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Jean Dubois
Educateur de la protection judiciaire
L'éducateur agit avec un mandat judiciaire et se trouve, du
fait de l'élargissement du domaine juridique au social et à
l'éducatif, au coeur de logiques professionnelles différentes,
voire contradictoires. Une situation en miroir qui illustre un des paradoxes
de l'inflation juridique.
Un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse, mandaté
dans sa fonction par l'appareil judiciaire se trouve en raison de
l'élargissement du rôle de celui-ci au coeur des conséquences
de l'apparition de nouvelles situations de mise en oeuvre du droit. Quelle
est la part d'initiative ou de déterminisme dans ce jeu subtil du
social et du droit ? Il se constitue une panoplie assez complète des
différentes articulations du droit influant sue les logiques
professionnelles des éducateurs PJJ, tant d'un point de vue interne
que dans leurs relations externes.
D'où un risque de décalage entre les discours et les pratiques
d'une fonction, qui était jusqu' alors repérée,
instituée voir stigmatisée. Notre enjeu sera de présenter
certaines de ces situations nouvelles, puis d'essayer d'en analyser les effets
au regard du droit.
Je en ferai ici qu'à certaines situations, ne prétendant pas
couvrir l'ensemble des réalités. Elles n'ont qu'une valeur
démonstrative et leur choix est totalement subjectif. Cependant elles
constituent un point de départ à notre réflexion sur
la diversité des mises en oeuvre du droit.
En effet, à partir du moment où l'action de l'éducateur
PJJ s'ouvre sur l'extérieur, il s'extrait du cadre étroit du
mandat judiciaire individuel. De la restauration individuelle on passe à
l'articulation de l'individu dans le groupe, à la prise en compte
des incidences extérieures, bref à une vision globale du
problème.
C'est ainsi qu'entrent en jeu les différents facteurs d'insertion
: la santé, la scolarité et l'emploi.
La santé est un souci de plus en plus vivace dans les structures de
la PJJ, que ce soit sous la forme de prévention ou de suivi. La plupart
des équipes comptent d'ailleurs dans leurs effectifs des psychologues
participant aux projets éducatifs mis en place.
En outre, le point important réside actuellement dans la volonté
d'entretenir des relations plus soutenues avec les partenaires de l'Education
nationale. Le but est de travailler au plus près des difficultés
rencontrées par les jeunes dans leur scolarisation, utiliser les moyens
pour les réinscrire dans un cursus scolaire. Ceci va de pair avec
une réflexion sur la dérive de certains d'entre eux, se
plaçant en rupture des institutions scolaires ou posant des actes
de violence.
Il peut être intéressant de citer l'expérience de la
classe intermédiaire du CES Pablo-Picasso (Val d'Oise) où une
éducatrice de la PJJ est intégrée à l'équipe
pédagogique y tenant le rôle de personne relais, apte entre
autre à réduire les difficultés relationnelles entre
professeurs et élèves.
A cela s'ajoute la participation des éducateurs PJJ aux nombreux
dispositifs de la politique de la ville, notamment celui de développement
social des quartiers (DSQ) ou dans les comités communaux de
prévention de la délinquance (CCPD). De la sorte leurs nouvelles
attributions les impliquent au coeur des problèmes des jeunes : logement,
formation professionnelle, illettrisme, activités sportives et
culturelles. Ce repositionnement de l'acte d'éduquer dans une dimension
sociale totale regroupant le milieu naturel, l'environnement et les groupes
sociaux, modifie les logiques professionnelles de l'éducateur PJJ.
Le droit qu'il utilise ne se résume plus à l'application des
lois du Code pénal ou civil (ordonnance du 2 février 1945 relative
à la délinquance des mineurs, les articles 375 et suivants
du Code civil concernant les jeunes en danger et le décret du 18
février 1975 en faveur des jeunes majeurs). C'est cette
particularité que nous allons tenter d'analyser.
Pour clarifier la présentation des différents cas de figure,
j'aurai recours à des types idéaux ; c'est-à-dire que
j'organiserai le travail de l'éducateur PJJ autour de trois axes
principaux : le juridique, le social, l'éducatif. Il va sans dire
qu'il s'agit là d'une pure construction abstraite, qui présente
pour intérêt de clarifier la mise en oeuvre du droit.
Voici les trois situations envisagées :
(1) La première est juridique ; elle répond par
définition au statut de l'éducateur PJJ comme agent de
régulation sociale placé sous l'autorité tutélaire
de la justice.
Dans cette perspective, la primauté est donnée à la
règle de droit écrite, axe autour duquel s'élabore son
travail. Celui-ci recherchera alors les éléments de faits
extérieurs (informations familiales, professionnelles, psychologiques)
qui ont influé sur l'acte du jeune.
Ils seront pris en compte après être passés au tamis
de la rationalité juridique ; soit une interprétation implicitement
ou explicitement fondée sur des concepts, des logiques de pensée
propres aux juristes. Pour n'en citer qu'une seule, tout acte incriminé
fait l'objet d'une reformulation qui prétend être plus conforme,
fidèle à une pseudo-réalité sociale ; ainsi le
vol est une soustraction frauduleuse du bien d'autrui (art. 379 du Code
pénal).
Le cadre juridique limite la relation à deux intervenants : le
magistrat-l'éducateur ; les autres n'interviennent que ponctuellement
afin de rendre compte au magistrat des informations utiles à sa prise
de décision.
Dans ce schéma, la majeure partie du travail du service éducatif
auprès du tribunal (SEAT) de la PJJ illustre cette logique, ne serait-ce
que lorsque les éducateurs sont amenés à la demande
du Parquet, après signalement, à conduire un entretien avec
un mineur ou sa famille et soumettre ensuite une proposition de mesure
éducative.
(2) La deuxième situation se caractérise par une
plongée dans le social, où la confrontation avec le droit s'exerce
sur le registre des possibles, en termes d'adéquation des moyens aux
règles de droit, des cas particuliers aux principes
généraux.
C'est ainsi que s'agencent les solutions les plus originales d'application
du droit, ne s'analysant plus comme une règle imposée et imposant
une conduite à tenir mais comme une suite de prescriptions de valeurs
pour lesquelles règne un accord unanime quant à leur
réalisation.
Pour exemple, on peut retenir le problème des jeunes sous mandat
judiciaire et déscolarisés. Auparavant, on appliquait le principe
de l'éducation obligatoire et gratuite en créant des institutions
spécialisées de l'éducation surveillée (ISES)
en marge de la société.Aujourd'hui le principe est respecté
tout en concevant de nouvelles formules au sein des établissements,
telle que la classe intermédiaire précédemment
citée.
Dès lors la volonté n'est plus de réduire les situations
à un modèle unique mais de mettre à profit l'ensemble
des moyens institutionnels, administratifs et relationnels.
Cette vision requiert toutefois que chaque partenaire soit pourvu d'une
égale disponibilité et d'une entière autonomie d'action
et de décision.
(3) Quant à la troisième situation fondée su
une relation interpersonnelle éducateur-jeune, elle est très
fortement emprunte de psychologie ; les principes moraux et le modèle
de comportement y jouent un rôle important.
Ainsi dans le cas de rentrées tardives du jeune à l'institution
la résolution juridique voudrait que l'on se réfère
au droit qui tenant l'institution responsable du mineur, l'accueille quelle
que soit l'heure. La perception sociale du problème pourrait pourrait
consister à le laisser dehors tout en lui indiquant un abris pour
dormir. Tandis que l'approche éducative serait de le laisser assumer
son acte jusqu'au lendemain, pour ensuite reprendre avec lui l'acte et ses
conséquences (la transgression du règlement intérieur
etc.).
L'élément déterminant dans ce type de travail reste
le facteur temps et l'adhésion du jeune au projet.
Cette triade juridique/social/éducatif permet certes de rendre visible
la complexité des interférences du droit sur la logique
professionnelle de l'éducateur PJJ, mais reste très limitée
au regard de la diversité de la réalité. Ainsi, il n'est
pas rare de retrouver ces formes distinctes de droit (normatif, contractuel
et symbolique) dans le même type de situation ; le rappel à
l'ordre dans les cas d'urgence peut traduire l'ensemble des
caractéristiques.
Il n'y a donc pas dans cette réflexion une volonté de
révéler une quelconque vérité, mais de fournir
des éléments qui méritent d'entrer en considération
dans les projets de réponses de l'administration PJJ face aux demandes
sociales.
L'éducateur PJJ sera, semble-t-il toujours, confronté au paradoxe
de devoir pour s'ouvrir pleinement sur le social, s'affranchir de la logique
juridique qui le lie à son autorité de tutelle : la justice.
Sans cela pourra-t-il prendre pleinement possession de sa qualité
de travailleur social ?