignŽ que, chez les Innus du Labrador, Ē occupation du territoire et parentŽ sont indissociables Č, le territoire frŽquentŽ par un individu reflŽtant en pratique la structure de son rŽseau de parentŽ et les Innus eux-mmes laissant Ē entendre que ce nՎtait pas tant ˆ un territoire quÕils se sentaient liŽs quՈ un groupe social Č (Ibid. : 139 et 150). Dans le monde du droit local, le statut des acteurs est liŽ ˆ leur appartenance ˆ une communautŽ locale o les gens se sont sŽdentarisŽs. La mobilitŽ autrefois assurŽe par le rŽseau de parentŽ est en dŽclin. Au surplus, les tŽmoignages des personnes que nous avons interrogŽes nous amnent ˆ penser que la famille elle-mme tend de plus en plus ˆ se rŽduire autour de la famille conjugale et ˆ laisser de plus en plus de place ˆ lÕindividualisme.  Or le systme dՎchange gŽnŽralisŽ qui a longtemps prŽvalu chez les Innus, selon lequel Ē celui qui ne partage pas spontanŽment peut tre aisŽment contraint ˆ le faire Č (Ibid. : 80), sÕinscrit au sein du groupe familial Žlargi. Faut-il en dŽduire quÕavec les limitations ˆ la mobilitŽ territoriale, lÕutilisation moins frŽquente du rŽseau de parentŽ et la valorisation de plus en plus rŽpandue de lՎducation individuelle et du travail salariŽ, ce systme est en train de sÕeffondrer graduellement comme par nŽcessitŽ face ˆ des raisons structurelles ? Faut-il aussi en dŽduire quÕon assiste ˆ la constitution dÕun sentiment dÕappartenance ˆ la communautŽ locale au dŽtriment de la responsabilitŽ de partager avec les personnes qui vivent ˆ lÕextŽrieur de cette communautŽ locale, mme si, formellement, elles font partie du rŽseau de parentŽ ? Une premire analyse des entrevues rŽvle que cette tendance est exprimŽe par certaines des personnes interviewŽes. Chose certaine, si lÕidentitŽ autochtone est bel et bien maintenue, elle est configurŽe diffŽremment selon les mondes auxquels on se rŽfre.[11]

Autre constatation dŽcoulant de lÕanalyse de ce tableau, les accords implicites ou explicites rŽalisŽs au sein de lÕun des mondes nÕont pas de lŽgitimitŽ dans les autres mondes tant et aussi longtemps quÕils ne sont pas rŽinterprŽtŽs et justifiŽs ˆ la lumire de la logique qui rgne au sein de chacun de ces autres mondes.  Pour prendre lÕexemple du projet dÕentente avec les Innus qui, sans Žteindre les droits ancestraux, ni les dŽfinir de faon exhaustive, aurait pour effet de suspendre lÕexercice de tout aspect dÕun droit ancestral qui ne serait pas expressŽment prŽvu dans le traitŽ (art. 3.3.4)[12], faisant en sorte quÕen pratique, le traitŽ dŽfinirait de faon exhaustive les droits que les Innus pourront exercer, y compris ceux pouvant tre reconnus par les tribunaux aprs la conclusion du traitŽ, les juristes sÕentendent pour affirmer quÕil sÕagit lˆ dÕune Ē Žvolution significative qui justifie lÕappellation de nouvelle gŽnŽration de traitŽs Č(Grammond 2005 : 87). Mais dans quelle mesure ce qui appara”t, dans le cadre du monde du droit local, comme une avancŽe par rapport aux accords conclus prŽalablement entre les autochtones et lՃtat canadien et comme des fondements solides dÕune relation durable, sera interprŽtŽ de faon positive par les acteurs qui se rŽfrent plut™t au monde de la coutume endogne ? Ė mon avis, rien nÕest moins assurŽ.

De la mme faon, les amŽnagements qui pourront tre adoptŽs par rapport ˆ lÕapplication de la Charte canadienne des droits et libertŽs et de la Charte quŽbŽcoise des droits et libertŽs de la personne aux nouvelles institutions dÕautonomie gouvernementale qui seront crŽŽes au moment de la mise en Ļuvre du traitŽ, devront tre expliquŽs en utilisant des arguments jouissant dÕune efficacitŽ non seulement au sein du monde du droit local mais Žgalement des autres mondes.  Ė cet Žgard, mme si lÕon conna”t, par exemple, lÕimportance de ces instruments juridiques pour protŽger lՎgalitŽ entre les femmes et les hommes, au niveau local, plusieurs femmes autochtones se sentent profondŽment mal ˆ lÕaise dÕavoir recours ˆ des normes constitutionnelles et ˆ des institutions quÕelles estiment Žtrangres pour ne pas dire carrŽment coloniales, lorsquÕil sÕagit de contester les actes ou les dŽcisions des hommes, des organisations ou des gouvernements autochtones (Green 2003a : 49). Ė vrai dire, personne nÕaccepte de voir de nouvelles institutions autochtones agir de manire inŽquitable, mais on sÕinterroge sur les moyens ˆ utiliser pour encadrer lÕexercice de leur pouvoir. Simplement affirmer que la dynamique dՎnonciation de la diffŽrence autochtone sÕinscrit dans un contexte o Ē la bonne gouvernance par les droits fondamentaux appara”t comme une condition objective du maintien de cultures plurielles vivantes Č ou encore que Ē la vitalitŽ culturelle des sociŽtŽs autochtones (É) et leur autodŽtermination identitaire vŽritable passent par leur capacitŽ de rŽflŽchir sur soi, par la dŽlibŽration, par la confrontation avec un environnement pluraliste et non par la dogmatisation idŽologique dÕune identitŽ immŽmoriale ˆ exhumer Č (Otis 2005 : 145) nous semble passer ˆ c™tŽ de la question fondamentale de savoir quel est le caractre symbolique de la gouvernance qui peut ˆ la fois Žchapper ˆ des accusations de colonialisme[13] et tre opŽratoire chez les peuples autochtones. Or, selon les tŽmoignages qui nous ont ŽtŽ livrŽs pendant notre enqute, on ne saurait revendiquer de droits ni exercer de pouvoirs si on ne remplit prŽalablement ses obligations envers lÕensemble de la communautŽ. La sŽcuritŽ des personnes pourrait tout aussi bien se trouver dans le prolongement de cette logique communautaire qui nÕest pas dŽpourvue de mŽcanismes connus de leurs membres, favorisant leur participation et capables de contrer des tentatives dÕexercice arbitraire ou partial du pouvoir (Webber 2003). Au surplus, les peuples autochtones privilŽgient encore des solutions qui viennent du sein mme du groupe plut™t que dÕune autoritŽ qui leur est extŽrieure, ce qui correspond bien ˆ leur principe mŽtalogique de crŽation du monde. Chose certaine, le monde du droit local permet la nŽgociation dÕententes entre les peuples autochtones et les reprŽsentants de lՃtat.  En principe, ces ententes nŽgociŽes devraient pouvoir inclure des ŽlŽments exportables dans le monde de la coutume endogne.

Le tableau permet bien dÕautres analyses, mais il faut sÕarrter ici. Un mot seulement pour souligner quՈ lՎchelle nationale, le droit coutumier a pu tre rŽinterprŽtŽ depuis lÕintŽgration des droits ancestraux et issus de traitŽ dans la Loi constitutionnelle de 1982. Ė cet Žgard, il convient de rappeler quÕen valorisant auprs des peuples autochtones ces nouvelles dispositions constitutionnelles, les juges assouplissent un certain nombre de rgles au sein de la common law afin dÕy intŽgrer des conceptions autochtones.  Cependant, de faon gŽnŽrale, une fois ces conceptions intŽgrŽes au sein du systme juridique de tradition britannique, les valeurs, les croyances, les idŽologies auxquelles ces mmes juges font rŽfŽrence ont beaucoup plus ˆ voir avec la lŽgitimitŽ de lՃtat canadien quÕavec le sentiment dÕinjustice vŽcu par les peuples autochtones (Bissonnette 1996 : 460-468). Et il faut souligner que les Indiens inscrits sur la liste du Ministre des Affaires indiennes nÕont obtenu de droit de vote aux Žlections fŽdŽrales quÕen 1960, et aux Žlections provinciales au QuŽbec quÕen 1969.  En fait, pendant plus de cent ans, soit environ de 1840 ˆ 1960, les lŽgislateurs au Canada ont rangŽ les Indiens dans la catŽgorie des incapables, des mineurs au sens de la loi.  Et ceux-ci ont souvent dŽclarŽ illŽgitimes les lois adoptŽes ˆ leur Žgard sans leur consentement, ni leur participation.  La configuration actuelle du Canada est, en grande partie, le rŽsultat dÕune entreprise concertŽe de dŽpossession territoriale, politique et culturelle des peuples autochtones, menŽe principalement au XIX sicle, mais dont certaines caractŽristiques perdurent encore aujourdÕhui. Ces considŽrations stratŽgiques nՎchappent certainement pas aux reprŽsentants de lՃtat qui participent aux nŽgociations qui se poursuivent toujours ˆ lՎchelle locale, nationale et internationale. Mais, du mme souffle, il faut souligner que les reprŽsentants des peuples autochtones utilisent lÕouverture quÕont crŽŽe ces dŽbats pour rŽaffirmer leur vision du monde et leur interprŽtation des droits ancestraux, du rapport au territoire et de la gouvernance. 

 

Comme au sicle dernier, il arrive trop souvent que les enjeux soient construits sous une forme dÕalternative irrŽconciliable : Ē ou bien ils doivent changer leur mode de vie, ou bien ils doivent mourir Č (Savard 1985 : 53), ce qui peut se traduire aujourdÕhui par : Ē ou bien ils intgrent les rŽgimes de propriŽtŽ publique territoriale, mais limitŽs ˆ une aire gŽographique prŽcise, quitte ˆ oublier leurs conceptions traditionnelles du territoire, ou bien ils perdent tout Č ou encore Ē ou bien ils acceptent dՐtre rŽgis par les droits de la personne comme tout autre gouvernement, ou bien ils nÕobtiennent aucune reconnaissance de lՃtat en matire de gouvernance locale. Č Pourtant, le discours des peuples autochtones ne sÕinscrit pas dans une vision manichŽenne et vise plut™t ˆ rŽpondre ˆ des attentes exprimŽes par des parties qui doivent vivre ensemble et qui devraient apprendre ˆ mieux se conna”tre, comme nous lÕa exprimŽ une personne qui a ŽtŽ trs impliquŽe dans les nŽgociations territoriales globales des Atikamekw :

 

Ē Quand on me dit : Ē DŽfinis donc tes droits ! Č, quand je me fais dire a, des foisÉ tu peux pas commencer ˆ dŽfinir, cÕest trop large, cÕest trop grand, cÕest toute !  Ok.  MÕa essayŽ de te dire de quoi lˆÉ Dans la nŽgociation lˆ, ils disaient : Ē Oui, vous avez des droits, mais il faut les dŽfinir, ok ! Č Moi, jÕen revenais pas.  Si le gouvernement canadien me demande de dŽfinirÉ CÕest ˆ lui ˆ dŽfinir cÕest quoi mes droits, comprends-tu ?  CÕest ˆ lui ˆ dŽfinir quÕest-ce quÕil y a comme droit, quÕest-ce quÕil me laisse comme droits.  Tu sais ? Parce que, moi, jÕai toutes les droits, toutes, toutes.  Si je commenais ˆ dŽfinir, jÕen finirais pas. DÕailleurs, il faut se rendre dans la rŽalitŽ, il faut se rendre ˆ lՎvidence que, nous autres actuellement, on est rattachŽ ˆ vous autres, on est rattachŽ ˆ tout ce qui se passe ˆ lÕextŽrieur. (É) Moi, ma rŽalitŽ, cÕest quÕil faut vivre avec ce quÕon a maintenant. Il y a du monde qui sont lˆ, ils ont dŽveloppŽ ben des choses, il faut sÕorganiser avec eux autres, pour vivre ensemble, tu sais, en harmonie. Č (29.08.2002.007.H55 : 4-5 Manawan)

 

 


Annexe 1

LŽgendes et commentaires du Tableau :

Comparaison des modes infra-Žtatiques de rglement des conflits

(extraits tirŽs de Le Roy 2004 : 126-128)

 

Ē Les catŽgories des lignes 1 ˆ 10 sont (É) empruntŽes au jeu des lois qui, dans sa premire partie, chapitre par chapitre, en fait une prŽsentation dŽtaillŽe.  On y renvoie donc le lecteur soucieux dÕun approfondissement du modle.  Les quelques indications suivantes sont destinŽes ˆ lever les principales ambigu•tŽs.

 

1. Statuts des acteurs. Il sÕagit des positions juridiques des intervenants dans les processus de rglement des conflits rŽsultant de leurs r™les sociaux. On pose ici la multiplicitŽ des appartenances ˆ des groupes diffŽrenciŽs, donc la pluralitŽ des statuts et Ē des mondes Č dans lesquels ils sÕinscrivent.

 

2. Ressources. On entend par lˆ les moyens utilisŽs et les supports de lÕaction pour y parvenir. Les ressources peuvent tre matŽrielles (M), humaines (H) ou intellectuelles (I) comme connaissances, compŽtences, etc.

 

3. Conduites. Les actions peuvent tre anticipatives, se projeter selon des enjeux (case 9) dont on espre un gain (stratŽgies), ou rŽactives ou adaptatives (tactiques).

 

4. Logiques. Elles sont abordŽes ici comme des rationalisations de lÕaction et pour la conduire ou la justifier. Depuis les travaux de M. Alliot, on distingue, au plus simple, entre logiques institutionnelles (É) et logiques fonctionnelles, fondant le Droit Ē rŽaliste Č endogne puis toutes les formes du Ē Droit de la pratique Č.

 

5. Les Žchelles spatiales. On parle le plus souvent dՎchelles spatio-temporelles, la relation entre lÕorganisation de lÕespace et celle du temps Žtant trs gŽnŽrale. On distingue entre des reprŽsentations diffŽrentes. LÕune est moderne, dite dans la case D5 de nature gŽomŽtrique en ce sens quÕelle est basŽe sur la capacitŽ de mesurer (metros) le globe terrestre (gŽ/geos) et quÕelle est ˆ la base de la propriŽtŽ privŽe et de la souverainetŽ politique. Les autres sont des relations prŽ-modernes et post-modernes, fondŽes sur des conceptions topocentrique et odologique, o ce sont un point (topos) ou un cheminement (odos) qui dŽterminent les formules dÕorganisation de lÕespace.

 

6. Les Žchelles de temps et processus. Les processus sont des ajustements de conduites selon une durŽe et pour produire un rŽsultat. Ils peuvent tre approximativement de court terme (moins dÕun an), moyen terme (cinq ans), long terme (trente ans), trs long terme (cent ans et plus). De ce fait, on parlera respectivement de microprocessus, mŽsoprocessus, macroprocessus et mŽgaprocessus.

 

7. Les forums. Ce sont les lieux dՎchange, de confrontation, de dŽcision et de rglement des conflits. Le forum romain en est lÕarchŽtype en rŽpondant aux trois fonctions : Žconomiques(marchŽs), politiques et judiciaires (tribunal de la plbe), sociales (places de rencontre).

 

8. Ordonnancements sociaux. Ē Mettre en forme et mettre des formes Č (Bourdieu) est une exigence que partagent toutes les sociŽtŽs qui doivent produire des ordonnancements particuliers. On distingue ici les ordres sociaux imposŽ, nŽgociŽ, acceptŽ et contestŽ, les sociŽtŽs en privilŽgiant un mais en combinant plusieurs selon la complexitŽ de leurs montages sociaux. LÕordre imposŽ est Žvidemment lÕessence du modle colonial.

 

9. Enjeux. Ē En Č Ē jeux Č, ce qui est mis dans le jeu, ˆ la manire dÕun pari, donc peut tre gagnŽ ou perdu. Les enjeux impliquent des rgles (the game en anglais) mais aussi une connaissance et un art de la pratique (the play). On Ē joue Č ici sur les distinctions entre lÕimmŽdiat et le diffŽrŽ, le matŽriel et le symbolique, lÕorganisationnel et le pragmatisme, en les combinant ˆ nouveau. Nous cherchons ˆ dŽboucher sur Ē ces enjeux que la sociŽtŽ tient pour vitaux et, quՈ ce titre, elle juridicise Č (Le Roy 1999 : 161) en les sanctionnant.

 

10. Rgles du jeu. La connaissance des enjeux et leur Ē mise en musique Č permettent dÕanalyser dynamiquement les contraintes et les potentialitŽs du fonctionnement des sociŽtŽs. On a pris en compte paralllement ici deux points de vue et qui avaient peu de chance de se rencontrer durant la colonisation, celui des Africains (10a) et celui du colonisateur (10b). 

 

Ces Ē positions Č supposent des statuts, puis des ressources et des conduites, et par lÕencha”nement des facteurs (le modle formel du jeu des lois Žtant une spirale identifiant ˆ partir de la case 10 les rgles du jeu), nous revenons ˆ une lecture de nos paramtres, en sachant que toute modification de lÕun dÕentre eux entra”ne lÕajustement rŽciproque de tous les autres.

 

CÕest le sens du jeu des lois. Mais cÕest aussi la loi du jeu que de voir contredites les plus belles stratŽgies par des facteurs irrationnels, la poisse, lÕangoisse ou la foi, ou par plus fort que soi. Č 

 

 

 


OUVRAGES CITƒS

 

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[1] Avocat, membre du Barreau du QuŽbec, et anthropologue, Alain Bissonnette est chercheur autonome et consultant dans le domaine de la coopŽration internationale. Il participe au projet de recherche Autochtonie et gouvernance. Lire la prŽsentation du projet dans Lajoie et al. 2004 et sur le site http://www.autochtonie.umontreal.ca/fr/description.html. Le texte prŽsentŽ ici se veut un complŽment dÕun prŽcŽdent article rŽdigŽ avec la collaboration de Karine Gentelet et de Guy Rocher en 2005. TOUS DROITS RƒSERVƒS.

 

[2] Paul Bohannan, qui a militŽ pour ce genre dÕanalyse depuis les tout dŽbuts de sa carrire, rappelait rŽcemment combien le langage utilisŽ pour communiquer est imprŽgnŽ des valeurs culturelles : Ē The categories of grammar shape not only our speech but our thought. We may not always think in words; but to express ourselves in language Š that is, to communicate meaning Š we usually use words and grammar. When people communicate anything beyond the most basic animal perceptions such as fear or lust, they must do so within the schemata of the grammar of some language. A deep irony Š and trap Š arises here: human beings cannot communicate even their simplest perceptions without communicating the cultural values that underlie and shape these perceptions. Č (Bohannan 1995 : 19)

[3] La meilleure analyse ˆ ce jour de lÕensemble de cette problŽmatique est contenue, ˆ mon avis, dans le rŽcent ouvrage de Jean-Paul Lacasse (2004).

[4] Il faut lire ainsi la numŽrotation utilisŽe pour dŽsigner les entrevues : 06.06.2004 correspond ˆ la date o lÕentrevue a eu lieu; 061 au numŽro de lÕentrevue en tant que telle, ici la soixante-et-unenime qui a ŽtŽ rŽalisŽe; F71 au sexe de la personne interrogŽe et ˆ son ‰ge; 9 au numŽro de la page de la transcription dÕo est tirŽe la citation.

[5] La Commission a qualifiŽ les rŽgimes fonciers autochtones en indiquant que Ē [l]e terme Ē communal Č semble tre particulirement indiquŽ pour dŽcrire les rŽgimes de propriŽtŽ autochtone, parce que ceux-ci ne ressemblent ni aux rŽgimes de propriŽtŽ individuelle privŽe, ni au rŽgime de gestion par lՃtat, assorti dÕun libre accs, qui est actuellement en vigueur sur les terres domaniales du Canada. Mme lorsquÕil existait des territoires familiaux et tribaux, ces rŽgimes combinaient le principe de lÕaccs et de lÕutilisation universels au sein du groupe, ˆ ceux de la participation universelle et consensuelle ˆ la gestion et de limites territoriales variables en fonction de rgles sociales. Č (CRPA 1996, vol. 2 (2ime partie) : 505)

[6] Dans un article prŽcŽdent, une premire version de ce modle a ŽtŽ utilisŽe pour analyser les rŽactions de diffŽrents groupes autochtones au projet dÕAccord constitutionnel de Charlottetown (Bissonnette 1993).

[7] Pas plus que la construction de lÕobjet, la construction du modle ne peut tre rŽsolue dÕavance et une fois pour toutes. La dŽmarche, procŽdant par essais et erreurs, sÕinscrit dans une problŽmatique prŽalablement analysŽe et critiquŽe par les chercheurs qui construisent le modle avec une volontŽ dÕaller plus loin gr‰ce ˆ son pouvoir de rupture et de gŽnŽralisation. IdŽalement, le modle doit permettre Ē de traiter diffŽrentes formes sociales comme autant de rŽalisations dÕun mme groupe de transformations et de faire surgir par lˆ des propriŽtŽs cachŽes qui ne se rŽvlent que dans la mise en relation de chacune des rŽalisations avec toutes les autres, cÕest-ˆ-dire par rŽfŽrence au systme complet des relations o sÕexprime le principe de leur affinitŽ structurale. Č (Bourdieu, Chamboredon et Passeron 1983 : 79)

[8] On pourrait tout aussi bien le dŽnommer Ē champ Č au sens o lÕentend Bourdieu, chaque champ se caractŽrisant par la poursuite dÕune fin spŽcifique, propre ˆ favoriser des investissements chez tous ceux qui possdent les dispositions requises. Participer ˆ un champ, cÕest prendre au sŽrieux des enjeux qui, nŽs de la logique du jeu lui-mme, en fondent le sŽrieux. La logique spŽcifique dÕun champ sÕinstitue ˆ lՎtat incorporŽ sous la forme dÕun habitus spŽcifique, ou, plus prŽcisŽment, dÕun sens du jeu, ordinairement dŽsignŽ comme un Ē esprit Č ou un Ē sens Č, qui nÕest pratiquement jamais posŽ ni imposŽ de faon explicite (Bourdieu 2003 : 24-25). Lire tout particulirement les pages 140 ˆ 153 dans le mme ouvrage.

[9] Lire les analyses Žclairantes de Le Roy ˆ ce sujet en contexte africain (2004 : 109-116).

[10] Chez certains groupes innus, les migrations liŽes ˆ la vie nomade ont cessŽ et le passage des tentes aux maisons sÕest effectuŽ vers la fin des annŽes 1960 (Mailhot 1993 : 137; Savard 2004 : 12).

[11] Une hypothse ˆ vŽrifier : lÕappartenance locale ou nationale au sein du monde du droit local ne correspond-elle pas au rgne de lÕindividualisme comme valeur comme cÕest le cas en Occident o non seulement la nation accompagne historiquement lÕindividualisme, mais o lÕinterdŽpendance entre les deux sÕimpose au point o lÕon peut dire que Ē la nation est la sociŽtŽ globale composŽe de gens qui se considrent comme des individus Č (Dumont 1983 : 20-21).

[12] Le texte du projet dÕentente est disponible sur le site : http://www.autochtones.gouv.qc.ca/relations_autochtones/ententes/innus/20040331.htm.

 

 

[13] Ē [D]ecolonization requires the inclusion of colonized peoples in institutions of power, the design of which in politically significant ways reflects the priorities and cultural assumptions of the colonized as well as those of the colonizer. (É) Decolonization requires structural and procedural changes Č (Green 2003b : 53-54).