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groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

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Jean Dubois

Educateur de la protection judiciaire


Le rôle de l'éducateur

(paru dans Informations sociales :

La demande de droit”, n° 22, 1992, p 84-88)

L'éducateur agit avec un mandat judiciaire et se trouve, du fait de l'élargissement du domaine juridique au social et à l'éducatif, au coeur de logiques professionnelles différentes, voire contradictoires. Une situation en miroir qui illustre un des paradoxes de l'inflation juridique.

Un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse, mandaté dans sa fonction par l'appareil judiciaire se trouve en raison de l'élargissement du rôle de celui-ci au coeur des conséquences de l'apparition de nouvelles situations de mise en oeuvre du droit. Quelle est la part d'initiative ou de déterminisme dans ce jeu subtil du social et du droit ? Il se constitue une panoplie assez complète des différentes articulations du droit influant sue les logiques professionnelles des éducateurs PJJ, tant d'un point de vue interne que dans leurs relations externes.

D'où un risque de décalage entre les discours et les pratiques d'une fonction, qui était jusqu' alors repérée, instituée voir stigmatisée. Notre enjeu sera de présenter certaines de ces situations nouvelles, puis d'essayer d'en analyser les effets au regard du droit.

Les nouvelles pratiques

Je en ferai ici qu'à certaines situations, ne prétendant pas couvrir l'ensemble des réalités. Elles n'ont qu'une valeur démonstrative et leur choix est totalement subjectif. Cependant elles constituent un point de départ à notre réflexion sur la diversité des mises en oeuvre du droit.

En effet, à partir du moment où l'action de l'éducateur PJJ s'ouvre sur l'extérieur, il s'extrait du cadre étroit du mandat judiciaire individuel. De la restauration individuelle on passe à l'articulation de l'individu dans le groupe, à la prise en compte des incidences extérieures, bref à une vision globale du problème.

C'est ainsi qu'entrent en jeu les différents facteurs d'insertion : la santé, la scolarité et l'emploi.

La santé est un souci de plus en plus vivace dans les structures de la PJJ, que ce soit sous la forme de prévention ou de suivi. La plupart des équipes comptent d'ailleurs dans leurs effectifs des psychologues participant aux projets éducatifs mis en place.

En outre, le point important réside actuellement dans la volonté d'entretenir des relations plus soutenues avec les partenaires de l'Education nationale. Le but est de travailler au plus près des difficultés rencontrées par les jeunes dans leur scolarisation, utiliser les moyens pour les réinscrire dans un cursus scolaire. Ceci va de pair avec une réflexion sur la dérive de certains d'entre eux, se plaçant en rupture des institutions scolaires ou posant des actes de violence.

Il peut être intéressant de citer l'expérience de la classe intermédiaire du CES Pablo-Picasso (Val d'Oise) où une éducatrice de la PJJ est intégrée à l'équipe pédagogique y tenant le rôle de personne relais, apte entre autre à réduire les difficultés relationnelles entre professeurs et élèves.

A cela s'ajoute la participation des éducateurs PJJ aux nombreux dispositifs de la politique de la ville, notamment celui de développement social des quartiers (DSQ) ou dans les comités communaux de prévention de la délinquance (CCPD). De la sorte leurs nouvelles attributions les impliquent au coeur des problèmes des jeunes : logement, formation professionnelle, illettrisme, activités sportives et culturelles. Ce repositionnement de l'acte d'éduquer dans une dimension sociale totale regroupant le milieu naturel, l'environnement et les groupes sociaux, modifie les logiques professionnelles de l'éducateur PJJ. Le droit qu'il utilise ne se résume plus à l'application des lois du Code pénal ou civil (ordonnance du 2 février 1945 relative à la délinquance des mineurs, les articles 375 et suivants du Code civil concernant les jeunes en danger et le décret du 18 février 1975 en faveur des jeunes majeurs). C'est cette particularité que nous allons tenter d'analyser.

Pluralisme juridique et logique professionnelle

Pour clarifier la présentation des différents cas de figure, j'aurai recours à des types idéaux ; c'est-à-dire que j'organiserai le travail de l'éducateur PJJ autour de trois axes principaux : le juridique, le social, l'éducatif. Il va sans dire qu'il s'agit là d'une pure construction abstraite, qui présente pour intérêt de clarifier la mise en oeuvre du droit.

Voici les trois situations envisagées :

(1) La première est juridique ; elle répond par définition au statut de l'éducateur PJJ comme agent de régulation sociale placé sous l'autorité tutélaire de la justice.

Dans cette perspective, la primauté est donnée à la règle de droit écrite, axe autour duquel s'élabore son travail. Celui-ci recherchera alors les éléments de faits extérieurs (informations familiales, professionnelles, psychologiques) qui ont influé sur l'acte du jeune.

Ils seront pris en compte après être passés au tamis de la rationalité juridique ; soit une interprétation implicitement ou explicitement fondée sur des concepts, des logiques de pensée propres aux juristes. Pour n'en citer qu'une seule, tout acte incriminé fait l'objet d'une reformulation qui prétend être plus conforme, fidèle à une pseudo-réalité sociale ; ainsi le vol est une soustraction frauduleuse du bien d'autrui (art. 379 du Code pénal).

Le cadre juridique limite la relation à deux intervenants : le magistrat-l'éducateur ; les autres n'interviennent que ponctuellement afin de rendre compte au magistrat des informations utiles à sa prise de décision.

Dans ce schéma, la majeure partie du travail du service éducatif auprès du tribunal (SEAT) de la PJJ illustre cette logique, ne serait-ce que lorsque les éducateurs sont amenés à la demande du Parquet, après signalement, à conduire un entretien avec un mineur ou sa famille et soumettre ensuite une proposition de mesure éducative.

(2) La deuxième situation se caractérise par une plongée dans le social, où la confrontation avec le droit s'exerce sur le registre des possibles, en termes d'adéquation des moyens aux règles de droit, des cas particuliers aux principes généraux.

C'est ainsi que s'agencent les solutions les plus originales d'application du droit, ne s'analysant plus comme une règle imposée et imposant une conduite à tenir mais comme une suite de prescriptions de valeurs pour lesquelles règne un accord unanime quant à leur réalisation.

Pour exemple, on peut retenir le problème des jeunes sous mandat judiciaire et déscolarisés. Auparavant, on appliquait le principe de l'éducation obligatoire et gratuite en créant des institutions spécialisées de l'éducation surveillée (ISES) en marge de la société.Aujourd'hui le principe est respecté tout en concevant de nouvelles formules au sein des établissements, telle que la classe intermédiaire précédemment citée.

Dès lors la volonté n'est plus de réduire les situations à un modèle unique mais de mettre à profit l'ensemble des moyens institutionnels, administratifs et relationnels.

Cette vision requiert toutefois que chaque partenaire soit pourvu d'une égale disponibilité et d'une entière autonomie d'action et de décision.

(3) Quant à la troisième situation fondée su une relation interpersonnelle éducateur-jeune, elle est très fortement emprunte de psychologie ; les principes moraux et le modèle de comportement y jouent un rôle important.

Ainsi dans le cas de rentrées tardives du jeune à l'institution la résolution juridique voudrait que l'on se réfère au droit qui tenant l'institution responsable du mineur, l'accueille quelle que soit l'heure. La perception sociale du problème pourrait pourrait consister à le laisser dehors tout en lui indiquant un abris pour dormir. Tandis que l'approche éducative serait de le laisser assumer son acte jusqu'au lendemain, pour ensuite reprendre avec lui l'acte et ses conséquences (la transgression du règlement intérieur etc.).

L'élément déterminant dans ce type de travail reste le facteur temps et l'adhésion du jeune au projet.

Cette triade juridique/social/éducatif permet certes de rendre visible la complexité des interférences du droit sur la logique professionnelle de l'éducateur PJJ, mais reste très limitée au regard de la diversité de la réalité. Ainsi, il n'est pas rare de retrouver ces formes distinctes de droit (normatif, contractuel et symbolique) dans le même type de situation ; le rappel à l'ordre dans les cas d'urgence peut traduire l'ensemble des caractéristiques.

Il n'y a donc pas dans cette réflexion une volonté de révéler une quelconque vérité, mais de fournir des éléments qui méritent d'entrer en considération dans les projets de réponses de l'administration PJJ face aux demandes sociales.

L'éducateur PJJ sera, semble-t-il toujours, confronté au paradoxe de devoir pour s'ouvrir pleinement sur le social, s'affranchir de la logique juridique qui le lie à son autorité de tutelle : la justice. Sans cela pourra-t-il prendre pleinement possession de sa qualité de travailleur social ?