6ime Symposium CRQC
La Justice lÕpreuve de la diversit culturelle
Session : Droits autochtones et traditions
juridiques
Universit du Qubec Montral
Le vendredi 10 fvrier 2006
Un
regard dÕanthropologue sur le dialogue entre les traditions juridiques
notamment en matire de rapports au territoire
par
Alain Bissonnette[1]
En abordant le thme du dialogue entre les traditions juridiques, il est certainement utile et mme ncessaire de rappeler certaines des analyses de la Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA). Cre en 1991 par le gouvernement fdral du Canada, la Commission avait pour mandat dÕanalyser lÕvolution de la relation entre les autochtones (Indiens, Inuit et Mtis), le gouvernement et lÕensemble de la socit canadienne et de proposer des solutions aux problmes qui ont entrav ces relations et avec lesquels les autochtones sont aux prises aujourdÕhui (CRPA 1996, vol. 1 : 2 et 767-770). Intgrant sa dmarche les rcits fondateurs des peuples autochtones, leur histoire caractrise par quatre tapes, soit dÕabord la rencontre de deux mondes, le monde autochtone et le monde colonial demeurant plus ou moins tanche lÕun envers lÕautre, ensuite une priode dÕinteraction et de coopration se terminant dans la premire moiti du XIX sicle pour tre remplace par une priode de dracinement et de tentative dÕassimilation et, enfin, la priode actuelle caractrise par la ngociation et le renouveau, la Commission a tir comme conclusion de ses travaux la ncessit du rtablissement de la relation de coopration caractristique des premiers contacts entre autochtones et non-autochtones (Ibid. : 3). Au moment o ses recommandations sont encore loin dÕtre intgralement mises en Ļuvre, son plaidoyer demeure toujours aussi percutant :
Ē Nous sommes fermement convaincus que le moment est venu de
mettre fin la contradiction criante qui rsulte du fait que nous nous faisons
les dfenseurs des droits de la personne sur la scne internationale tout en
bafouant nos propres peuples autochtones par lÕattitude colonialiste et
condescendante que nous avons encore leur gard. CÕest pourquoi les changements que nous proposons partent
dÕun dsir de redonner aux nations autochtones une place dÕhonneur dans notre
histoire commune et de reconnatre leur apport la vie canadienne. (É)
Pour permettre aux autochtones de participer pleinement
lÕenrichissement du bien commun, il faut leur donner les moyens dÕexprimer leur
vision distincte du monde et dÕappliquer leurs connaissances traditionnelles. JusquÕ prsent, ces moyens ont t en
grande partie refuss par les institutions canadiennes, ce qui a compromis la
bonne entente interculturelle et empch plusieurs gnrations de Canadiens
dÕavoir accs des ressources culturelles qui font partie de notre patrimoine
commun. (É)
[N]ous ne nous contentons pas de rclamer un traitement plus
quitable pour les autochtones.
Nous rclamons galement une justice rparatrice qui consisterait leur
rtrocder tout ce qui leur a t injustement t : le pouvoir de grer
leurs propres affaires, la matrise des terres et des ressources essentielles
la subsistance des familles et des collectivits; le contrle sur lÕducation,
la protection de lÕenfance et les services communautaires. Nous souhaitons en outre des mesures
pour liminer les disparits relatives lÕinfrastructure conomique et au
bien-tre individuel et collectif qui dcoulent du traitement inquitable que
les autochtones ont subi par le pass. (É)
Tant que les Canadiens nÕauront pas appris connatre lÕhistoire
du Canada telle que la connaissent les autochtones, les blessures subies par
ces derniers continueront de sÕenvenimer, exacerbes par un sentiment de honte
et dÕimpuissance devant leur propre vulnrabilit. La violation des engagements solennels contenus dans les
traits, la cruaut des pensionnats, les collectivits entires qui ont t
dracines, les anciens combattants autochtones qui ont vu leurs droits dnis
aprs les deux guerres mondiales, sans compter les grandes injustices et les
petites bassesses auxquelles a donn lieu lÕadministration de la Loi sur les
Indiens Š tout cela ne symbolise que trop bien lÕiniquit laquelle les
autochtones sont inlassablement confronts.
La Commission est convaincue quÕil est indispensable de panser les blessures du pass avant de songer une rconciliation entre autochtones et non-autochtones. (É) tant donn que la pacification passe selon nous par une restauration de la confiance, les recommandations que nous faisons en vue dÕune relation nouvelle ou renouvele, scelle par une proclamation royale, comprennent une reconnaissance des prjudices infligs aux autochtones dans le pass. Č (Ibid. : 5-8)
Par ma prsentation aujourdÕhui, jÕaimerais dÕabord approcher dÕun point de vue anthropologique les traditions juridiques (1) pour, ensuite, souligner certaines caractristiques de ce quÕon peut dsigner comme les traditions juridiques des peuples autochtones (2) et, enfin, proposer un dialogue se fondant sur le pluralisme des mondes et des logiques en prsence (3).
1. Les
traditions juridiques selon une approche anthropologique
Pour qui sÕintresse la diversit culturelle, il convient dÕviter le dfaut de certains juristes qui prennent leur propre systme pour rfrent et ainsi ramnent lÕobservation de lÕautre des critres qui sont valides dans leur propre culture mais qui nÕoffrent aucune garantie de gnralit et dÕuniversalit. Le recours au modle labor par tienne Le Roy dans son Jeu des lois permet de prendre en compte les divers sites culturels (dia/topoi) et de proposer une explication qui contienne et traduise toutes les logiques qui y sont lÕĻuvre (dia/logoi) (Le Roy 1999 : 33). Le mot Droit chez tienne Le Roy est entendu comme mystre de la reproduction des socits. Dans ce cadre conceptuel, ce qui fait autorit ne tient pas seulement la machinerie juridique et judiciaire, aux normes aux institutions ou aux sanctions, mais plutt au fait que Ē ces productions normatives ou institutionnelles sont embotes dans un dispositif beaucoup plus complexe fait de mythes, de reprsentations et dÕimages, dispositif (ou modle) largement inconscient et qui relve pleinement dÕune lecture structurale. Il faut en consquence analyser, dans toutes les socits, les relations qui existent entre les visions du monde, les conceptions de la cration quÕelles comprennent, la manire dÕorganiser la socit et le pouvoir et la conceptualisation du Droit. Č (Ibid. : 28)
Au dpart de la dmarche propose par Le Roy, trois grands principes mtalogiques de penser lÕunivers sont associs lÕorganisation des socits humaines : lÕidentification, la diffrenciation, la soumission. En vertu du principe de lÕidentification, le monde est infini dans le nombre (pluralit des mondes) et dans le temps (il se fait et se dfait au cours de grands cycles cosmiques); il combine les contraires sans les laisser sÕexclure lÕun lÕautre (on ne peut penser le bien sans le mal, lÕesprit sans la matire, le rationnel sans le sensible, le yin sans le yang); son dynamisme nÕest limit par aucune loi impose de lÕextrieur : lÕunivers se gouverne spontanment. Il doit en aller de mme de lÕindividu. En vertu du principe de la diffrenciation, le monde y est le rsultat transitoire dÕune cration, que prcdait le chaos. Celui-ci nÕtait pas le nant, mais contenait en puissance aussi bien la cration que le crateur. LÕunivers ainsi conu est fragile : lÕtre nat de lÕinorganis, les forces de lÕordre ne sont jamais assures de lÕemporter sur celles du dsordre. LÕhomme joue l un rle fondamental : par les rites et la divination, il collabore avec les forces de lÕinvisible pour faire triompher lÕordre. Il est conu lÕimage de lÕunivers : puisque la cration nÕest pas lÕĻuvre dÕun instant ou de quelques jours, mais rside dans un processus continu de diffrenciation, lÕhomme ne peut se rduire lÕindividu, dont lÕexistence est trop ponctuelle. Plus exactement, lÕindividu est simultanment porteur de ses anctres et de sa descendance. CÕest donc par rapport au groupe que lÕindividu est dÕabord situ. De mme, la structure sociale est le fruit dÕun processus de cration continu, qui a amen les diffrents groupes se distinguer progressivement les uns des autres, et se concevoir comme complmentaires plutt quÕopposs. En vertu du principe de la soumission, Dieu prexiste sa cration et la rgit de lÕextrieur. Il est celui qui Est avant dÕtre Celui qui cre, il aurait pu ne pas crer, ou crer autrement : lÕętre prime lÕAgir et lÕemporte sur la fonction. LÕhomme est donc soumis un pouvoir et une loi qui lui sont extrieurs. LÕOccident chrtien partage avec lÕIslam la rfrence une loi impose au monde et aux hommes. Mais sa pense a volu partir de cette base commune dans une toute autre direction, lÕautorit extrieure qui fonde la loi aujourdÕhui tant lÕtat qui a pour mission de crer un monde meilleur et de transformer la socit par le droit (Rouland 1988 : 401-405).
Ė lÕarchtype de
la diffrenciation est associe la notion de la pluralit plutt que celle de
la dualit associe au principe de lÕidentification et celle de lÕunit
associe celui de la soumission.
Le principe mtalogique de la diffrenciation postule que lÕunivers est
issu du chaos et se prsente comme le rsultat de plusieurs tentatives
successives. Ici il nÕy a pas UN
Dieu mais une instance fcondante et organisatrice qui est garante des
quilibres multiples qui caractrisent la vie en socit. La rgulation ne vient pas dÕune force
extrieure de la socit, mais de lÕintrieur du groupe qui, par un effort de
domestication de ses nergies (ou de sa violence), fait merger un consensus
minimal. Dans cette conception de
lÕunivers, tout est pens en termes multiples, spcialiss et interdpendants,
la multiplicit reposant sur le principe archtypique de la diffrenciation
progressive autorisant une spcialisation mais lÕinterdpendance affirme
induisant la recherche de la complmentarit des diffrences.
Non sans avoir rappel que lÕopposition fondamentale ne se situe pas entre les peuples avec ou sans criture, mais bien dans la faon de concevoir lÕorganisation du monde et dÕexpliquer la cration de la socit, le rle du crateur et la place de lÕhomme dans la socit (Le Roy 1984 : 126), tienne Le Roy a souvent donn de ce principe mtalogique de penser lÕunivers des exemples tirs des socits africaines, mais il a aussi indiqu quÕen fait ce sont, de faon gnrale, les socits animistes et communautaires qui partagent cette vision du monde :
Ē La vision du monde que ces socits partagent est fonde sur l'ide que l'univers est construit sur la base d'une circulation d'nergies et o le principe vital, l'anima (d'o le terme animisme) est rgul par le mouvement mme de ces nergies. Ce mouvement vise l'harmonie et l'quilibre de l'ensemble des facteurs par la recherche de leur interdpendance et de leur complmentarit. C'est pourquoi l'univers, visible comme invisible, est toujours conu sur la base d'instances multiples, spcialises et interdpendantes. C'est dans cette perspective que les Amrindiens conoivent la "bonne vie". L'harmonie n'est cependant pas le fruit d'une cration volontaire et assure une fois pour toutes car les principes d'ordre et de dsordre se sont opposs avant de se conjuguer dans un quilibre toujours sous tension, ce qu'expriment tant les conceptions religieuses que l'organisation sociopolitique domine par l'idal du communautarisme. Č (Le Roy 1997 : 13-16)
2. Rcits
fondateurs et attachement au territoire
CÕest donc sans surprise quÕil est permis de retrouver ce principe de penser lÕunivers dans les rcits fondateurs des peuples autochtones du Canada, et notamment chez les Atikamekw et les Innus, nations faisant partie de la grande famille algonquienne. Rmi Savard, qui a consacr une bonne partie de sa carrire lÕenregistrement et lÕanalyse de ces rcits fondateurs, en rappelait rcemment lÕorigine et le but :
Ē Le narrateur qualifiait ces rcits dÕatanukan, dont on dit quÕils furent transmis aux gens par des personnes autres quÕhumaines, dans le cadre dÕun rituel [la tente agite] (É). Ces rcits ont pour objectif de faire concider lÕapparition de deux ordres de ralit : dÕune part, lÕensemble des rgles permettant la reproduction de la socit dont les destinataires de cet acte de communication sont membres; dÕautre part, rien de moins que la totalit du cosmos (alternance du jour et de la nuit, cycle saisonnier, vie et mort, varit des espces animales et vgtales dont la ntre, etc.). On comprendra quÕon est ici en prsence dÕune pdagogie avant tout locale, destine donner un sens ce qui au dpart en est totalement dpourvu, soit la condition humaine. Č (Savard 2004 : 22)
Commentant le rcit du hros culturel dnomm Tshakapesh, Savard nous indique que sa performance se droule en sept tableaux, les six premiers prenant la forme du scnario suivant : Ē menac dÕtre aval comme ses parents, le hros renverse la situation en transformant ses agresseurs soit en gibier, soit en partenaires au sein dÕun mode de production fond sur la chasse et la pche. Du mme coup, Tshakapesh contribue rduire la faune cannibale qui a jusque-l fait obstacle lÕmergence de lÕespce humaine dont il est en quelque sorte lÕicne, tout en mettant en place les lments essentiels du mode de vie des Innus lÕpoque classique de leur histoireČ (Ibid. : 43). Au septime tableau, le scnario sÕinverse, le hros utilisant la logique prcdente une chelle o elle ne convenait plus : Ē Si le hros avait toujours vaincu ceux et celles qui lÕavaient attaqu sans quÕil y ait eu la moindre provocation de sa part, le voil maintenant en train de prparer la mort dÕun tre [le soleil] qui ne lui a jamais cherch querelle Č (Ibid. : 52). Comprenant sa mprise, le hros finit par sÕassocier avec le soleil non sans avoir rompu lÕquilibre des forces et crant en consquence lÕalternance du jour et de la nuit : Ē De hros fondateur dÕun mode de production reposant essentiellement sur la prdation, cÕest--dire sur le fait de donner la mort, il sÕidentifie dsormais la source de lumire et de chaleur essentielle la rincarnation des gibiers morts et mme des Innus dfunts Č (Ibid. : 53).
Tout le livre de Rmi Savard constitue une dmonstration de la vigueur de la pense algonquienne o lÕon retrouve le principe de la diffrenciation, le monde y tant le rsultat transitoire dÕune cration, que prcdait le chaos. Cet univers, on lÕa vu, est fragile : le hros culturel nat de lÕinorganis et sÕil collabore avec les forces de lÕinvisible pour faire triompher lÕordre, il reste que les forces de lÕordre ne sont jamais assures de lÕemporter sur celles du dsordre. En conclusion de son ouvrage, Savard dgage ce quÕil qualifie de porte normative des rcits quÕil a analyss :
Ē Axe du monde, arbre de vie, arbre du monde, colonne du monde. Autant de facettes dÕune autre de ces icnes largement utilises par lÕespce humaine pour viter de sombrer dans la draison et promouvoir lÕensemble des rgles sans lesquelles aucune socit ne saurait subsister. Une telle porte normative des rcits touche tous les aspects du mode de vie avec lequel cette population a d composer une certaine priode de son histoire : rgime matrimonial, harmonisation des rapports entre les membres du groupe, rduction de toutes les formes de violence au sein des units familiales, rpartition des tches de production, reproduction biologique et sociale, diversit des techniques de chasse, respect des quotas, etc. Des rgles qui parfois sÕincarnent dans des rituels. Les rcits font, parfois par lÕabsurde, la dmonstration de la pertinence caractrisant certaines de ces rgles. CÕest le cas des deux derniers, relatant le sort rserv la dlinquance (Aiasheu et Tsheshei). On aura remarqu quÕil y est toujours question de jeunes en difficults, le plus menac tant videmment Tshakapesh, qui faillit ne pas se rendre terme. LÕenfant couvert de poux, quant lui, avait t abandonn par des parents inconscients, tandis quÕAiashesh chappa de justesse une tentative de meurtre mise au point par son pre, aprs avoir t victime de harclement sexuel de la part de la seconde pouse de ce dernier. Quant la fille trompe par son grand-pre incestueux, elle fut littralement entrane par lui dans la mort. Une autre faon dÕnoncer la rgle laquelle nÕchappe aucune socit : sans les enfants, point dÕavenir. Et quand lÕavenir sÕestompe, les enfants se volatilisent. Č (Ibid. : 169)
Nous sommes bien ici devant une tradition juridique au sens o lÕentend Le Roy, soit de volont de reproduction de la socit partir dÕune conception particulire de la cration du monde.
LÕapproche propose par tienne Le Roy qui exige de situer les reprsentations et les pratiques au sein des principes de cration du monde auxquels elles appartiennent, correspond aux enseignements du structuralisme, mais elle demande galement prendre en compte le caractre dynamique des processus dans lesquels les socits sont engages aujourdÕhui (Le Roy 1999 : 24-33). Dans la mme veine, me semble-t-il, Rmi Savard a, pour sa part, propos de prendre au srieux les rcits fondateurs des peuples autochtones et de construire avec eux des rapports de solidarit fonds sur le statut, commun aux deux parties, de sujets historiques trs concrtement inscrits dans les enjeux dÕaujourdÕhui :
Ē On peut aussi se demander si ce ne serait pas le refus des anthropologues dÕassumer pleinement leur statut de sujets historiques impliqus dans le chass-crois constant entre leurs propres socits et celles de leurs informateurs, qui entrane la ngation dÕun tel statut aux hommes et aux femmes des socits dont ils rclament dÕtre vus comme les spcialistes ? Ne serait-ce pas ce qui les a finalement confins dans une position de rceptivit minimale ? LÕimaginaire de ces voisins, avec toute sa pertinente subversivit, nous demeurera systmatiquement inaccessible si nous persistons lÕimmerger dÕabord dans le formol de nos grilles aseptisantes, pour viter quÕil ne trouble lÕtat dÕhypnose dans lequel nos tats ont russi plonger bon nombre dÕentre nous. Dmythologiser Tshakapesh, cÕest dÕabord prendre acte du fait quÕil relve dÕun discours dont on avait grand besoin de nous dissimuler la pertinence. CÕest aussi accepter dÕtre lÕobjet du regard de ces hommes et de ces femmes que la raison dÕtat nous avait finalement contraint dfinir comme les tmoins passifs de plus en plus rares dÕun pass rvolu, que nos gouvernements tiennent encore dans une tutelle dÕacier, que nos forces de lÕordre humilient, frappent et tuent impunment lÕoccasion, que plusieurs dÕentre nous persistent voir, selon les circonstances, soit comme dÕamusantes survivances du pass, soit comme de drisoires dchets de lÕHistoire. Dmythologiser Tshakapesh, cÕest enfin cesser de souscrire, comme un axiome, lÕextinction prochaine de ces peuples. Č (Savard 1985 : 77-78)
La priode que la Commission royale sur les peuples autochtones a caractrise comme en tant une de dracinement et de tentative dÕassimilation et que des chercheurs ont pu qualifier dÕusurpation de la souverainet autochtone (Morin 1997), nÕa pourtant pas russi faire taire lÕimaginaire de ces peuples, ni dtruire leur rsistance.
Pour Rmi Savard, le simple fait que ses informateurs lui racontait en 1970 le rcit de Tshakapesh constitue en soi Ē une solennelle affirmation de souverainet, puisque cÕest une ractivation de la source mme des rgles et des pratiques ayant permis au groupe de se reproduire dans un environnement colonial qui rve depuis longtemps de le voir disparatre. Č (Savard 2004 : 173)
Pour leur part, Jos Mailhot et Sylvie Vincent, dans le cadre de leur tude de 1980 sur le discours lÕgard du territoire, ont procd une analyse smantique[2] leur permettant de dcouvrir que deux verbes innus, tipenitam et kanauenitam, sont particulirement porteurs, au plan conceptuel, du lien entre la personne et la terre ou le territoire chez les Innus. Le premier de ces verbes Š tipenitam Š peut tre traduit en franais selon les contextes, par les expressions suivantes : grer; administrer, tre responsable de; avoir du pouvoir sur; contrler; diriger; tre le matre ou le patron de. CÕest ce verbe qui, en innu, est la fois utilis pour rfrer la relation dÕun individu avec divers biens (quÕil sÕagisse de sa maison, de sa voiture, de son argent, etc.) et qui est utilis, galement, pour rfrer au lien juridique qui existe entre les Innus et leurs terres. Bref, la terre nÕy est la proprit de personne, mais chacune de ces rgions y est sous le contrle dÕun individu ou dÕun groupe dÕindividus. Et, selon la tradition innue, chaque peuple est attribu un territoire particulier. Quant au verbe kanauenitam, il peut tre traduit en franais par les expressions suivantes : sÕoccuper de; veiller sur; prendre soin de; avoir la garde de; garder; conseiller. CÕest ce verbe qui, en innu, est la fois utilis pour voquer lÕide de Ē possession Č et qui est utilis pour caractriser la relation quotidienne que les Innus disent avoir avec leurs terres. Bref, chez les Innus, lorsquÕon exerce un titre sur un territoire, lorsquÕune chose est possde par quelquÕun, on en prend soin, on veille sur elle, on sÕen proccupe comme une personne qui en a la garde.
Ė cette analyse smantique, Jos Mailhot et Sylvie Vincent ont ajout une analyse de la tradition orale afin de dterminer dÕo les Innus disent dtenir leur titre sur le territoire et en quoi consiste ce titre. Leurs conclusions sont lÕeffet que les Innus justifient leur titre sur le territoire par des liens historiques, conomiques, culturels et affectifs qui les rattachent ces terres et ils soulignent avec force quÕils nÕont jamais renonc, de quelque faon que ce soit, ces liens qui leur donnent un titre sur le territoire. Ils affirment galement que leur titre sur le territoire leur donnent le droit de continuer exercer sur leurs terres le type de pouvoir et de gardiennage identifi plus haut (Mailhot et Vincent 1980 et 1982).
Les analyses de Jos Mailhot et Sylvie Vincent ont t salues par plusieurs chercheurs (Bissonnette 1992; Lacasse 2004; Savard 2004 : 173; Webber 1994 : 238). Et, mon avis, elles ont appuy la volont des Innus de voir leur tradition juridique reconnue et mise en Ļuvre aujourdÕhui. Devant la Commission royale sur les peuples autochtones, aux tables de ngociation des revendications territoriales globales et sur la scne internationale, notamment au sein du Groupe de travail sur les peuples autochtones, des reprsentants innus ont raffirm lÕexistence du Innu tipenitamun au sein de leur territoire[3].
En analysant les entrevues que mÕont rcemment accordes des personnes vivant au sein de quatre communauts autochtones (Ekuanitshit, Manawan, Nutashkuan et Pessamit), Guy Rocher, Karine Gentelet et moi-mme nÕavons pas pu dgager proprement parler une dfinition stricto sensu des droits ancestraux. Ce que lÕon a entendu, cÕest en ralit un discours. Un discours qui a une connotation que lÕon peut appeler pique en ce sens quÕil se rapporte aux faits et gestes dÕanctres prsents gnralement comme les hros dÕun rcit. Ces hros servent lÕinterlocuteur de rfrent pour dire ce que lÕon veut perptuer et de mesure envers ce que lÕon croit ou espre pouvoir perptuer. Ce discours en forme de rcit a un cĻur, un noyau central auquel tout est rapport : cÕest le territoire, gnralement dit au singulier, mais parfois aussi employ au pluriel (Bissonnette, Gentelet et Rocher 2005 : 140). Ce territoire nÕest jamais gographiquement dlimit par des frontires prcises. Le rapport envers ce territoire nÕest pas celui dÕun propritaire, mais plutt celui dÕune relation maintenir par diverses pratiques sur des tendues de terre et dÕeau, o le sentiment de libert est magnifi (Ibid. : 141-142). Dans cette perspective, ce quÕon appelle, dans la tradition juridique canadienne, les Ē droits ancestraux Č sont, dans le discours de nombreux interlocuteurs, lis aux ressources vitales que le territoire a toujours offertes et continue partiellement dÕoffrir aux communauts (Ibid. : 143). tendant encore plus loin lÕhorizon et la profondeur de la conception des droits ancestraux ou du rapport au territoire, les personnes interviewes indiquent quÕils sont la source de la vie, non seulement physique mais affective et spirituelle, et non seulement individuelle mais collective, source donc de la vie commune, sociale et politique de la communaut. DÕo le caractre sacr attach ces droits, voqu par plusieurs interlocuteurs (Ibid. : 143-144).
CÕest en dfinitive cette conception la fois conomique, sociale, culturelle, spirituelle et cosmologique des droits ancestraux lis la fois au territoire et au pass, lÕespace vital et au temps ancestral, qui est lÕaxe central du discours des personnes que nous avons interviewes au sein de ces quatre communauts. Il sÕagit donc dÕune conception qui est globale, holistique, en rapport premier avec la prsence immmoriale des anctres sur lÕensemble du territoire, dans lÕaffirmation de leur culture, de leur langue et de leur bien-tre. Et si le guide dÕentrevue nÕabordait pas systmatiquement toute la question de la transmission des rcits fondateurs, et le faisait sans pouvoir se placer dans une situation dÕnonciation relle de ces rcits par leurs principaux protagonistes, il reste que les personnes interviewes y ont fait rfrence, non sans toutefois sÕinquiter du fait quÕaujourdÕhui au sein des maisons, en contexte de sdentarisation, il est plus difficile de transmettre cet hritage (06.06.2004.061.F71 : 9[4]). LÕune des personnes interviewes associe le terme Naorzio, qui est utilis pour se dsigner traditionnellement chez les Atikamekw, la notion de sant et la notion dÕautodtermination :
Ē Naorzio, vient du mot : la personne elle-mme, cÕest la personne qui est comme en symbiose, sa dsignation est plus spirituelle. CÕest un individu qui est capable au niveau de lui-mme avec son environnement, avec son ct physique, avec son ct mental, tout est bon de chaque ct, quand on parle dÕune approche holistique, a concerne a. Ė mesure quÕil y a un ct qui manque, qui a un dsquilibre, l le mot Naorzio ne peut pas tre utilis. CÕest un peu de la faon dont on voit les choses. CÕest pour a quÕon se dsigne comme a. a vaut autant pour celui qui parle lÕIndien, sa langue, cÕest trs important, cÕest une question mentale. Si on parle dÕun autre qui a gard les costumes par exemple, cÕest plus matriel. LÕAtikamekw, lui, je pense, il a perdu ses vtements, il a perdu des choses beaucoup plus matrielles, malgr quÕil a perdu certaines choses qui relvent du mental. Mais si on parle de lÕintelligence, du mental, sÕil parle sa langue, a cÕest important pour nous. Et il se dsigne comme a : Naorzio. CÕest comme un tre qui envers lui-mme, envers les autres, envers lÕenvironnement, cÕest quelquÕun qui essaie de composer avec tout ce qui survient dans sa vie. (É) On a essay de le dfinir dans un mot, on nÕa pas t capable de le trouver. Tantt jÕai parl de symbioseÉ Il est lÕaise, il est adroit, cÕest un gars capable, cÕest un gars qui connat a. CÕest quelquÕun qui connat, qui peut composer avec nÕimporte quoi. On a essay de le dsigner dans un mot, mais dans la langue franaise, que je comprends un petit peu, moi jÕai pas trouv une faon de le dcrire, mais on se dsigne comme a, on sÕest dsign comme a depuisÉ(É) CÕest quelquÕun qui est capable de se dbrouiller dans le bois, autant faire la chasse, que faire la cuisine, queÉ CÕest quelquÕun qui serait capable de tout a, lui, il est comme a. On lÕappelle comme a : Naorzio, autant pour la chasse, autant pour fabriquer des choses, faire la cuisine, gurir, je sais pas, soigner quelquÕun ou lui-mme se soigner, cÕest quelquÕun de capable. Č (26.08.2002.001.H52 : 10-12) Ē Quand tantt je te parlais de lÕindividu, la personne, lÕAtikamekw, comment lui il se dsigne, le mot, le sens de lÕautodtermination est compris l-dedans. CÕest comme a, a ne peut pas tre autrement. Sinon, il ne sÕappellerait pas comme a, il ne se dsignerait pas comme a. Naorzio, cÕest un bien grand mot. Tantt on a essay de le cerner. LÕautodtermination, cÕest compris, cÕest intrinsque dans cette dsignation-l. a veut dire : libre, responsable. CÕest trs propos dÕaccoler ce mot-l, Naorzio, avec le mot autodtermination. Č (Ibid. : 17) (Bissonnette, Gentelet et Rocher 2005 : 147)
Bref, les tmoignages des personnes interviewes dans le cadre de notre enqute demeurent bel et bien dans la logique des rcits fondateurs et des conceptions atikamekw et innues lÕgard du territoire.
3. Pour un
dialogue se fondant sur le pluralisme des mondes et des logiques en prsence
Bien quÕayant conclu la persistance des rcits fondateurs et la vision du monde propre aux peuples autochtones, notamment par rapport la terre conue comme un lment essentiel de leur identit collective, profondment enracin dans leurs valeurs morales et spirituelles (CRPA 1996, vol. 2 (2ime partie) : 474)[5], la Commission royale sur les peuples autochtones nÕa pas pour autant nglig de discuter des difficults rencontres lorsque lÕon cherche en actualiser la reconnaissance au sein de lÕensemble de la socit canadienne. Il y a dÕabord des difficults lies une forme dÕignorance :
Ē Quand les autochtones parlent de retour leurs traditions, les non-autochtones sont souvent incrdules parce quÕils associent la culture des Premires nations, des Inuit et des Mtis aux peaux de daim, aux igloos et aux bisons. Trs peu savent quÕtre autochtone, cÕest un tat dÕesprit, et que les rcits montrant aux autochtones comment vivre ensemble et avec la cration Š cÕest--dire comment raliser pleinement leur nature humaine Š sont chargs de symboles qui transcendent le temps et les circonstances dans lesquelles ils ont t invents. Č (CRPA 1996, vol. 1 : 728).
Il y a aussi des difficults vcues au sein des groupes autochtones eux-mmes : Ē Mme certains autochtones ont du mal comprendre le symbolisme des enseignements de leur culture. (É) Ė lÕheure actuelle, bon nombre dÕobstacles empchent les autochtones du Canada de retrouver la sagesse de leurs anctres et de reprendre leurs modes de vie traditionnels, notamment lÕinterruption des relations et des communications qui a rsult de la perturbation des liens familiaux et de la perte de la langue.Č (Ibid. : 728-729)
DÕautres difficults sont lies au choc de deux visions fondamentales de la relation entre les autochtones et les autres Canadiens:
Ē Les gouvernements et la socit en gnral voient, dans ce que les autochtones considrent comme leurs territoires traditionnels, de simples terres de la Couronne ou terres publiques. LÕidologie qui a prdomin pendant plus dÕun sicle et qui a faonn la situation actuelle (particulirement au sud du 60 parallle) consistait confiner les autochtones dans des rserves et assumer le contrle du reste du territoire. En vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, les provinces ont t les principales bnficiaires de ce mode de rpartition du territoire. Cette idologie nÕa pas fonctionn et elle ne peut pas fonctionner. Les principes autochtones du partage et de la coexistence nous proposent un nouveau point de dpart et cÕest dans cet esprit que les Canadiens ont maintenant lÕoccasion de se pencher sur la question territoriale. Č (CRPA 1996, vol. 2 (2ime partie) : 471)
Lorsque les reprsentants des peuples autochtones et ceux de lÕtat se retrouvent ngocier ensemble, les diffrentes conceptions sous-jacentes des objectifs communs, refont rapidement surface. Jean-Paul Lacasse en a dress une liste trs instructive :
Ē Les notions de souverainet et dÕautonomie, expressions du langage de la socit allochtone, nÕont pas le mme sens dans la culture innue. Ces notions avec leurs concepts relis lÕautorit, la hirarchie des pouvoirs, aux structures gouvernementales, sÕintgrent mal aux valeurs innues. Boldt et Long signalent que cÕest la fodalit qui est lÕorigine de lÕautorit chez les Europens alors que lÕInnu nÕa pas connu la fodalit. Des rapports hirarchiques ont exist en Europe, mme sous une forme dictatoriale, bien avant lÕpoque de la fodalit. Chez les Innus, il faut plutt parler dÕgalitarisme quoique celui-ci nÕtait probablement pas absolu. Par ailleurs, lÕide dÕun gouvernement qui commande prend la forme, dans lÕordre innu, dÕune gestion collective. Chez les Europens, la souverainet implique lÕexistence dÕun tat tel que conu par le langage de la socit majoritaire, alors que lÕtat nÕtait pas ncessaire chez les Innus. LÕtat, dans la socit majoritaire, a la proprit et dispose du territoire sa guise, alors que dans lÕordre innu le territoire appartient au Crateur et est la disposition de tous, lesquels sont responsables de sa gestion. La socit innue est donc fonde tant sur la communaut que sur le territoire.
On voit donc que la reconnaissance dÕun gouvernement innu pourrait avoir pour consquence le retour de rgles diffrentes de celles qui ont cours dans la socit majoritaire : le concept de Ē proprit commune Č, qui nÕexiste que de faon exceptionnelle dans le Code civil du Qubec (article 913 : lÕeau); lÕimportance de la tradition orale dans lÕordre innu; une pluralit de dirigeants; un rle accru pour les ans; des institutions diffrentes et pas ncessairement Ē rtributives Č pour sanctionner les actes criminels. On aurait alors une approche centre sur lÕInnu, sa philosophie, ses besoins, ses aspirations, sa perspective en somme. Cette approche sÕoppose lÕapproche actuelle de la socit majoritaire qui, travers la Loi sur les Indiens et les politiques du gouvernement fdral, tend accorder ou reconnatre des pouvoirs aux Autochtones dans le seul cadre des institutions politiques et juridiques existantes de cette socit. Il faut souhaiter, par ailleurs, que le retour certaines valeurs traditionnelles se fasse dans des conditions favorables lÕensemble des membres des communauts. Č (Lacasse 2004 : 231-232)
Ce que rvlent les tmoignages des personnes interviewes dans le cadre de notre enqute, cÕest que, tout en tant parfaitement conscientes des transformations qui ont affect le mode de vie nomade de leurs anctres jusquÕ lÕactuelle sdentarisation, elles se sentent toujours responsables de perptuer leur tradition de gardiens du territoire (Bissonnette, Gentelet et Rocher : 145). Ceci dit, personne ne verse dans le dni de lÕhistoire. LÕanalyse des tmoignages recueillis dans les quatre communauts rvle en fait une conscience vive du dcalage entre les pratiques ancestrales par rapport au territoire et les pratiques dÕaujourdÕhui. Le territoire lui-mme a chang : Ē Juste regarder le territoire, le visage du territoire a normment chang Č (09.07.2003.046.F37 : 21). Cette femme de la communaut de Mingan souligne, en outre, quÕelle nÕa plus la libert que ses parents avaient de parcourir les bois, comme ils lÕentendaient et, de plus, elle nÕy retrouve plus la scurit quÕelle y a connue pendant son enfance. La rduction et la modification du territoire sont perus comme les lments dominants : Ē Les forestires sont passes, le dveloppement conomique est pass, le dveloppement minier est pass Č (17.09.2002.022.H52 : 4).
Pour certains, la solution rside dans la participation ces dveloppements, mais dans le respect de la culture autochtone. Mais ces dveloppements impliquent des choix difficiles: Ē Les territoires ancestraux, il faut les protger et aussi il va falloir les dvelopper. Y a un dilemme o est-ce quÕon travaille l-dessus. Y a un dilemme ! Un ct, on leur dit : Faut faire du dveloppement. Un autre ct, on dit : Faut faire de la protection ! Č (17.09.2002.024.F40 : 10-11). Un membre de la communaut de Mingan prsente ce dilemme un peu comme une histoire et raconte quÕĒ un an tait pris entre ses deux fils. Il y en un qui tait chasseur, mais il y en a un qui cherchait sÕinstruire, se former. a fait quÕil tait trs proccup Č sur la meilleure manire de transmettre son territoire de chasse (13.07.2003.053.H40 : 3-4). Analysant les consquences des transformations en cours et venir, une personne de Betsiamites dresse un vritable plan dÕaction dans la perspective dÕune plus grande autonomie de sa communaut : Ē a va demander une structure dÕorganisation sociale beaucoup plusÉ tendue, beaucoup plusÉ juridique, beaucoup plus lgislatif que du temps de mes grands-parents. LÕorganisation sociale, dans le temps, cÕtait par les grandes autoroutes des rivires, par le territoire. Maintenant, il va falloir grer, gouverner, diriger lÕensemble de ces droits par une organisation qui va demander beaucoup plus que dans le temps, que dÕtre des matres-chasseurs, matres-cueilleurs. Il va falloir adapter, adapter les droits innus avec les autres droits des autres utilisateurs du territoire Č (17.09.2002.022.H52 : 5).
Afin de poursuivre la rflexion, il convient dÕviter le pige des dichotomies et dÕouvrir lÕhorizon du prsent en lÕinscrivant dans le cours des processus historiques et des choix multiples qui sÕoffrent aux acteurs en prsence. Pour ce faire, je propose de recourir au modle utilis par tienne Le Roy afin de comparer les modes de rglement des conflits (2004 :124-125) en lÕadaptant au contexte autochtone[6]. videmment ce modle ne doit pas tre utilis selon une approche volutionniste qui voudrait, par exemple, que les socits passent du champ de la coutume endogne, celui du droit coutumier, etc. Le but de lÕexercice nÕest pas non plus de figer les mouvements en cours, mais dÕessayer dÕen prsenter une image qui rvle la fois comment le prsent sÕinscrit dans des processus variables mais complmentaires et comment les acteurs participent des mondes distincts, avec plus ou moins de ressources, se montrant plus ou moins capables de sÕy ajuster et utilisant des stratgies plus ou moins raffines, chacun de ces mondes tant domin par une logique spcifique. Enfin, puisquÕil sÕagit dÕun modle, il faut accepter ds le dpart quÕil sÕagit dÕune tentative de prsenter simplement et logiquement tous les faits significatifs de la situation considre (Ibid. : 52).[7]
Le premier monde[8] considr est marqu par les coutumes endognes pratiques par les autochtones avant lÕarrive des Europens et sÕinspirant de leur vision propre. Ce monde, pas plus que les autres, nÕest tanche. Depuis la colonisation, et surtout lors de la priode de dracinement et de tentative dÕassimilation des autochtones, lÕarrive des colonisateurs, des transformations conomiques, des migrations de certaines couches de la population et des conversions religieuses et culturelles, ont peu peu entran sa neutralisation. Mais il sÕagit toujours dÕun monde auquel certains acteurs appartiennent, mme si les pratiques concrtes ont chang, et o ils puisent des conceptions qui sont toujours opratoires et influentes aujourdÕhui.
Le deuxime monde considr est marqu par les droits coutumiers. Il est apparu pendant la priode de dracinement et de tentative dÕassimilation des autochtones alors quÕon a procd une rpression des coutumes endognes dans le cadre dÕun systme impos par lÕtat qui a introduit, au sein mme des pratiques autochtones, notamment par la mise en Ļuvre de la Loi sur les Indiens, de nouveaux modes de prise de dcision et de nouveaux mcanismes de contrle social. Dans ce monde des droits coutumiers, les coutumes endognes sont interprtes par les reprsentants de lÕtat, notamment par le systme judiciaire, lÕintrieur dÕun cadre de rfrence qui leur est tranger, ce qui a entran une dnaturation des droits traditionnels et la marginalisation du pouvoir autochtone. Par consquence, ce monde est associ un processus dÕabsorption de plus en plus grande des droits traditionnels ou des coutumes endognes. Ds lors, supposer une continuit logique ou culturelle entre coutumes endognes et droit coutumier, comme beaucoup le font encore, y compris chez des juristes de grande renomme au Canada, consiste en fait accepter une falsification des donnes historiques et anthropologiques.[9]
Le troisime monde considr est marqu par des droits populaires qui se forment en dehors des autorits aussi bien tatiques quÕautochtones et sont une cration nouvelle par rapport aux coutumes endognes, invoques et rinterprtes dans un contexte compltement transform. Face la distance des autorits ou en se jouant des personnes responsables du respect des normes tablies ou des modles de comportement et de conduite, viennent au jour et se perptuent des pratiques en matire de chasse ou en matire de gurison, par exemple, qui suscitent la controverse au sein des communauts.
Le quatrime monde considr est marqu par les droit local, qui rsulte de la dominance du droit tatique, notamment dans leurs modes de formation, de lgitimation et de contrle, et dÕune marge dÕautonomie accorde aux autorits locales autochtones suite des ngociations administratives ou politiques. Ce monde est dÕinspiration tatique, mais il est caractris par la possibilit de rinterprter des modles dÕintervention ou certaines dimensions institutionnelles la lumire des conceptions et des pratiques autochtones. Les droits locaux, dont font partie, par exemple, les ententes en matire de services sociaux et de sant, en matire dÕducation et celles qui sont toujours en ngociation en matire de droit foncier et dÕautonomie gouvernementale, sont donc des droits de nature ambigu, parce que les autochtones y interviennent directement pour lÕadapter leurs besoins, mais que lÕtat, tout en rehaussant sa lgitimit en sÕappuyant sur les accords ngocis avec les principaux intresss, y augmente son emprise sur la socit autochtone tant au plan des conceptions que des pratiques.
Le cinquime monde considr est marqu par le droit de la pratique comme exprience dÕadaptation des conceptions endognes aux contraintes contemporaines au-del des accords formels conclus avec les reprsentants de lÕtat. Il sÕagit souvent dÕun mode de rgulation qui sÕapplique aux services rendus par des personnes reconnues par la communaut pour leur capacit de satisfaire des besoins en dernier recours ou paralllement aux institutions en vigueur au sein du quatrime monde.
Toujours en suivant le modle construit par tienne Le Roy (Ibid. : 126-128), les donnes prsentes dans les colonnes du tableau suivant identifient les principales caractristiques de chacun de ces mondes et cherchent expliquer leurs modes de mobilisation dans les diffrentes juridictions de la dernire ligne du tableau. Les catgories des lignes 1 10 sont dfinies lÕAnnexe 1.
Comparaison
des modes de rglement des conflits
Rgulations juridiques Critres |
Coutume endogne A |
Droit coutumier B |
Droit populaire C |
Droit local D |
Droit de la pratique E |
Statut des acteurs 1 |
Membres des groupes de chasse Familles largies. |
Indiens diviss en bandes locales |
Habitants du voisinage |
Membres des communauts locales |
Clients et bnficiaires |
Ressources matrielles humaines intellec-tuelles 2 |
Mode de vie nomade Apprentissage par observation Rcits fondateurs et rcits de vie |
Mixit salariat/chasse Apprentissage par observation et par lÕcrit Pensionnat Catholicisme |
quipement moderne Leadership du meneur Affrontement ou vitement Rcits de vie |
Travail salari Apprentissage par lÕcrit Rcits fondateurs ou rcits de vie Rglementation |
Profession-nelles ou spcialises Apprentissage par lÕcrit |
Conduites 3 |
Reproduction du groupe; accueil et mme valorisation
des innovations provenant du monde tranger |
Stratgie de subordination/ domestication |
Tactiques de ractions agressives |
Tactique participative Stratgie intgrative |
Stratgies de recrutement |
Logiques 4 |
Fonctionnelle Holisme |
Institutionnelle Modernisation et autoritarisme |
Fonctionnelle Contestation |
Institutionnelle Lgitimation de lÕtat/ Dcentralisation |
Fonctionnelle Fidlisation |
chelles dÕespaces 5 |
Espace odologique, aire partage grande mobilit territoriale |
Topocentrisme au sein de la rserve Rduction de la mobilit |
Espace odologique, aire conteste |
Espace gomtrique Territoire de la rserve et au-del |
Espace gomtrique Territoire de la rserve et au-del |
chelles temporelles 6 |
Mga-processus |
Micro ou mso-processsus |
Micro-processus |
Macro-processus |
Mso-processus |
Forums/ arnes de rglement 7 |
Campements; Lieux de rencontres estivales |
LÕagent indien; la mission catholique |
Lieux publics; Rencontres en territoire |
Tables de ngociations; Participation des institutions |
Lieux o les services sont rendus |
Ordonnance-ments sociaux 8 |
Ngoci/ Accept (Langue autochtone) |
Impos (Franais/ Anglais) |
Contest/ Accept (F/A ou autochtone) |
Impos/ Ngoci (F/A/ autochtone) |
Accept/ Ngoci (F/A/ autochtone) |
Enjeux globaux 9 |
Alliances; mobilit territoriale |
Domestication de lÕidentit; sdentarisation |
Survivance prcaire; Rejet du racisme |
Identit autochtone au sein de lÕtat |
Grer les interstices |
Rgles du jeu communaut 10a |
Autonomie/ diplomatie/ alliances |
Contournements/ dtournements |
Mobilisation |
Mandats des reprsentants; lection locale Rfrendum |
Substitution/ collaboration |
Institutions/ Rgles coloniales/ tatiques 10b |
Alliances militaires et commerciales |
Affaires indiennes Conseil de bande |
Rglements entre les parties (inconnus de lÕtat) |
Ministres; Tribunaux; Confrences constitution-nelles. |
Politique dÕaccommode-ment |
Ce tableau permet de constater quÕaujourdÕhui, au sein des communauts atikamekw et innues, les acteurs appartiennent une pluralit de mondes, et quÕils cherchent y intgrer, avec ou plus moins de bonheur, les lments quÕils estiment essentiels leur reproduction. Ceci dit, le tableau rvle galement que le statut des acteurs, tout comme les autres catgories identifies (les ressources, les conduites, les logiques, les chelles spatiales, les chelles de temps, les forums, les ordonnancements sociaux, les enjeux et les rgles du jeu), varient lorsque lÕon passe dÕun monde un autre. Chacun des mondes identifis sÕinscrit dans un contexte historique marqu par des continuits et par des modifications de logique, certaines ayant entran de profonds traumatismes chez ceux et celles qui les ont subies; on pense notamment lÕimposition de lÕducation au sein des pensionnats et lÕexploitation des ressources par des forestires ou des socits dÕtat dont plusieurs des personnes interroges se sont plaintes, mais aussi au processus plus lent et en partie mieux accept de lÕinstallation demeure au sein des rserves au dtriment de la mobilit et du sentiment de libert au sein des territoires ancestraux. Il reste que le processus de sdentarisation qui a dbut au milieu du XIX sicle (Glinas 2000 et 2003; Mailhot 1996) et qui sÕest poursuivi jusquÕ la deuxime moiti du XX sicle[10], nÕa toujours pas limin le caractre communautaire des quelque 15 000 Innus regroups au sein de douze communauts locales (dix au Qubec, deux au Labrador) et des quelque 5 000 Atikamekw regroups au sein de trois communauts locales (toutes situes au Qubec). Ce processus de sdentarisation nÕa pas non plus fait taire leur imaginaire sÕinspirant notamment de leurs rcits fondateurs et perptuant chez eux un sentiment de responsabilit lÕgard du territoire et une trs forte valorisation de la mobilit en fort ou sur les lacs et rivires, l il est encore possible de le faire.
Ce tableau permet galement de constater que des changements importants ont t vcus par les Atikamekw et les Innus en termes dÕorganisation sociale. Par exemple, dans le monde de la coutume endogne, le statut des acteurs est li leur appartenance des groupes de chasse eux-mmes enchsss dans un complexe rseau de parent assurant une mobilit territoriale couvrant pratiquement lÕensemble du territoire ancestral : Ē Ė lÕpoque o ils taient des chasseurs nomades, les Innus circulaient lÕaise dans toute la moiti orientale de la pninsule du Qubec-Labrador; chaque groupe entretenait des relations troites avec ses voisins, on sÕintermariait, et les individus changeaient volontiers de groupe et de territoireČ (Mailhot 1993 : 43). Jos Mailhot a dÕailleurs soulign que, chez les Innus du Labrador, Ē occupation du territoire et parent sont indissociables Č, le territoire frquent par un individu refltant en pratique la structure de son rseau de parent et les Innus eux-mmes laissant Ē entendre que ce nÕtait pas tant un territoire quÕils se sentaient lis quÕ un groupe social Č (Ibid. : 139 et 150). Dans le monde du droit local, le statut des acteurs est li leur appartenance une communaut locale o les gens se sont sdentariss. La mobilit autrefois assure par le rseau de parent est en dclin. Au surplus, les tmoignages des personnes que nous avons interroges nous amnent penser que la famille elle-mme tend de plus en plus se rduire autour de la famille conjugale et laisser de plus en plus de place lÕindividualisme. Or le systme dÕchange gnralis qui a longtemps prvalu chez les Innus, selon lequel Ē celui qui ne partage pas spontanment peut tre aisment contraint le faire Č (Ibid. : 80), sÕinscrit au sein du groupe familial largi. Faut-il en dduire quÕavec les limitations la mobilit territoriale, lÕutilisation moins frquente du rseau de parent et la valorisation de plus en plus rpandue de lÕducation individuelle et du travail salari, ce systme est en train de sÕeffondrer graduellement comme par ncessit face des raisons structurelles ? Faut-il aussi en dduire quÕon assiste la constitution dÕun sentiment dÕappartenance la communaut locale au dtriment de la responsabilit de partager avec les personnes qui vivent lÕextrieur de cette communaut locale, mme si, formellement, elles font partie du rseau de parent ? Une premire analyse des entrevues rvle que cette tendance est exprime par certaines des personnes interviewes. Chose certaine, si lÕidentit autochtone est bel et bien maintenue, elle est configure diffremment selon les mondes auxquels on se rfre.[11]
Autre constatation dcoulant de lÕanalyse de ce tableau, les accords implicites ou explicites raliss au sein de lÕun des mondes nÕont pas de lgitimit dans les autres mondes tant et aussi longtemps quÕils ne sont pas rinterprts et justifis la lumire de la logique qui rgne au sein de chacun de ces autres mondes. Pour prendre lÕexemple du projet dÕentente avec les Innus qui, sans teindre les droits ancestraux, ni les dfinir de faon exhaustive, aurait pour effet de suspendre lÕexercice de tout aspect dÕun droit ancestral qui ne serait pas expressment prvu dans le trait (art. 3.3.4)[12], faisant en sorte quÕen pratique, le trait dfinirait de faon exhaustive les droits que les Innus pourront exercer, y compris ceux pouvant tre reconnus par les tribunaux aprs la conclusion du trait, les juristes sÕentendent pour affirmer quÕil sÕagit l dÕune Ē volution significative qui justifie lÕappellation de nouvelle gnration de traits Č(Grammond 2005 : 87). Mais dans quelle mesure ce qui apparat, dans le cadre du monde du droit local, comme une avance par rapport aux accords conclus pralablement entre les autochtones et lÕtat canadien et comme des fondements solides dÕune relation durable, sera interprt de faon positive par les acteurs qui se rfrent plutt au monde de la coutume endogne ? Ė mon avis, rien nÕest moins assur.
De la mme faon, les amnagements qui pourront tre adopts par rapport lÕapplication de la Charte canadienne des droits et liberts et de la Charte qubcoise des droits et liberts de la personne aux nouvelles institutions dÕautonomie gouvernementale qui seront cres au moment de la mise en Ļuvre du trait, devront tre expliqus en utilisant des arguments jouissant dÕune efficacit non seulement au sein du monde du droit local mais galement des autres mondes. Ė cet gard, mme si lÕon connat, par exemple, lÕimportance de ces instruments juridiques pour protger lÕgalit entre les femmes et les hommes, au niveau local, plusieurs femmes autochtones se sentent profondment mal lÕaise dÕavoir recours des normes constitutionnelles et des institutions quÕelles estiment trangres pour ne pas dire carrment coloniales, lorsquÕil sÕagit de contester les actes ou les dcisions des hommes, des organisations ou des gouvernements autochtones (Green 2003a : 49). Ė vrai dire, personne nÕaccepte de voir de nouvelles institutions autochtones agir de manire inquitable, mais on sÕinterroge sur les moyens utiliser pour encadrer lÕexercice de leur pouvoir. Simplement affirmer que la dynamique dÕnonciation de la diffrence autochtone sÕinscrit dans un contexte o Ē la bonne gouvernance par les droits fondamentaux apparat comme une condition objective du maintien de cultures plurielles vivantes Č ou encore que Ē la vitalit culturelle des socits autochtones (É) et leur autodtermination identitaire vritable passent par leur capacit de rflchir sur soi, par la dlibration, par la confrontation avec un environnement pluraliste et non par la dogmatisation idologique dÕune identit immmoriale exhumer Č (Otis 2005 : 145) nous semble passer ct de la question fondamentale de savoir quel est le caractre symbolique de la gouvernance qui peut la fois chapper des accusations de colonialisme[13] et tre opratoire chez les peuples autochtones. Or, selon les tmoignages qui nous ont t livrs pendant notre enqute, on ne saurait revendiquer de droits ni exercer de pouvoirs si on ne remplit pralablement ses obligations envers lÕensemble de la communaut. La scurit des personnes pourrait tout aussi bien se trouver dans le prolongement de cette logique communautaire qui nÕest pas dpourvue de mcanismes connus de leurs membres, favorisant leur participation et capables de contrer des tentatives dÕexercice arbitraire ou partial du pouvoir (Webber 2003). Au surplus, les peuples autochtones privilgient encore des solutions qui viennent du sein mme du groupe plutt que dÕune autorit qui leur est extrieure, ce qui correspond bien leur principe mtalogique de cration du monde. Chose certaine, le monde du droit local permet la ngociation dÕententes entre les peuples autochtones et les reprsentants de lÕtat. En principe, ces ententes ngocies devraient pouvoir inclure des lments exportables dans le monde de la coutume endogne.
Le tableau permet bien dÕautres analyses, mais il faut sÕarrter ici. Un mot seulement pour souligner quÕ lÕchelle nationale, le droit coutumier a pu tre rinterprt depuis lÕintgration des droits ancestraux et issus de trait dans la Loi constitutionnelle de 1982. Ė cet gard, il convient de rappeler quÕen valorisant auprs des peuples autochtones ces nouvelles dispositions constitutionnelles, les juges assouplissent un certain nombre de rgles au sein de la common law afin dÕy intgrer des conceptions autochtones. Cependant, de faon gnrale, une fois ces conceptions intgres au sein du systme juridique de tradition britannique, les valeurs, les croyances, les idologies auxquelles ces mmes juges font rfrence ont beaucoup plus voir avec la lgitimit de lÕtat canadien quÕavec le sentiment dÕinjustice vcu par les peuples autochtones (Bissonnette 1996 : 460-468). Et il faut souligner que les Indiens inscrits sur la liste du Ministre des Affaires indiennes nÕont obtenu de droit de vote aux lections fdrales quÕen 1960, et aux lections provinciales au Qubec quÕen 1969. En fait, pendant plus de cent ans, soit environ de 1840 1960, les lgislateurs au Canada ont rang les Indiens dans la catgorie des incapables, des mineurs au sens de la loi. Et ceux-ci ont souvent dclar illgitimes les lois adoptes leur gard sans leur consentement, ni leur participation. La configuration actuelle du Canada est, en grande partie, le rsultat dÕune entreprise concerte de dpossession territoriale, politique et culturelle des peuples autochtones, mene principalement au XIX sicle, mais dont certaines caractristiques perdurent encore aujourdÕhui. Ces considrations stratgiques nÕchappent certainement pas aux reprsentants de lÕtat qui participent aux ngociations qui se poursuivent toujours lÕchelle locale, nationale et internationale. Mais, du mme souffle, il faut souligner que les reprsentants des peuples autochtones utilisent lÕouverture quÕont cre ces dbats pour raffirmer leur vision du monde et leur interprtation des droits ancestraux, du rapport au territoire et de la gouvernance.
Comme au sicle dernier, il arrive trop souvent que les enjeux soient construits sous une forme dÕalternative irrconciliable : Ē ou bien ils doivent changer leur mode de vie, ou bien ils doivent mourir Č (Savard 1985 : 53), ce qui peut se traduire aujourdÕhui par : Ē ou bien ils intgrent les rgimes de proprit publique territoriale, mais limits une aire gographique prcise, quitte oublier leurs conceptions traditionnelles du territoire, ou bien ils perdent tout Č ou encore Ē ou bien ils acceptent dÕtre rgis par les droits de la personne comme tout autre gouvernement, ou bien ils nÕobtiennent aucune reconnaissance de lÕtat en matire de gouvernance locale. Č Pourtant, le discours des peuples autochtones ne sÕinscrit pas dans une vision manichenne et vise plutt rpondre des attentes exprimes par des parties qui doivent vivre ensemble et qui devraient apprendre mieux se connatre, comme nous lÕa exprim une personne qui a t trs implique dans les ngociations territoriales globales des Atikamekw :
Ē Quand on me dit : Ē Dfinis donc tes droits ! Č, quand je me fais dire a, des foisÉ tu peux pas commencer dfinir, cÕest trop large, cÕest trop grand, cÕest toute ! Ok. MÕa essay de te dire de quoi lÉ Dans la ngociation l, ils disaient : Ē Oui, vous avez des droits, mais il faut les dfinir, ok ! Č Moi, jÕen revenais pas. Si le gouvernement canadien me demande de dfinirÉ CÕest lui dfinir cÕest quoi mes droits, comprends-tu ? CÕest lui dfinir quÕest-ce quÕil y a comme droit, quÕest-ce quÕil me laisse comme droits. Tu sais ? Parce que, moi, jÕai toutes les droits, toutes, toutes. Si je commenais dfinir, jÕen finirais pas. DÕailleurs, il faut se rendre dans la ralit, il faut se rendre lÕvidence que, nous autres actuellement, on est rattach vous autres, on est rattach tout ce qui se passe lÕextrieur. (É) Moi, ma ralit, cÕest quÕil faut vivre avec ce quÕon a maintenant. Il y a du monde qui sont l, ils ont dvelopp ben des choses, il faut sÕorganiser avec eux autres, pour vivre ensemble, tu sais, en harmonie. Č (29.08.2002.007.H55 : 4-5 Manawan)
Annexe
1
Lgendes
et commentaires du Tableau :
Comparaison
des modes infra-tatiques de rglement des conflits
(extraits
tirs de Le Roy 2004 : 126-128)
Ē Les catgories des lignes 1 10 sont (É) empruntes au jeu des lois qui, dans sa premire partie, chapitre par chapitre, en fait une prsentation dtaille. On y renvoie donc le lecteur soucieux dÕun approfondissement du modle. Les quelques indications suivantes sont destines lever les principales ambiguts.
1. Statuts des acteurs. Il sÕagit des positions juridiques des intervenants dans les processus de rglement des conflits rsultant de leurs rles sociaux. On pose ici la multiplicit des appartenances des groupes diffrencis, donc la pluralit des statuts et Ē des mondes Č dans lesquels ils sÕinscrivent.
2. Ressources. On entend par l les moyens utiliss et les supports de lÕaction pour y parvenir. Les ressources peuvent tre matrielles (M), humaines (H) ou intellectuelles (I) comme connaissances, comptences, etc.
3. Conduites. Les actions peuvent tre anticipatives, se projeter selon des enjeux (case 9) dont on espre un gain (stratgies), ou ractives ou adaptatives (tactiques).
4. Logiques. Elles sont abordes ici comme des rationalisations de lÕaction et pour la conduire ou la justifier. Depuis les travaux de M. Alliot, on distingue, au plus simple, entre logiques institutionnelles (É) et logiques fonctionnelles, fondant le Droit Ē raliste Č endogne puis toutes les formes du Ē Droit de la pratique Č.
5. Les chelles spatiales. On parle le plus souvent dÕchelles spatio-temporelles, la relation entre lÕorganisation de lÕespace et celle du temps tant trs gnrale. On distingue entre des reprsentations diffrentes. LÕune est moderne, dite dans la case D5 de nature gomtrique en ce sens quÕelle est base sur la capacit de mesurer (metros) le globe terrestre (g/geos) et quÕelle est la base de la proprit prive et de la souverainet politique. Les autres sont des relations pr-modernes et post-modernes, fondes sur des conceptions topocentrique et odologique, o ce sont un point (topos) ou un cheminement (odos) qui dterminent les formules dÕorganisation de lÕespace.
6. Les chelles de temps et processus. Les processus sont des ajustements de conduites selon une dure et pour produire un rsultat. Ils peuvent tre approximativement de court terme (moins dÕun an), moyen terme (cinq ans), long terme (trente ans), trs long terme (cent ans et plus). De ce fait, on parlera respectivement de microprocessus, msoprocessus, macroprocessus et mgaprocessus.
7. Les forums. Ce sont les lieux dÕchange, de confrontation, de dcision et de rglement des conflits. Le forum romain en est lÕarchtype en rpondant aux trois fonctions : conomiques(marchs), politiques et judiciaires (tribunal de la plbe), sociales (places de rencontre).
8. Ordonnancements sociaux. Ē Mettre en forme et mettre des formes Č (Bourdieu) est une exigence que partagent toutes les socits qui doivent produire des ordonnancements particuliers. On distingue ici les ordres sociaux impos, ngoci, accept et contest, les socits en privilgiant un mais en combinant plusieurs selon la complexit de leurs montages sociaux. LÕordre impos est videmment lÕessence du modle colonial.
9. Enjeux. Ē En Č Ē jeux Č, ce qui est mis dans le jeu, la manire dÕun pari, donc peut tre gagn ou perdu. Les enjeux impliquent des rgles (the game en anglais) mais aussi une connaissance et un art de la pratique (the play). On Ē joue Č ici sur les distinctions entre lÕimmdiat et le diffr, le matriel et le symbolique, lÕorganisationnel et le pragmatisme, en les combinant nouveau. Nous cherchons dboucher sur Ē ces enjeux que la socit tient pour vitaux et, quÕ ce titre, elle juridicise Č (Le Roy 1999 : 161) en les sanctionnant.
10. Rgles du jeu. La connaissance des enjeux et leur Ē mise en musique Č permettent dÕanalyser dynamiquement les contraintes et les potentialits du fonctionnement des socits. On a pris en compte paralllement ici deux points de vue et qui avaient peu de chance de se rencontrer durant la colonisation, celui des Africains (10a) et celui du colonisateur (10b).
Ces Ē positions Č supposent des statuts, puis des ressources et des conduites, et par lÕenchanement des facteurs (le modle formel du jeu des lois tant une spirale identifiant partir de la case 10 les rgles du jeu), nous revenons une lecture de nos paramtres, en sachant que toute modification de lÕun dÕentre eux entrane lÕajustement rciproque de tous les autres.
CÕest le sens du jeu des lois. Mais cÕest aussi la loi du jeu que de voir contredites les plus belles stratgies par des facteurs irrationnels, la poisse, lÕangoisse ou la foi, ou par plus fort que soi. Č
OUVRAGES CITS
BISSONNETTE, Alain, Ē Droits autochtones et droit civil : opposition ou complmentarit ? Le cas de la proprit foncire Č, in Recueil des textes prsents la confrence Henri-Capitant du 12 avril 1991, Outremont, Association Henri-Capitant (section qubcoise), 1992 : 1-13.
BISSONNETTE, Alain, Ē Le droit lÕautonomie gouvernementale des peuples autochtones : un phnix qui renatra de ses cendres Č, (1993) Revue Gnrale de Droit : 5-25.
BISSONNETTE, Alain, Ē Le juge canadien et son interprtation des droits des peuples autochtones Č, in Claude Bontems (sous la direction de), Le juge : une figure dÕautorit, Paris, LÕHarmattan, 1996 : 459-491.
BISSONNETTE, Alain, Karine GENTELET et Guy ROCHER, Ē Droits ancestraux et pluralit des mondes juridiques chez les Innus et les Atikamekw du Qubec Č, in Christoph Eberhard (sous la direction de), Droit, gouvernance et dveloppement durable. Cahiers dÕAnthropologie du droit 2005, Paris, Karthala, 2005 : 139-164.
BOHANNAN, Paul, How Culture Works, New York, The Free Press, 1995,
217 p.
BOURDIEU, Pierre, Jean-Claude CHAMBOREDON et Jean-Claude PASSERON, Le mtier de sociologue, Paris, Mouton, 4 dition, 1983, 357 p.
BOURDIEU, Pierre, Mditations pascaliennes, Paris, Seuil, 2003, 391 p.
COMMISSION ROYALE SUR LES PEUPLES AUTOCHTONES, Un pass, un avenir, Ottawa, Rapport Vol. 1, 1996, 802 p.
COMMISSION ROYALE SUR LES PEUPLES AUTOCHTONES, Une relation redfinir, Ottawa, Rapport Vol. 2 (2ime partie), 1996, 1235 p.
DUMONT, Louis, Essais sur lÕindividualisme. Une perspective anthropologique sur lÕidologie moderne, Paris, Esprit/Seuil, 1983, 280 p.
GLINAS, Claude, La gestion de lÕtranger. Les Atikamekw et la prsence eurocanadienne en Haute-Mauricie, Sillery, Septentrion, 2000, 371 p.
GLINAS, Claude, Entre lÕassommoir et le godendart. Les Atikamekw et la conqute du Moyen-Nord qubcois 1870-1940, Sillery, Septentrion, 2003, 300 p.
GRAMMOND, Sbastien, Ē LÕaccord NisgaÕa et lÕentente avec les Innus : vers une nouvelle gnration de traits ? Č, in G. Otis (sous la direction de), Droit, territoire et gouvernance des peuples autochtones, Qubec, Les Presses de lÕUniversit Laval, 2005, 197 p. : 83-98.
GREEN, Joyce, Ē Balancing Strategies:
Aboriginal Women and Constitutional Rights in Canada Č, in A. Dobrowolsky
and V. Hart (edited by), Women Making Constitutions. New Politics and
Comparative Perspectives, London, Palgrave Macmillan, 2003a : 36-51.
GREEN, Joyce, Ē Decolonization and
Recolonization in Canada Č, in W. Clement and L. F. Vosko (edited by), Changing
Canada. Political Economy as Transformation, Montreal & Kingston, McGill-QueenÕs
University Press, 2003b : 51-78.
LACASSE, Jean-Paul, Les Innus et le territoire. Innu tipenitamun, Sillery, Septentrion, 2004, 274 p.
LAJOIE, Andre et al., Prsentation du projet Autochtonie et Gouvernance lÕintention des membres du Comit valuateur de Valorisation-Recherche Qubec, Montral, manuscrit, janvier 2004, 38 p.
LE ROY, tienne, Ē Juristique et anthropologie : un pari sur lÕavenir Č, Bulletin de liaison de lÕquipe de recherche en anthropologie juridique (1984) No. 6 : 119-143.
LE ROY, tienne, Les fondements anthropologiques et philosophiques des droits de lÕHomme, Sommaire de lÕenseignement donn pour la 28ime session de lÕInstitut international des Droits de lÕHomme de Strasbourg, 1997, disponible sur le site : http://www.dhdi.free.fr/recherches/droithomme/articles/fdtsdh.htm.
LE ROY, tienne, Le jeu des lois. Une anthropologie Ē dynamique Č du Droit, Paris, Librairie Gnrale de Droit et de Jurisprudence, 1999, 415 p.
LE ROY, tienne, Les Africains et lÕInstitution de la Justice. Entre mimtismes et mtissages, Paris, Dalloz, 2004, 284 p.
MAILHOT, Jos, Au pays des Innus. Les gens de Sheshatshit, Montral, Recherches amrindiennes au Qubec, 1993, 184 p.
MAILHOT, Jos, Ē La marginalisation des Montagnais Č, in P. Frenette (sous la direction de), Histoire de la Cte-Nord, Qubec, Institut qubcois de recherche sur la culture, 1996, 667 p. : 321-357.
MAILHOT, Jos et Sylvie VINCENT, Ē Le droit foncier montagnais Č, Interculture (1982), vol. 15(2-3) : 65-74.
MAILHOT, Jos et Sylvie VINCENT, Le discours montagnais sur le territoire, Qubec, rapport soumis au Conseil Attikamek-Montagnais, 1980, 213 p.
MORIN, Michel, LÕusurpation de la souverainet autochtone. Le cas des peuples de la Nouvelle-France et des colonies anglaises de lÕAmrique du Nord, Montral, Boral, 1997, 334 p.
OTIS, Ghislain, Ē La gouvernance autochtone avec ou sans la charte canadienne ? Č, in G. Otis (sous la direction de), Droit, territoire et gouvernance des peuples autochtones, Qubec, Les Presses de lÕUniversit Laval, 2005, 197 p. : 127-187.
ROULAND, Norbert, Anthropologie juridique, Paris, Presses universitaires de France, 1988, 496 p.
SAVARD, Rmi, La voix des autres, Montral, LÕHexagone, 1985, 344 p.
SAVARD, Rmi, La fort vive. Rcits fondateurs du peuple innu, Montral, Boral, 2004, 216 p.
WEBBER, Jeremy, Reimagining Canada. Language, Culture, Community, and
the Canadian Constitution,
Kingston & Montreal, McGill-QueenÕs University Press, 1994, 373 p.
WEBBER, Jeremy, What Does the Rule of Law Mean for the Governance of
Indigenous Communities ?,
Paper first presented at the Law Commission of Canada/Assembly of First
Nations/Indigenous Bar Association Conference on ŅGovernance, Self-Government,
and Legal PluralismÓ, Hull (Qubec), 23-24 April 2003, 22 p.
[1] Avocat, membre du Barreau du Qubec, et anthropologue, Alain Bissonnette est chercheur autonome et consultant dans le domaine de la coopration internationale. Il participe au projet de recherche Autochtonie et gouvernance. Lire la prsentation du projet dans Lajoie et al. 2004 et sur le site http://www.autochtonie.umontreal.ca/fr/description.html. Le texte prsent ici se veut un complment dÕun prcdent article rdig avec la collaboration de Karine Gentelet et de Guy Rocher en 2005. TOUS DROITS RSERVS.
[2] Paul Bohannan, qui a milit pour ce genre dÕanalyse depuis les tout dbuts de sa carrire, rappelait rcemment combien le langage utilis pour communiquer est imprgn des valeurs culturelles : Ē The categories of grammar shape not only our speech but our thought. We may not always think in words; but to express ourselves in language Š that is, to communicate meaning Š we usually use words and grammar. When people communicate anything beyond the most basic animal perceptions such as fear or lust, they must do so within the schemata of the grammar of some language. A deep irony Š and trap Š arises here: human beings cannot communicate even their simplest perceptions without communicating the cultural values that underlie and shape these perceptions. Č (Bohannan 1995 : 19)
[3] La meilleure analyse ce jour de lÕensemble de cette problmatique est contenue, mon avis, dans le rcent ouvrage de Jean-Paul Lacasse (2004).
[4] Il faut lire ainsi la numrotation utilise pour dsigner les entrevues : 06.06.2004 correspond la date o lÕentrevue a eu lieu; 061 au numro de lÕentrevue en tant que telle, ici la soixante-et-unenime qui a t ralise; F71 au sexe de la personne interroge et son ge; 9 au numro de la page de la transcription dÕo est tire la citation.
[5] La Commission a qualifi les rgimes fonciers autochtones en indiquant que Ē [l]e terme Ē communal Č semble tre particulirement indiqu pour dcrire les rgimes de proprit autochtone, parce que ceux-ci ne ressemblent ni aux rgimes de proprit individuelle prive, ni au rgime de gestion par lÕtat, assorti dÕun libre accs, qui est actuellement en vigueur sur les terres domaniales du Canada. Mme lorsquÕil existait des territoires familiaux et tribaux, ces rgimes combinaient le principe de lÕaccs et de lÕutilisation universels au sein du groupe, ceux de la participation universelle et consensuelle la gestion et de limites territoriales variables en fonction de rgles sociales. Č (CRPA 1996, vol. 2 (2ime partie) : 505)
[6] Dans un article prcdent, une premire version de ce modle a t utilise pour analyser les ractions de diffrents groupes autochtones au projet dÕAccord constitutionnel de Charlottetown (Bissonnette 1993).
[7] Pas plus que la construction de lÕobjet, la construction du modle ne peut tre rsolue dÕavance et une fois pour toutes. La dmarche, procdant par essais et erreurs, sÕinscrit dans une problmatique pralablement analyse et critique par les chercheurs qui construisent le modle avec une volont dÕaller plus loin grce son pouvoir de rupture et de gnralisation. Idalement, le modle doit permettre Ē de traiter diffrentes formes sociales comme autant de ralisations dÕun mme groupe de transformations et de faire surgir par l des proprits caches qui ne se rvlent que dans la mise en relation de chacune des ralisations avec toutes les autres, cÕest--dire par rfrence au systme complet des relations o sÕexprime le principe de leur affinit structurale. Č (Bourdieu, Chamboredon et Passeron 1983 : 79)
[8] On pourrait tout aussi bien le dnommer Ē champ Č au sens o lÕentend Bourdieu, chaque champ se caractrisant par la poursuite dÕune fin spcifique, propre favoriser des investissements chez tous ceux qui possdent les dispositions requises. Participer un champ, cÕest prendre au srieux des enjeux qui, ns de la logique du jeu lui-mme, en fondent le srieux. La logique spcifique dÕun champ sÕinstitue lÕtat incorpor sous la forme dÕun habitus spcifique, ou, plus prcisment, dÕun sens du jeu, ordinairement dsign comme un Ē esprit Č ou un Ē sens Č, qui nÕest pratiquement jamais pos ni impos de faon explicite (Bourdieu 2003 : 24-25). Lire tout particulirement les pages 140 153 dans le mme ouvrage.
[9] Lire les analyses clairantes de Le Roy ce sujet en contexte africain (2004 : 109-116).
[10] Chez certains groupes innus, les migrations lies la vie nomade ont cess et le passage des tentes aux maisons sÕest effectu vers la fin des annes 1960 (Mailhot 1993 : 137; Savard 2004 : 12).
[11] Une hypothse vrifier : lÕappartenance locale ou nationale au sein du monde du droit local ne correspond-elle pas au rgne de lÕindividualisme comme valeur comme cÕest le cas en Occident o non seulement la nation accompagne historiquement lÕindividualisme, mais o lÕinterdpendance entre les deux sÕimpose au point o lÕon peut dire que Ē la nation est la socit globale compose de gens qui se considrent comme des individus Č (Dumont 1983 : 20-21).
[12] Le texte du projet dÕentente est disponible sur le site : http://www.autochtones.gouv.qc.ca/relations_autochtones/ententes/innus/20040331.htm.
[13] Ē [D]ecolonization requires
the inclusion of colonized peoples in institutions of power, the design of
which in politically significant ways reflects the priorities and cultural
assumptions of the colonized as well as those of the colonizer. (É) Decolonization
requires structural and procedural changes Č (Green 2003b : 53-54).